Dette Publique Sénégalaise : Une stratégie de rupture au cœur de la tourmente
La gestion de la dette publique sénégalaise est au centre des débats, suscitant interrogations et interpellations. Face à ce contexte, le Dr. Seydina Oumar Seye, économiste de renom, apporte son éclairage sur les orientations financières actuelles du pays, soulignant la complexité de la situation et la pertinence des choix stratégiques des nouvelles autorités.
Selon le Dr. Seye, l’accélération des émissions obligataires en 2025 – avec 35 émissions, dont 24 Obligations Assimilables du Trésor (OAT) – n’est pas le fruit du hasard mais une réponse à des impératifs immédiats. « Le Sénégal fait face à un déficit budgétaire hérité colossal, évalué à 10,5% du PIB pour la période 2019-2023, bien au-delà des 5,5% initialement annoncés. Cette situation exige un refinancement urgent pour éviter une crise de liquidité extrême », explique l’économiste.
À cela s’ajoute la suspension des décaissements du Fonds Monétaire International (FMI), un montant non négligeable de 1,9 milliard USD, gelé en attente des conclusions de la Cour des Comptes et des renégociations en cours. « Cette situation prive le pays de ressources concessionnelles et nécessaires, rendant le recours aux marchés régionaux d’autant plus crucial », précise le Dr. Seye.
L’Optimisation des Marchés Régionaux : Une Solution Temporaire et Stratégique
Le choix de se tourner temporairement vers les Bons du Trésor Assimilables (BAT) et les OAT sur le marché de l’UEMOA est une démarche stratégique. « Cette approche a permis une mobilisation rapide de fonds, soit 1 694 milliards FCFA en 13 mois, essentielle dans un contexte d’incertitude. C’est une alternative précieuse aux créanciers extérieurs dont les conditions peuvent s’avérer moins flexibles que les instruments régionaux », analyse l’expert.
La nouvelle administration, arrivée aux affaires, a mis la transparence au cœur de sa démarche. « Le gouvernement actuel a audité les comptes publics, révélant des irrégularités passées et transmettant les conclusions à la Cour des Comptes. Cette démarche vise à rétablir la confiance des bailleurs », affirme le Dr. Seye. La future Stratégie de Gestion de la Dette 2025-2027, en cours d’élaboration, confirme cette orientation, insistant sur la transparence et l’alignement sur les objectifs de développement et une approche d’économie endogène.
Quant à l’utilisation des OAT pour financer le fonctionnement courant, le Dr. Seye relativise : « Cela s’explique par l’héritage de dettes opaques à refinancer, liées à des échéances antérieures. La priorité a été donnée à la stabilité socio-économique, notamment le paiement des salaires et le maintien des services publics, avant de relancer les investissements structurants et de revenir à l’orthodoxie budgétaire. »
Le gouvernement sénégalais privilégie une approche de renégociation avec le FMI qui évite une austérité brutale. « Le Sénégal mise sur un pacte national pour l’emploi productif, ciblant des secteurs porteurs, afin de stimuler la croissance sans coupes budgétaires drastiques », explique l’économiste. Il ajoute : « Une rationalisation des dépenses, à travers des audits des contrats publics, est préférée à des réductions généralisées, garantissant ainsi l’efficacité sans sacrifier le tissu social. »
Enjeux et Défis : Des Risques Temporaires, une Gouvernance Renforcée
Certes, des risques à court terme existent. « Les émissions récentes, avec des taux élevés et des maturités courtes, augmentent temporairement le service de la dette. Mais cette option est jugée nécessaire en attendant des conditions plus favorables », souligne le Dr. Seye. La levée record de 499,9 milliards FCFA en mai 2025, bien que témoignant de l’urgence, démontre également la capacité du pays à mobiliser des ressources internes.
La gouvernance et la transparence sont des piliers de la stratégie actuelle. « La publication prochaine des rapports d’exécution budgétaire pour le T4 2024 et T1 2025 répondra aux critiques d’opacité. La création d’une Haute Cour de Justice pour juger les malversations passées et futures est un engagement concret », précise l’expert.
Les réformes structurelles sont également en marche, avec une Loi de Finances 2025 prévoyant une augmentation des dépenses publiques de 15,5%, mais avec un volet « rupture » axé sur l’efficacité des projets (électrification rurale, santé). Le dialogue avec les bailleurs sera relancé en démontrant une gestion vertueuse, notamment par la validation des audits par le FMI.
Pour conclure, le Dr. Seydina Oumar Seye estime que les nouvelles autorités sénégalaises naviguent dans une zone de turbulence avec une approche équilibrée. « En privilégiant la transparence (audits, stratégie de dette formalisée), elles restaurent la crédibilité. En évitant l’austérité via des investissements ciblés (emploi, infrastructures) et en renégociant les termes de la dette extérieure, elles posent les jalons d’une croissance inclusive », affirme-t-il.
Citée par l’économiste, la vision d’Amadou Ba, selon laquelle « le Sénégal a besoin d’un pacte économique mobilisant tous les acteurs », résume l’esprit de cette démarche. « Cette approche équilibrée, bien que son rythme puisse être critiqué, est essentielle pour traverser la crise actuelle et poser les bases d’une croissance durable et pérenne pour le Sénégal », conclut le Dr. Seydina Oumar Seye.
Par Amadou Sabar BA