Espagne: 50 ans après la disparition de Franco
Son ombre plane toujours sur la péninsule – En Espagne, l’extrême droite occupe largement le terrain politique et médiatique, surtout depuis que Vox a fait irruption, il y a dix ans. Un parti qui n’hésite pas à se réclamer de la dictature de Francisco Franco, décédé il y a cinquante ans, le 20 novembre 1975. Un pouvoir considéré comme le plus sanglant des régimes fascistes nés dans les années 1930, et un pays toujours aux prises avec des batailles mémorielles qui, à la faveur de la poussée de l’extrême droite, ont pris une nouvelle dimension.
Par : Isabelle Le Gonidec – SOURCE RFI
Depuis plusieurs années, Madrid reçoit les leaders d’extrême droite d’Europe et d’ailleurs. Marine Le Pen, Viktor Orban, Matteo Salvini, Javier Milei, Geert Wilders et d’autres s’y pressent, à l’invitation de Santiago Abascal, le chef du parti Vox. Ils étaient de retour en février dernier, sur le thème « Make Europe great again », emprunté au grand voisin d’outre-Atlantique. Santiago Abascal, désigné président des Patriotes pour l’Europe, en novembre 2024, y jouait pour la seconde fois les amphitryons. À la tribune, les leaders présents rendent hommage tout à la fois au « rôle de l’Espagne franquiste » qui a débarrassé le pays des communistes (Viktor Orban) et à la Reconquista, qui a bouté les musulmans hors de l’Europe (Geert Wilders).
Aux origines
Une réthorique que Vox a fait sienne, et avant Vox, le Partido popular dont il est une scission. Un PP lui-même issu du Movimiento, le parti unique de la dictature franquiste. De nombreuses publications questionnnent la nature du régime franquiste, en particulier cette année, à l’aune du 50e anniversaire de la mort du dictateur, le 20 novembre 1975. Régime autoritaire, national-catholicisme, fascisme… un pouvoir qui s’est construit sur un champ de ruines après la guerre civile (1936-1939) et qui a maintenu le pays en coupe réglée jusqu’à la transition démocratique de 1977-1978, avec pour fondements les valeurs dites « traditionnelles » de l’Espagne.
L’axe fasciste Rome-Berlin s’était constitué sur la base de la fraternité d’armes en Espagne pendant la guerre civile, nous rappelle l’historien François Godicheau, spécialiste de l’Espagne contemporaine, « donc le fascisme international est né en même temps que le franquisme dans la guerre d’Espagne ». Mais le franquisme, lui, a duré : c’est « un régime qui, comme il s’est adapté, au monde d’après-guerre, avec son triomphe de la démocratie libérale, a, lui aussi, hissé son petit drapeau démocratie. Il s’est adapté à la guerre froide. Il est devenu le champion de l’anticommunisme. On disait qu’il était le premier à avoir gagné une guerre contre les communistes », souligne encore le chercheur.
Un des ressorts de la longévité du franquisme a été « de faire durer la guerre bien au-delà de 1939, une guerre qu’il a provoquée, une guerre qui est le résultat d’un processus de fascisation de l’Espagne des années 1930, qui passe par un coup d’État en 1936 – coup d’État raté –, mais adossé à un projet de purge générale de la société, qui se met en œuvre avec trois ans de résistance du camp d’en face… Cette guerre, elle se prolonge contre un ennemi intérieur. La répression, la terreur franquiste, se trouvait être la même en 1940 qu’en 1936. Simplement, en 1940 c’est sur tout le territoire qu’elle s’exerce… Une guerre contre ce qu’ils appellent l‘anti-Espagne, l’ennemi intérieur… À l’époque le mouvement ouvrier espagnol est très minoritairement communiste. On s’en fiche du côté franquiste, parce que c’est l’anticommunisme international qui fonctionne comme registre rhétorique. Aujourd’hui, il se passe la même chose dans la rhétorique de Vox comme dans la rhétorique par exemple de Milei en Argentine. Tout ce qui ressemble vaguement à une politique redistributive… c’est du communisme. »
La « convivencia pacifica » au prix de la théorie des deux démons
Dans le discours de Vox, « on trouve tout le colonialisme raciste du franquisme, le catholicisme intégriste ; l’Espagne, c’est la croix, la race, c’est dit avec ces mots-là », insiste François Godicheau.
