Syrie: dans le sud du pays, le mouvement de contestation contre le régime se radicalise

Pour le dixième jour consécutif, des centaines de Syriens sont descendus dans la rue mardi à Soueida, dans le sud du pays, pour protester contre le régime. La contestation a éclaté après une hausse vertigineuse des prix et la décision du gouvernement de lever les subventions sur les prix des carburants.

« À bas Bachar al-Assad », ont scandé des centaines de personnes rassemblées mardi dans le centre de Soueida, chef-lieu de la province éponyme, à une centaine de kilomètres de Damas. La foule brandissait le drapeau des cinq couleurs, emblème de la communauté druze issue de l’islam et majoritaire dans cette région. Les slogans à caractère social des premiers jours sont désormais résolument politiques.

La radicalisation du discours des contestataires s’est accompagnée d’un durcissement des actions sur le terrain. Les manifestants ont interdit l’accès aux permanences du parti Baas, au pouvoir en Syrie dans la ville de Soueida, et ont juré d’en faire de même dans l’ensemble de la province. 

« Les manifestations ont lieu dans une cinquantaine de points dans la ville, y compris dans le centre, détaille Bachar Tarabey, militant local et ancien prisonnier politique. Cela va du rassemblement pacifique au blocage des rues, en passant par la paralysie des services du gouvernement ou encore des locaux du Bass. Il y a plusieurs formes de mobilisation et les gens manifestent aussi bien le matin que le soir. On voit beaucoup de monde sortir le soir pour organiser des veillées révolutionnaires. C’est une révolte populaire. Elle a l’air spontanée comme ça mais elle dit une chose profonde : c’est la volonté ferme du peuple d’en finir avec ce régime. Les revendications sont d’abord et avant tout politiques : la fin de ce régime avec tous ses symboles, ses représentants et son vocabulaire. Nous nous attendons à tout de sa part, qu’il réagisse avec ses forces de sécurité bien sûr. Mais nous n’avons pas peur de cela. Nous craignons davantage la trahison qui peut venir de nos rangs. »

Des routes sont en outre bloquées par des protestataires dans plusieurs villes et localités de cette région limitrophe de la Jordanie. Il y a deux jours, une foule en colère a brûlé les portraits du président Bachar el-Assad suspendus aux façades de certains bâtiments publics.

Des zones où la main de fer du régime s’est desserrée 

Le mouvement de contestation est soutenu par d’importantes figures religieuses druzes, qui appellent cependant à préserver son caractère pacifique. Aucun incident grave n’a d’ailleurs été enregistré depuis le début des manifestations et les forces de l’ordre sont soit absentes, soit évitent tout contact avec les manifestants. Historiquement, la communauté druze n’a ni pris les armes contre le régime ni aux côtés de l’opposition, à quelques exceptions près.

Mais cette fois, la contestation gagne des zones restées largement à l’écart du conflit. Et elle est rendue possible car dans ces zones, depuis quelques années, le régime a perdu la main sur l’appareil sécuritaire, explique Firas Kontar, Franco-Syrien opposant au régime. « La main de fer du régime n’est plus présente à Soueida. À Deraa, ils ont une certaine liberté aussi, indique-t-il. Mais dans d’autres localités en revanche, c’est bien plus difficile : à Jeramana, la banlieue druze de Damas, il y a eu une manifestation mais tout a été quadrillé. »

Dans d’autres zones contrôlées par le régime, les Syriens qui n’ont pas la possibilité d’aller physiquement manifester envoient des messages de soutien. De Homs, de Lattaquié. Des pancartes avec les mêmes revendications : en finir avec Bachar el-Assad, continue Firas Kontar. « Le sentiment de ras-le-bol est très fort et c’est devenu une question existentielle pour les Syriens, analyse-t-il. Quand vous voyez les manifestants sortir, parler, ne plus se cacher, dire leur nom ! Et ils le disent : « on ira jusqu’au bout, on ne reculera pas ». » 

Craignant une contagion de cette colère, le régime de Damas a déployé massivement ses forces de sécurité dans plusieurs localités près de la capitale syrienne. 

Soueida 24, un groupe militant pour partager les informations

Un groupe de militants relaie quotidiennement ces manifestations sur les réseaux sociaux. Baptisé Soueida 24, ils veulent informer sur les événements qui ont lieu dans la ville dans un pays où les médias sont contrôlés par le gouvernement. Aujourd’hui, Soueida 24 publie de nombreuses vidéos de la contestation. Mais ce média militant a été lancé en mai 2016. À l’époque, le groupe État islamique s’était implanté à proximité de la ville. Mais pour le régime et les médias officiels, le danger venait des groupes rebelles à l’Ouest, et ils ne disaient mot de la présence du groupe terroriste à l’Est, se souvient Nour Radwan, directeur de Soueida 24.

« Même les gens de Soueïda ne savaient pas tout ce qui se passait autour d’eux, explique-t-il. L’État islamique s’était implanté dans le désert, près de la ville. Et beaucoup de gens à qui j’ai parlé l’ignoraient totalement. Donc je me suis dit que plutôt que de parler à chacun de mes amis de l’EI, ce serait mieux d’ouvrir un réseau local pour que tout le monde puisse savoir. »

Soueida 24, c’est un groupe d’une quinzaine de personnes. Deux d’entre eux sont à l’étranger, les autres vivent sur place. Ils filment, photographient et vérifient les informations qu’ils envoient aux deux personnes installées en Europe. Mais leurs activités les exposent à la répression, souligne Nour Radwan, qui s’exprime d’ailleurs sous pseudonyme. « Personne ne se connaît, précise-t-il. Tous ceux qui sont à Soueida ne connaissent que moi et mon autre collègue qui est aussi en Europe. C’était mon idée car j’ai été militant en Syrie. Et le régime nous arrêtait les uns après les autres. Quand ils arrêtaient quelqu’un, ils obtenaient de lui les noms des autres militants. »

En sept ans d’existence, Soueida 24 s’est imposé dans le paysage médiatique de la ville. Sa page Facebook est suivie par plus d’un demi-million de personnes, dont une majorité de Soueida ou d’autres villes contrôlées par le régime.

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