Apres vingt ans au service de l’intégrité financière : la CENTIF, entre alertes et ambitions
Au-delà de la célébration, les discours prononcés hier, jeudi 27 novembre 2025, lors du 20ᵉ anniversaire de la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF), traduisent une institution consciente du chemin parcouru mais lucide sur les menaces qui s’intensifient. Loin d’une commémoration protocolaire, cet anniversaire révèle un moment charnière où se mêlent inquiétudes, attentes et exigences de résultats.
La cérémonie qui s’est tenue hier, jeudi 27 novembre, ressemblait moins à une célébration institutionnelle qu’à une séquence stratégique. La présence coordonnée du ministre de la Justice, Yassine Fall, du ministre des Finances, Cheikh Diba, du directeur national de la BCEAO, François Sène, ainsi que des représentants du GIABA et des CENTIF de la sous-région, témoignait d’un enjeu majeur : la lutte contre la criminalité financière est désormais au cœur de la gouvernance publique sénégalaise. Prenant la parole, François Sène a opté pour l’éloge institutionnel. Il a salué la transformation d’une structure naissante en une institution « solide, respectée et indispensable », modernisée et conforme aux standards internationaux du GAFI. Un satisfecit fondé : la CENTIF traite aujourd’hui quelques 1 500 déclarations annuelles et fait partie du Groupe Egmont depuis 2009. Le président de la CENTIF, lui, a insisté sur un point crucial : l’autonomie fonctionnelle. « Le ministère des Finances n’a pas vocation à connaître le contenu des rapports », a-t-il martelé, rappelant que la cellule reçoit, analyse et transmet au parquet sans interférence. Une précision qui laisse entendre que ce principe, bien que garanti par la loi, fait encore l’objet d’interrogations. Mais le discours le plus sombre est venu du ministre Cheikh Diba. « La criminalité financière progresse plus vite que notre cadre législatif », a-t-il averti, dressant un tableau sans concession de menaces qui se réinventent en permanence.
Des menaces déjà bien installées
L’intervention du ministre des Finances a mis en lumière une criminalité qui se complexifie : actifs virtuels, plateformes numériques, outils de dissimulation sophistiqués, mais aussi convergence entre crime organisé et terrorisme. Il a souligné la transformation de la traite des migrants en traite des personnes, générant des flux massifs qui contournent les radars.
« Les flux illicites sont aujourd’hui plus rapides, plus opaques et plus interconnectés », a-t-il rappelé, avant de conclure : « Aucune nation ne peut agir seule. »
L’évaluation du GAFI : un test déterminant
Au fil des interventions, un enjeu majeur s’est imposé : la troisième évaluation mutuelle du Sénégal par le GAFI, attendue pour mai 2027. Le ministre Cheikh Diba a « prié pour que le Sénégal réussisse avec brio cet examen », une formulation rare dans un discours officiel, révélatrice de la pression qui entoure l’échéance. Le pays vient à peine de sortir de la liste grise du GAFI, un acquis encore fragile. D’où l’accent mis sur le plan stratégique 2025-2029, axé sur le renforcement du renseignement financier, la gouvernance nationale, la coopération internationale et l’accompagnement des entités assujetties.
Les silences révélateurs
Si les données d’activité ont été abondamment citées -1 500 déclarations en 2023-2024, 920 en 2024, 46 rapports transmis au parquet- un angle crucial demeure absent : l’impact judiciaire. Combien de ces transmissions aboutissent à des poursuites, à des condamnations ? Le silence à ce sujet soulève des interrogations. Le président de la CENTIF a lui-même reconnu des délais de deux à trois ans entre la réception d’une déclaration et sa transmission au parquet. Un aveu qui relativise la réactivité du dispositif. Autre silence notable : la faible contribution des professions non financières. Avec 85 % des déclarations issues des banques, notaires, avocats et autres professions assujetties restent en retrait, révélant soit un déficit de vigilance, soit des mécanismes de contrôle insuffisants.
Une stratégie inscrite dans le long terme, un tournant à confirmer
Le ministre des Finances a replacé l’action de la CENTIF dans la « Vision Sénégal 2050 », montrant que la lutte anti-blanchiment dépasse désormais le cadre technique. Elle devient un levier national : éthique publique, attractivité économique, souveraineté face aux flux illicites.
Cette ambition est claire : faire de la transparence financière un avantage compétitif, un rempart sécuritaire et un pilier de gouvernance.
« Notre vision à l’horizon 2035 est claire : une CENTIF performante au cœur de la gouvernance financière », a affirmé son président. Mais les défis restent considérables : réussir l’évaluation GAFI, rattraper la sophistication des réseaux criminels, réduire les délais de traitement, impliquer davantage les professions non financières, et surtout démontrer des résultats judiciaires tangibles.
Tous les intervenants ont insisté sur la nécessité d’une réponse collective : banques, professions réglementées, autorités judiciaires, forces de sécurité et partenaires internationaux. Car, au-delà des outils technologiques, l’efficacité se mesurera à une seule réalité : transformer les rapports en condamnations et les intentions en résultats.
Le 20ᵉ anniversaire de la CENTIF marque ainsi un point de départ, celui d’une ère où la transparence financière devra se traduire dans les faits, et où la lutte contre les flux illicites deviendra un véritable indicateur d’intégrité nationale.
JEAN PIERRE MALOU
SUDQUOTIDIEN

