Burkina: au moins 5 magistrats « réquisitionnés » par l’armée dans la lutte antijihadiste
L’armée du Burkina Faso, pays dirigé par un régime militaire, a « réquisitionné » au moins cinq magistrats pour participer à des opérations de lutte antijihadiste, a annoncé l’intersyndicale des magistrats qui dénonce un acte d' »humiliation et d’intimidation ».
Lundi, cinq magistrats ont « reçu individuellement des appels téléphoniques » les informant que « chacun est réquisitionné pour les opérations de sécurisation du territoire national pendant la période du 14 août au 13 novembre, avec possibilité de renouvellement », a écrit l’intersyndicale dans un communiqué transmis vendredi a l’AFP.
Il s’agit de trois procureurs à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et Boromo (ouest), d’un substitut du procureur de Bobo Dioulasso et du doyen des juges d’instruction du tribunal de Ziniaré (centre).
L’intersyndicale ajoute que le procureur de Gaoua (sud-ouest) et un substitut d’un procureur de la capitale seraient également sur la liste des « réquisitionnés » mais n’auraient pas été appelés.
Ces sept magistrats sont censés se rendre à la garnison de Kaya (centre-nord) pour y être enrôlés. Leur présence dans cette base militaire n’a pas été confirmée et l’intersyndicale dit ne pas savoir où ils se trouvent actuellement.Elle estime que « les réquisitions de ces magistrats ont un lien intrinsèque avec des dossiers judiciaires impliquant des soutiens du pouvoir ».
« Ces réquisitions ne sont ni plus ni moins que des actes d’humiliation et d’intimidation des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions », juge l’intersyndicale, qui regroupe les trois principaux syndicats de magistrats du pays.
Selon une ordonnance du tribunal administratif de Bobo-Dioulasso du 13 août, les « ordres de réquisition » du procureur et de son substitut de la capitale burkinabé ont été considérés comme « illégaux ».
Le tribunal a condamné l’État à payer un million de francs CFA (1524 euros) aux personnes concernées. Arrivé au pouvoir par un coup d’État le 30 septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré a signé en avril 2023 un décret de « mobilisation générale » pour lutter contre les jihadistes qui commettent des attaques dans le pays.
Depuis lors, des voix se sont élevées au Burkina Faso pour dénoncer l’usage abusif de cette loi à d’autres fins, quand Human Rights Watch (HRW) y voyait un moyen de « réduire au silence la dissidence ».
Par ailleurs, plusieurs cas d’enlèvements de voix considérées comme hostiles au régime militaire ont été rapportés cette année à Ouagadougou et dans d’autres localités du pays.
Depuis 2015, le pays est très régulièrement frappé par des attaques jihadistes qui ont fait en tout plus de 20.000 morts – civils et militaires – dont près de 3.800 cette année, selon l’ONG Acled qui répertorie les victimes de conflits dans le monde.