Narendra Modi à Paris: une visite stratégique
L’Inde sera représentée au sommet sur l’IA par son Premier ministre Narendra Modi. Le leader indien partagera la présidence de la rencontre avec le chef de l’État français. Pour Narendra Modi, c’est sa sixième visite en France. Son programme chargé compte aussi une composante bilatérale, qui le conduira jusqu’à Marseille.
Par : Tirthankar Chanda – SOURCE RFI
Le Premier ministre indien Narendra Modi est à Paris où il co-préside avec le chef de l’État français Emmanuel Macron le Sommet sur l’intelligence artificielle. Face à la domination américaine (Open AI) et désormais aussi chinoise (DeepSeek) dans ce secteur, l’intelligence artificielle s’est imposée au cours des derniers mois comme l’un des champs de collaboration privilégiée entre Paris et New Delhi dans le cadre de leur partenariat stratégique.
L’Inde présentera sa vision pour l’IA et sa vision du développement à travers la maîtrise des technologies de pointe. La rencontre parisienne baptisée « Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle » a pour ambition de réfléchir sur comment mieux utiliser les viviers de talents pour mettre la France, l’Europe, l’Inde sur la carte mondiale de l’IA.
Paris-Marseille
Pour Narendra Modi, c’est sa sixième visite en France depuis son élection à la tête de son pays en 2014. En marge du Sommet sont prévues des rencontres bilatérales avec le président Macron. Au cours de ces rencontres, le leader indien devrait confirmer la commande de 26 Rafale Marines de Dassault et trois sous-marins supplémentaires de classe Scorpène à Naval Group. Ces commandes sont en cours de négociation depuis plusieurs mois avec les entreprises concernées.
Rappelons par ailleurs que la marine indienne dispose déjà de six sous-marins Scorpène, en version indianisée et construits dans les chantiers navals de Bombay en partenariat avec le constructeur français. Quant aux Rafale, une première commande de 36 lots, version avions de chasse, a été livrée à l’armée indienne entre 2020 et 2022.
Le Premier ministre Modi profitera de son passage en France pour se rendre à Marseille pour inaugurer le nouveau consulat indien. Le déplacement du chef du gouvernement indien dans la cité phocéenne pourrait aussi être l’occasion de relancer le projet de construction d’un corridor économique entre Inde-Moyen-Orient-Europe qui avait été dévoilé en 2023, en marge du sommet du G20 à New Delhi. Il est prévu que le port de Marseille soit la tête de pont en Europe de ce corridor gigantesque traversant trois continents, inspiré de l’ancienne « route des épices ». Or, sa réalisation a été retardée par les événements du 7-Octobre en Israël et la guerre à Gaza. Le projet avait toutefois été acté par les principaux pays riverains, dont l’Inde et la France. Ces derniers estiment que le développement de ce nouvel axe ambitieux et sécurisé faciliterait leurs échanges de marchandises, d’énergie et de données numériques et donnerait un coup de fouet à leurs relations bilatérales.
Vouée aux gémonies

Fondées sur la réalpolitique et des intérêts mutuels, les relations franco-indiennes sont au beau fixe. Elles se reposent sur des diplomaties souvent convergentes, marquées par des affirmations d’indépendance stratégique par rapport aux logiques des blocs dont leur pays font traditionnellement partie : le bloc occidental pour la France, les Brics et le « Sud global » pour l’Inde. Soulignant les résonances entre la doctrine de « multialignement » popularisée par les diplomates indiens et la formule « alliée, mais pas alignée » chère à Emmanuel Macron, les politistes Olivier et Nicolas Blarel attirent l’attention sur leurs revendications communes pour une politique étrangère autonome. « Cette synergie a été le ressort de leur partenariat stratégique et coopération », affirment le duo.
« Le tournant dans les relations entre les deux pays date de la présidence de Jacques Chirac », rappelle pour sa part le politologue, spécialiste de l’Inde, Jean-Luc Racine. « La date décisive, poursuit l’Indianiste, c’est 1998, lorsqu’à la suite des essais nucléaires indiens, New Delhi est vouée aux gémonies dans les chancelleries occidentales. Paris est alors la seule capitale à ne pas vouloir sanctionner l’Inde. Le président Chirac va plus loin en faisant passer le message comme quoi la France était prête à envisager des coopérations avec l’Inde dans le nucléaire civil. C’est dans ces conditions que les deux pays se sont engagés dans un partenariat stratégique, dont on a fêté il y a deux ans le vingt-cinquième anniversaire ».
Les Indiens, toutes sensibilités politiques confondues, se souviennent de la solidarité témoignée par Jacques Chirac qui, en ne sanctionnant pas l’Inde, a épargné à cette dernière des années de marginalisation géopolitique. Les relations franco-indiennes connaissent depuis un essor sans précédent. Pour les observateurs, l’alchimie qui caractérise aujourd’hui les relations personnelles entre Narendra Modi et le président français Emmanuel Macron contribue à son tour à l’évolution positive du partenariat franco-indien. La presse indienne s’attache à rappeler le crochet fait par Narendra Modi en juin 2017, alors qu’il se trouvait en Allemagne, pour venir saluer le tout nouveau locataire de l’Élysée, inconnu du grand public hors Hexagone. Modi fut le premier grand leader étranger à venir à sa rencontre.
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« Le courant semble en effet passer entre les deux hommes, concède Jean-Luc Racine, même si les Français ont parfois l’impression que Macron surjoue en quelque sorte, en se prêtant aux embrassades de Modi. Je ne suis pas sûr que le président français fasse des embrassades à tous les chefs d’État et de gouvernement qui achètent des Rafale. Toujours est-il que ces embrassades ne tarderont pas à se traduire par l’expansion des ventes d’armements français à l’Inde, qui fait que la France soit désormais derrière la Russie dont le poids en tant qu principale pourvoyeuse d’armes à New Delhi n’a eu de cesse de baisser. ».
Feuille de route

Les analystes indiens aiment à rappeler que le partenariat franco-indien est l’un des plus anciens des trentaines de partenariats stratégiques que l’Inde a conclus avec les États étrangers. Si la vente d’armes a été aux origines de la romance franco-indienne, les relations bilatérales entre les deux pays se déploient aujourd’hui dans une foultitude de domaines et englobent des secteurs clés tels que l’énergie nucléaire, l’aérospatiale, la recherche et développement, les exercices militaires bilatéraux et multilatéraux, la collaboration dans l’ensemble régional Indo-Pacifique.
La feuille de route établie conjointement par les décideurs indiens et français en 2023, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de leurs liens privilégiés, propose un nouveau partenariat de vaste ampleur qui dépasse désormais les enjeux de sécurité et de défense pour inclure les grands enjeux globaux (climat, environnement, protection des océans, santé), en passant par des échanges humains et économiques et par l’initiative sur les technologies critiques et émergentes, notamment dans le domaine pointu de l’intelligence artificielle.
Amplification et bonne santé, tels sont les signaux qu’envoie la présence de Narendra Modi au sommet parisien sur l’intelligence artificielle aux côtés d’Emmanuel Macron. Leur présence est une opportunité pour leurs deux pays de réaffirmer la robustesse de leur partenariat stratégique.