Israël: il y a 30 ans, l’assassinat de Yitzhak Rabin engloutissait l’espoir d’un État palestinien

Le 4 novembre 1995, le Premier ministre israélien est assassiné par un extrémiste ultranationaliste religieux juif à Tel-Aviv. Le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, auquel Yitzhak Rabin a largement participé, meurt avec lui et engloutit l’espoir d’un État palestinien, gage et condition de paix. Trente ans plus tard, la fin du conflit semble toujours lointaine.

L’image fait le tour du monde et relance l’espoir d’une possible paix après déjà plus de quatre décennies de violences et de guerres. Le 13 septembre 1993 à Washington, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin serre la main du leader palestinien Yasser Arafat sous les auspices du président américain de l’époque, Bill Clinton. Après neuf mois de négociations secrètes en Norvège, sous l’égide des États-Unis, sont signés les accords d’Oslo. Ils définissent les premières étapes d’un processus d’autonomie des Palestiniens et d’un retrait progressif de l’armée israélienne des Territoires palestiniens conquis en 1967. Israël reconnaît l’OLP et Yasser Arafat reconnaît l’État d’Israël et renonce à la lutte armée. De nombreuses questions restent en suspens – le droit au retour des réfugiés, Jérusalem, la colonisation, la création d’un État palestinien– mais ce pas vers la paix est historique.

À l’initiative de cet accord, côté israélien, un homme de premier plan donc : Yitzhak Rabin. Né en 1922 en Palestine sous mandat britannique, l’homme est d’abord un militaire. Il combat en tant que soldat en 1948 pour l’indépendance d’Israël avant de devenir le chef d’état-major de l’armée israélienne. Surnommé le « Faucon », il devient l’un des artisans de la victoire israélienne lors de la guerre des Six-Jours, qui triple la superficie du territoire aux mains de Tel-Aviv. 

Lancé en 1973 en politique au sein du Parti travailliste, il défend par la suite une ligne sécuritaire et répressive face à l’activisme palestinien. « Nous imposerons la loi et l’ordre dans les territoires occupés, même si cela doit se faire dans la douleur […] S’il le faut, brisez-leur les bras et les jambes », déclare-t-il en tant que ministre de la Défense durant la première intifada. Premier ministre d’Israël de 1974 à 1977, c’est en 1992, lors de son second mandat, qu’il comprend la nécessité de trouver un compromis pour mettre fin à un conflit qui dure depuis 1948. Le militaire Rabin devient alors artisan du dialogue avec les Palestiniens. Le 13 juillet 1992, devant la Knesset, il affirme : « Nous sommes condamnés à vivre ensemble sur ce même lopin de terre. »

Un militaire devenu artisan de la paix 

Lors de la signature des accords d’Oslo, Rabin déclare qu’il s’agit d’une « opportunité de parvenir à la paix ». Et Yasser Arafat d’affirmer pour sa part : « Mon peuple espère que cet accord que nous signons aujourd’hui inaugurera une ère de paix, de coexistence et d’égalité des droits. » 

La voie vers la paix est pourtant loin de faire l’unanimité. Des vagues d’attentats sont déclenchées par les extrémistes des deux camps – extrême droite juive et Hamas palestinien – mais sans parvenir à bloquer le processus de paix. Yitzhak Rabin est lui-même victime d’une violente campagne de presse à l’intérieur de son pays, orchestrée par ses adversaires politiques du Likoud. En septembre 1995, Benyamin Netanyahu participe à une manifestation à Jérusalem où les protestataires brandissent des affiches représentant, entre autres, Rabin vêtu d’un uniforme nazi, mais aussi des cercueils au nom du Premier ministre. Itamar Ben-Gvir – aujourd’hui ministre de la Sécurité nationale et figure de l’extrême droite israélienne – fait aussi partie des activistes les plus virulents contre Yitzhak Rabin et incite même à le « punir ». Mais le Premier ministre israélien maintient son cap : parvenir à la paix. 

Le 4 novembre 1995, auréolé du prix Nobel de la paix aux côtés de Yasser Arafat et de Shimon Peres, Yitzhak Rabin participe à Tel-Aviv à une gigantesque manifestation – plus de 100 000 personnes – de soutien à la politique de paix. « L’ambiance était formidable, se souvient Élie Barnavi, historien, diplomate, ancien ambassadeur d’Israël en France. Ami de Yitzhak Rabin, il est à ses côtés ce 4 novembre et est l’un des derniers à lui parler avant le drame. Nous ne pensions pas que ce serait un tel succès. La place était noire de monde. Rabin lui-même avait été très hésitant. Il y est allé en traînant des pieds, parce qu’il avait peur justement qu’il n’y ait personne. Et il était obnubilé par des manifestations hostiles auxquelles il avait affaire tous les jours. Quand il a vu ça, il était heureux. Il a d’ailleurs dit que c’était le jour le plus heureux de sa vie. Il a compris que le peuple était avec lui. »

Mais alors que le Premier ministre finit d’entonner avec les milliers de personnes réunies place des Rois d’Israël une chanson pour la paix, un jeune extrémiste ultranationaliste religieux juif, Yigal Amir, 23 ans, tire sur lui trois balles à bout portant. Sa rate et sa colonne vertébrale sont atteintes. Yitzhak Rabin, 73 ans, décède quelques heures plus tard à l’hôpital.   

