La lutte contre l’inflation est-elle devenue trop dogmatique?

La lutte contre l’inflation reste la priorité de la Réserve fédérale et de la Banque centrale européenne. Les grands argentiers réunis à Jackson Hole ont rappelé qu’ils s’en tiendront à leur objectif officiel fixé à 2% maximum de hausse des prix. Ce chiffre est pourtant très contesté.

Cet objectif d’inflation, un « graal » inscrit dans le cahier des charges de la BCE et de la Fed, est un sujet de controverses récurrent. Il a de nouveau enflammé le débat cet été, avant le forum de Jackson Hole. Deux ténors des sciences économiques, le prix Nobel américain Paul Krugman et l’ancien chef économiste du FMI le français Olivier Blanchard, considèrent tous les deux que s’obstiner à contenir l’inflation au-dessous de 2% est un mauvais choix pour la croissance. Une hausse trop forte des taux d’intérêt, le seul outil anti-inflation des banquiers centraux, fait courir le risque de plomber l’économie. Un risque inutile d’après eux parce que ce chiffre de 2% n’est étayé par aucune théorie économique fait remarquer Paul Krugman. La Nouvelle Zélande a été le premier pays à en faire un objectif officiel. Pour mater une flambée des prix devenue incontrôlable à la fin des années 80, la banque centrale adopte la limite des 2% en 1990. Et c’est seulement en 2012 que la Fed introduit à son tour cet objectif de 2% maximum d’inflation.

En 2023, où faut-il placer le curseur pour garantir la stabilité des prix ?

Les investisseurs sont convaincus que l’inflation restera bien supérieure à 2%, d’après leurs prévisions elle sera plutôt en moyenne de 2,66% dans les prochaines années. Quelle que soit l’action menée par les banquiers centraux. Car des forces structurelles poussent les prix vers le haut. La pandémie et son cortège de pénurie ont commencé à faire grimper les prix. Dans la foulée, les industriels occidentaux ont revu leur chaine de production. Cette démondialisation en cours fait grimper l’addition : car produire plus près en diversifiant les fournisseurs coûte plus cher. La lutte contre le réchauffement climatique est un autre facteur inflationniste : les investissements nécessaires pour adapter l’économie surenchérissent les prix. Enfin, troisième facteur inflationniste, la démographie. Le vieillissement contribue à raréfier la main-d’œuvre et donc à faire grimper le coût du travail répercuté sur les prix. Pour prendre en compte ces poussées inflationnistes Olivier Blanchard et Paul Krugman plaident pour un objectif ramené à 3%.

Comment sont-ils parvenus à ce chiffre ?

C’est le fruit d’analyses très empiriques. Et de bon sens. L’inflation devient un problème quand elle se transmet aux salaires. Ce qui n’est pas le cas présentement. On peut donc la laisser évoluer au-delà des 2%. Deuxième remarque : l’inflation dégénère à partir du moment où les consommateurs s’en préoccupent. Ils se ruent sur des achats d’anticipation pour éviter la hausse des prix, ce qui contribue en fait à l’exacerber. Pour éviter cet effet boule de neige et ainsi déterminer le niveau souhaitable de la jauge des prix, Olivier Blanchard propose de s’en remettre à Google. Aux États-Unis lorsque l’inflation évolue entre 3 et 4%, les recherches sur l’inflation affluent sur le moteur de recherche, c’est un signe d’inquiétude de la part des consommateurs. Fixer un objectif à 3% apparait donc comme raisonnable, juste assez pour laisser filer les prix sans éveiller les peurs des consommateurs.

Les banquiers centraux entendent-ils ces arguments ?

Officiellement ils rejettent ces critiques, mais en coulisses les discussions existent, notamment au sein de la Réserve fédérale. Mais ils ne changeront pas de cap alors que leur combat n’est pas terminé. Ils estiment que leur crédibilité et donc leur action future en seraient trop affectées. Ils savent pourtant que le pire est derrière nous. L’inflation est aujourd’hui à 3% aux États-Unis alors qu’elle a culminé à plus de 9% en juin 2022. En zone euro elle est autour des 5%, très loin du pic de l’an dernier à plus de 9%.

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