Au-delà de la violence de la répression, il y a, dans le franquisme, une ambivalence qui s’est imposée dans les années soixante, quand le régime s’est présenté comme le garant d’une forme de paix et de stabilité intérieure, s’enracinant dans le besoin de la population de panser les plaies de la guerre, de la répression, de la faim et de la pauvreté et sur la peur d’un nouveau conflit. Franco disait : « Moi, je ne fais pas de politique », rappelle l’historien, selon lequel la part d’héritage la plus importante du franquisme, c’est l’apathie politique. « Toute l’insistance portée (dans le discours du pouvoir en place) sur la prospérité, sur le bien-être matériel a pour finalité la production de l’apathie et la dépolitisation. La vision du passé, la vision de la guerre, est une vision complètement dépolitisée : si la guerre de 1936, c’est la guerre civile, au sens de guerre fratricide, cela dépolitise le conflit. C’est la théorie des deux démons, il y avait des gens gentils, il y avait des gens méchants et il y en avait dans les deux camps. C’est sur ces bases-là que se réalise la transition, sur la peur d’une nouvelle guerre, manipulée depuis le pouvoir, et sur l’idée que le nouveau régime, l’Espagne enfin réalisée, l’Espagne moderne, enfin européenne, doit être le pays de la paix, du consensus, de la « convivencia pacifica », le « vivre-ensemble pacifique » ».
« La faute collective diluait la responsabilité criminelle de chacun et, surtout, celle des vainqueurs. C’est pourquoi rouvrir aujourd’hui le débat sur les violences de la guerre civile et de la dictature est si difficile pour les forces politiques de droite, qui préfèrent se contenter de brandir l’équivalence des responsabilités sous prétexte de ne pas remuer le passé », souligne un collectif d’historiens, auteurs d’un article passionnant sur le révisionnisme historique en cours en Espagne (*).
Une extrême droite très marginalisée dans les urnes
Au milieu des années 1970, après la mort du dictateur – dont on raconte que le décès ne fut annoncé qu’après sa mort pour la faire coincider symboliquement avec celle de l’idéologue du régime, Jose Antonio Primo de Rivera, fondateur de la Phalange –, la transition s’enchaîne rapidement : élections, loi de réforme politique, dissolution des organisations constitutives du Movimiento, loi d’amnistie de 1977, Constitution monarchique d’octobre1978, etc. Dans les urnes, ceux qui se réclament encore de la dictature et de son héritage sont laminés. Émerge alors, en octobre 1976, fondé par d’anciens cadres franquistes (ceux que l’on appelle les « Sept magnifiques » dont Fraga Iribarne, ancien ministre de l’Information et du Tourisme puis ministre de l’Intérieur dans le premier gouvernement de la monarchie) l’Alianza popular qui deviendra le Partido popular actuel. Il a un programme conservateur et populaire : ordre + sécurité + soutien à la monarchie + réformes constitutionnelles, et assume une part de l’héritage franquiste, dont le catholicime et l’économie de marché.
À l’extrême droite, traditionnalistes monarchistes, carlistes, franquistes de l’ancien temps, néonazis, etc., peinent à s’unir et n’exercent d’influence que grâce à des banquets, publication de brochures et revues (El Alcazar, Arriba, Reconquista…) et manifestations de rue parfois violentes aux dates symboliques du pouvoir franquiste : le 18 juillet, jour de l’insurrection, le 1er avril, jour de la victoire de 1939, le 20 novembre donc, rassemblant des milliers de personnes. Une mobilisation supérieure à un poids électoral alors insignifiant. « Ces mobilisations de rue sont, pour les dirigeants d’extrême droite, l’occasion d’exercer une pression sur le gouvernement et leur offrent une tribune populaire et médiatique contrastant avec leur faiblesse politique », analyse l’historien Matthieu Trouvé (**). Des groupuscules qui produiront néanmoins des attentats qui ont endeuillé la transition, comme l’assassinat en janvier 1977 de cinq personnes à Madrid dans un cabinet d’avocats proche du PCE et du syndicat CCOO, ou la tentative de coup de force militaire de Tejero aux Cortès en février 1981.
Jusqu’à sa résurrection dans les bulletins de vote et sur la scène médiatique
Plusieurs facteurs conjugués expliquent la réémergence sur la droite du PP de Vox au début de ce nouveau siècle : les défis économiques et sociaux du moment, la poussée des mouvements d’extrême droite en Europe, l’émergence d’une nouvelle génération de responsables politiques, l’émergence d’un discours anti-migrants inédit dans la péninsule, la création en 2014 du parti Podemos, les revendications autonomistes, notamment catalanes, qui sapent la devise franquiste (« España, una, grande y libre »), une forme aussi de désinhibition du discours d’ultra-droite d’autant que sur la gauche le besoin de désigner les coupables des crimes du passé (qui avaient été étouffés par la « convivencia pacifica ») s’affirme, parfois pour des raisons électoralistes. « L’émergence, dès la fin des années 1990, d’un mouvement dit « de récupération de la mémoire historique », qui demandait la reconnaissance officielle des crimes du franquisme, provoqua une réaction de réhabilitation de la dictature de la part de nombreux polémistes. Porté par des groupes de citoyens, il s’est incarné dans la demande d’ouverture de fosses de victimes de la répression », explique encore le collectif d’historiens (*).
Les batailles de la mémoire
Le 14 octobre 1977, pour tourner la page de la dictature, dans un souci de concorde nationale et donc éviter de juger les crimes passés, une loi d’amnistie est votée. Elle vaut tant pour les victimes que pour les bourreaux. L’administration et les appareils sécuritaires et de justice ne sont pas purgés. L’ONU a reconnu en 2005 les disparitions forcées en tant que crime contre l’humanité, ce qui a invalidé la loi d’amnistie de 1977. Le juge Garzón a tenté, sans succès, d’utiliser cette brèche. Des familles de disparus ont alors eu recours à la justice argentine, au nom du pouvoir de justice universelle.
En octobre 2007, la loi « pour la récupération de la Mémoire historique » est votée, tandis que José Luis Zapatero (socialiste) est président du conseil. Cette loi fait disparaître de l’espace public les références au franquisme et encourage les recherches universitaires et associatives sur la répression, jusqu’à la mort du dictateur. Elle parle de « victimes », mais sans désigner le moindre perpétrateur, car elle s’inscrit dans l’esprit de la réconciliation propre à la transition démocratique.
En octobre 2022, la loi « pour la Mémoire démocratique » portée par le gouvernement de Pedro Sanchez, remplace le texte précédent dont elle comble les manques (les disparitions forcées et les fosses communes n’entraient pas dans le champ d’application du précédent texte). Son article 31, par exemple, prévoit un droit à l’indemnisation pour les victimes de spoliations de biens culturels sous le franquisme. Il dispose aussi que « l’administration générale de l’État lancera toutes les initiatives nécessaires pour la recherche » de ces œuvres. Ces opérations seront conduites par le secrétariat d’État de la Mémoire démocratique. La loi condamne officiellement le coup d’État de 1963, la dictature qui s’ensuivit (illégitime et illégale) et l’apologie du franquisme, sans cependant caractériser le délit dans le code pénal. En vertu de cette condamnation, la Fondation Francisco Franco, qui perpétuait la mémoire du dictateur, est en voie de dissolution. Elle définit aussi les symboles et lieux contraires à la mémoire démocratique. Le changement de nom de la loi participe d’une prise de conscience de l’identification de l’histoire comme savoir critique et démocratique, notent les historiens.
Plusieurs régions gouvernées par des coalitions PP-Vox ont rétorqué en proposant des lois dites « de concorde » destinées à abroger les principales dispositions de la loi de Mémoire démocratique.
Le gouvernement a engagé un processus d’interdiction des fondations comme la fondation Francisco Franco, la fondation José Antonio Primo de Rivera ou encore Serrano Suñer, dont le propos est explicitement de perpétuer la mémoire des idéologues du régime. Mais la Plataforma 2025, récemment créée, se réclame de l’héritage du dictateur. Par ailleurs, polémistes et influenceurs d’ultra-droite se multiplient en appui aux thèses de Vox et du PP. Ils sont notamment présents sur les réseaux sociaux : Alvise Perez, parlementaire européen qui vient de lancer officiellement son parti Se acabo la fiesta, Vito Quiles, Bertrand Ndongo, le blog InfoVlogger aux plus de 400 000 followers…
Au point qu’en novembre dernier, Manuel Mariscal, député de Vox, pouvait déclarer que grâce aux réseaux sociaux, de nombreux jeunes étaient touchés par leurs idées. Ainsi, ce groupe, Los Meconios, qui consacre la plupart de ses textes sur YouTube à moquer Pedro Sanchez et dont la chanson Nous reviendrons à (19)36, interprétée avec le blogueur InfoVlogger, a été mise en scène lors d’une fête de Vox en 2022 sur ces paroles : « on est sur les réseaux, on fâche les communistes, les féministes… la gauche qui nous gouverne, c’est déjà le front populaire, nous sommes la résistance, nous sommes fascistes… »
Des sondages qui inquiètent
Est-ce l’influence des réseaux sociaux ? Selon plusieurs enquêtes d’opinion, la jeunesse espagnole est de plus en plus droitière. Ainsi, ce sondage diffusé par le quotidien El País du 2 novembre, ou cet autre (du CIS, Centre de recherches sociologiques d’octobre 2025) qui indique qu’environ 20% des Espagnols considèrent que la dictature franquiste était « bonne ou très bonne », contre 65,5% qui la considèrent comme mauvaise ou très mauvaise. Un sondage largement commenté et qui étonne, comme si les leçons du passé n’avaient pas été retenues ou apprises. Un sondage « terrifant », selon le Huffington Post qui fait écho aux propos du musicien Ramoncin, très en vogue à la fin des années 1970-1980 et qui qualifie de « lamentable » que 19% des jeunes Espagnols entre 18 et 24 ans partagent cet avis sur le franquisme. Dans son livre, Franco, le temps et la légende, Stéphane Michonneau pointe au fil des sondages un « adoucissement du jugement négatif porté envers le dictateur, voire une forme d’idéalisation dans un secteur restreint de la population ».
Des jeunes qui, selon les enquêtes, sont majoritairement des hommes. « Les destinataires de ces messages sont les adolescents, masculins, de ce pays. C’est la génération qui sort de l’Institut d’études secondaires et qui a grandi en parallèle à l’essor de Vox, analyse Arnau Fernandez Pasalodos, historien de l’université de Malaga, cité par Ludovic Lamant dans Mediapart. Une génération de « milléniaux morveux, tacle le journaliste Jésus Ruiz Mantilla dans son essai Franco y yo, qui sont incapables de reconnaître le luxe du temps présent au regard d’un passé qu’ils considèrent avec beaucoup de frivolité ». Leur cible : la diversité, qu’elle soit sexuelle, ethnique, culturelle ou politique. L’engagement du gouvernement de Pedro Sanchez à lutter contre les violences de genre nourrit également les thèses masculinistes dont ces mouvements radicaux sont porteurs. Selon Juan Francisco Albert, sociologue et directeur du centre d’études sur l’extrême droite (Al descubierto), ces mouvements tendent à favoriser Vox plutôt que le PP. Un Parti populaire qui, après avoir mis en sourdine la doxa franquiste, est désormais tenté de la réactiver pour ne pas se laisser déborder sur sa droite.
Une coalition des droites en marche ?
Pour peser davantage dans les urnes, ont fleuri également des groupes de pression qui oeuvrent au rapprochement de Vox, du PP et du centre droit de Ciudadanos. Dans un article du quotidien El Pais, Angel Munarriz dresse un tableau de cette nébuleuse qui comprend par exemple le think tank ultrationaliste DENAES (Defensa de la nacion española) de Esperanza Aguirre (PP), fondé en 2006, les clubs Atenea, NEOS, España constitucional, Fundacion Disenso, Pie en pared, Familia y dignidad humana, Hazte Oir et sa filiale internationale Citizen Go… la liste est longue. Un rapprochement qui fait écho au fameux portrait de famille des droites dit la « photo de Colon », de 2019, sur laquelle apparaissaient Santiago Abascal (Vox), Pablo Casado (PP) et Albert Rivera (CD). Une photo qui avait suscité beaucoup de commentaires, certains des portraiturés n’étant pas très heureux d’y apparaître.
Ces convergences sont possibles parce ces mouvements ont des valeurs et revendications communes et qu’il y a des vents porteurs. « Si Vox et compagnie revendiquent un certain nombre de traits caractéristiques du franquisme avec les mots du franquisme, c’est parce qu’il y a un bénéfice politique possible, c’est-à-dire qu’il est possible de faire en sorte que les gens s’identifient à un discours de la nation assiégée : on parle d’immigration, par exemple ; un discours de l’Espagne glorieuse, pure ; un discours de l’Espagne cernée par des ennemis de l’intérieur. Cette culture-là a pénétré pendant plusieurs décennies, elle a forgé des Espagnols sur plusieurs générations. Donc, il est plus facile de la réactiver que ne le serait en France la revendication pleine et entière de Vichy, de la milice et de la rafle du Vel d’Hiv », souligne François Godicheau.
L’histoire n’est pas réductible à une querelle de mémoire
Un roman national nourri par les mémoires officielle, familiale (Ruiz Mantilla s’en fait l’écho) ou pseudoscientifique, et conforté par les programmes d’enseignement dispensés depuis 1939 et jusqu’à la transition, voire au-delà. « Développés par des historiens officiels du régime puis repris par des publicistes, ces éléments du discours font système. Ils ont été enseignés à l’école, entendus chez soi ou lus chez d’autres, et font sens pour le lecteur espagnol », analyse le collectif d’historiens (*), d’autant que la guerre civile et la dictature sont peu et rapidement étudiées dans les programmes scolaires.
Pour y remédier, le gouvernement a réaménagé en novembre 2024 les programmes scolaires en histoire-géographie pour trois niveaux. Le chapitre sur la guerre civile intègre désormais la répression, l’exil et la résistance et celui sur la transirtion démocratique fait place aussi à la mémoire et à la réparation. Un texte sans doute d’autant plus nécessaire que, du fait des alliances contractées entre Vox et le PP lors de scrutins régionaux, plusieurs sont désormais gouvernées par des coalitions Vox-PP (même si Vox a annoncé retirer son soutien dans plusieurs d’entre elles sur la question de l’accueil des mineurs isolés) ; or, les régions ont des prérogatives pédagogiques. Ainsi en Andalousie, Vox, qui gouverne la région en alliance avec le PP, a demandé le retrait de certains ouvrages dans les écoles au motif qu’ils participaient à l’endoctrinement des enfants.
Des mouvements qui sont vent debout contre la décision récente du gouvernement de Pedro Sanchez de nettoyer l’espace public de symboles rappelant la dictature militaire, ses exactions et ses cadres. On se souvient de la polémique autour du Valle de los caidos, le sanctuaire des soldats nationalistes, devenu Valle de cuelgamuros et de la bataille judiciaire autour de l‘exhumation de la dépouille de Franco le 24 octobre 2019. Des lieux de mémoire qui sont autant de champs de bataille idéologiques que la droite et l’extrême droite accusent le gouvernement de Pedro Sanchez d’utiliser (le « Francomodin ») pour resserrer les rangs d’une fragile majorité.
La gestion de la mémoire du franquisme est loin d’être apaisée, en témoignent aussi toutes les publications qui sortent pour ce 50e anniversaire, d’autant qu’une forme de néo-franquisme se développe et s’exporte. L’extrême droite évoque d’ailleurs dans ses publications un « Francobeo », néologisme formé sur le modèle du Jacobeo, célébration de Saint-Jacques, le patron de l’Espagne.
« Non seulement les morts pèsent, mais ils survivent », écrit l’écrivain italien Sergio Luzzatto, cité par Stéphane Michonneau, à propos de Mussolini. Indépendamment de la vitalité de la société civile espagnole, bien que le corps du dictateur ait été inhumé deux fois, le franquisme, lui, ne semble pas complètement enterré. Lors de la panne d’électricité géante qui avait immobilisé le pays en avril, l’avocat des héritiers de l’ancien dictateur Franco, Luis Felipe Utrera-Molina, avait réagi sur le réseau social X : « Sous Franco, cela n’arrivait pas. » Le message a été « liké » plus d’un millier de fois sur le réseau social, note Ludovic Lamant de Mediapart. Si, il y a vingt ans, l’Espagne était le laboratoire où les gauches exploraient de nouvelles voies (avec le mouvement des Indignados d’où est issu Podemos), ce sont désormais les droites qui donnent le plus de la voix, occupent le terrain et tissent des réseaux au point de donner naissance à une sorte de « néo-franquisme ».
L’ibérosphère
Santiago Abascal cultive « l’ibérosphère » en Amérique latine et a des contacts étroits avec Javier Milei en Argentine, Nayib Bukele au Salvador (dont se réclame Alvise Perez) ou encore José Antonio Kast au Chili. Sans oublier Donald Trump qui lui a manifesté son soutien à plusieurs reprises. Une communauté de langue et de projet politique les lient et de nombreuses associations « Hazte oír » de l’ancien ministre Jaime Mayor Oreja (PP) travaillent activement à nouer des réseaux, la main dans la main avec l’Opus Dei, vieille organisation catholique traditionaliste, bien implantée en Amérique latine. Des réseaux qui essaiment aussi en Afrique, au Kenya, indique une étude de l’Association des Droits sexuels et reproductifs, dirigée par la Brésilienne Sonia Corrêa. Selon ces chercheurs, l’Espagne serait une sorte de tête de pont dans une bataille culturelle ultra-conservatrice engagée contre les droits reproductifs et l’avortement.