Une paix assassinée 

La disparition de Rabin condamne alors l’ensemble du processus de paix. Shimon Peres repousse les nouvelles élections et refuse de centrer la campagne sur l’assassinat du Premier ministre. D’une courte tête en mai 1996, Benyamin Netanyahu est proclamé vainqueur. « On dit que les assassinats politiques, le plus souvent, ne changent rien. Eh bien, dans ce cas-ci, ça a changé beaucoup. Cela a arrêté net le processus de paix, renversé la tendance. Ça nous a amenés là où nous sommes aujourd’hui », se désole l’ancien ambassadeur israélien. 

Le nouveau Premier ministre Netanyahu entend dès lors revenir sur certaines concessions accordées aux Palestiniens, concernant notamment la colonisation des territoires occupés. Le processus de paix n’est plus à l’ordre du jour. Au contraire. Les forces opposées à Oslo vont se renforcer mutuellement, les uns par la colonisation, les autres par la lutte armée. Et depuis trente ans, la situation n’a jamais cessé de se détériorer. « Rabin inspirait confiance aussi bien aux Israéliens, aux Palestiniens qu’au monde entier, confie Élie Barnavi. C’était un roc. C’était celui qui pouvait continuer ce processus et sans doute le mener à son terme. Et lui parti, il n’a pas été remplacé. » 

Trente ans se sont écoulés depuis la disparition de Yitzhak Rabin, soit une génération. Et aujourd’hui, plus de la moitié des Israéliens n’était pas née en 1995. Selon un sondage du Jewish People Policy Institute (JPPI) rapporté par i24News le 19 octobre dernier, 48 % des sondés considèrent Oslo comme un pas dans la mauvaise direction, contre 45 % qui y voient une initiative positive, malgré ses perspectives limitées. Aussi, un tiers des Israéliens pensent que l’assassinat de Rabin a interrompu le processus de paix, un autre tiers estime qu’il se serait arrêté de toute façon, le reste considérant qu’il s’est poursuivi.  

Une « version juive du Hamas »

« En ce jour, en ce lieu, convergent les deux plus grands moments de rupture de l’histoire de l’État d’Israël : l’assassinat de Rabin et le 7 octobre », a clamé samedi 1ᵉʳ novembre le chef de l’opposition israélienne, Yaïr Lapid, lors de la commémoration des trente ans de l’assassinat de Yitzhak Rabin. « Bien sûr, il a raison, commente Élie Barnavi. Mais il n’en tire pas lui-même toutes les conséquences. Il est soi-disant le chef de l’opposition, mais c’est un chef d’opposition faible, qui a peur de son ombre, qui ne dit pas les choses telles qu’il faudrait le dire. Le 7 octobre est une tragédie dont on aurait pu faire, comme dans toute tragédie dans l’Histoire, l’instrument d’une renaissance, l’instrument d’une réparation de l’Histoire. Mais ce n’est pas ce qui se passe. Il est extrêmement difficile de dire aux Israéliens : « Écoutez, ouvrez les yeux. Le 7-Octobre, nous y sommes pour quelque chose. » C’est un langage qui est pour l’instant inaudible. Je ne dis pas qu’il sera inaudible à jamais, mais il faut attendre, il faut se débarrasser de ce gouvernement et ensuite, on verra ce qui pourra être fait. »

Et l’ancien diplomate, qui veut croire que les prochaines élections annoncées en 2026 changeront les choses, car le gouvernement actuel n’est qu’une « version juive du Hamas », d’insister sur la nécessité d’un soutien de la communauté internationale pour parvenir à une situation pacifiée. À ce titre, le fragile cessez-le-feu dans la bande de Gaza, arraché par le président américain le 10 octobre dernier, est incontestablement un premier pas positif après deux ans de carnage qui a fait plus de 70 000 morts palestiniens.

Mais la colonisation en Cisjordanie s’amplifie d’une manière sans précédent et plus de 1 000 Palestiniens, hors de l’enclave, ont été tués depuis le 7 octobre 2023. Or, la colonisation est apparue être la clé d’explication du climat qui a conduit à l’assassinat de Yitzhak Rabin le 4 novembre 1995. L’affrontement entre deux conceptions d’un État juif : une conception dite sioniste classique, celle que Rabin représentait – assurer le salut du peuple – et la conception messianique, religieuse, qui dit que ce qu’il faut assurer, c’est le salut de la terre. Et la colonisation est au cœur de cette conception de la nation. Depuis l’assassinat de Rabin, la conception messianique domine la politique israélienne.  

« Nous avons besoin des autres. Seuls, nous n’y arriverons pas, conclut Élie Barnavi. Car le seul moyen d’entrevoir l’avenir avec optimisme, c’est la paix avec les Palestiniens. Et cela passe par un État palestinien. Il n’y a pas d’autre voie, sinon celle d’un État juif sur l’ensemble du territoire, de la mer au Jourdain, qui serait un État d’apartheid, un État où des gens comme moi ne pourront pas vivre. Ce qu’il faut faire est donc évident. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *