Russie: après les funérailles, l’amertume des partisans d’Evgueni Prigojine
La cérémonie pour l’ex-patron du groupe de mercenaires, tué dans un crash d’avion, s’est tenue en privé. L’annonce est venue de la société Concord, qui a cependant également invité ceux qui le souhaitaient à lui « faire leurs adieux » au cimetière où il avait été enterré quelques heures plus tôt à Saint-Pétersbourg. Une mission impossible.
Avec notre envoyée spéciale à Saint-Pétersbourg, Anissa El Jabri – RFI
Pas moins de trois cimetières mis en alerte pour creuser des tombes, des fausses cérémonies et des départs de corbillards dans plusieurs endroits de la ville, un ballet de voitures officielles aux vitres teintées et un mystérieux pass aux quatre coins de la ville. La journée de l’enterrement d’Evgueni Prigojine a vu se multiplier les fausses pistes rocambolesques avant que l’annonce de funérailles dans le plus grand secret ne tombe. Evgueni Prigojine n’aura donc rien eu des honneurs que le pays réserve à ceux, comme lui, décorés de la haute médaille « Héros de Russie » : fanfare, escorte et place réservée dans un cimetière militaire de distinction. Même certains commandants de Wagner n’auraient pas pu participer au dernier hommage, selon plusieurs chaînes Telegram de la galaxie.
Le message officiel annonçant les funérailles terminées précisait aussi que « ceux qui veulent lui rendre hommage pourront se rendre au cimetière ». Ils étaient à peine une poignée, mardi 29 août, à essayer et, pour cause, il était interdit d’entrer et le déploiement des forces de l’ordre était très dissuasif : garde nationale postée tous les un mètre à l’intérieur, cordon policier sur la totalité du contour extérieur, cars de la police anti-émeutes. Aucun motif officiel pour cette journée rocambolesque n’a été avancé.
Hommage improvisé devant l’immeuble du groupe Wagner
Quelques-uns des admirateurs de l’ex-prisonnier, devenu homme d’affaires et chef de mercenaires, se sont rabattus en début de soirée sur le mémorial improvisé à Saint-Pétersbourg, en face de ce qui était l’immeuble Wagner inauguré l’automne dernier. « J’arrive du cimetière de Prokhorovskoe », raconte un homme à la large carrure, pantalon vert kaki, casquette du « Z » de l’opération spéciale du président. « Ils ont refusé de me laisser entrer, alors je suis venu ici. J’ai dû conduire tout le long. Je pense que nous devons rendre hommage à cet homme. Mais nos hommes d’État au niveau local, y compris tous les autres, seront-ils d’accord avec cela ? J’en doute. »
Des fleurs rouges par brassées, des bougies, des portraits, des mots d’hommage : sur ce bord de route, ils ne sont qu’une poignée à la fois à se recueillir, mais même à la nuit tombée, la présence est continue. Il y a les curieux d’une personnalité « célèbre », entend-on, et ceux qui ont souvent regardé ses vidéos. « Il était toujours réfléchi, il disait des mots durs et mettait tout sur la table ». Les mots que retient le plus ce Pétersbourgeois ? Ceux où le chef des mercenaires, du champ de bataille en Ukraine, mettait en cause le ministre de la Défense comme son « Choïgou, où sont les munitions ? »
Et puis il y a ce jeune homme avec sa petite amie qui se gare au volant d’une voiture avec un autocollant « Wagner » bien en évidence et qui remâche, lui aussi, son amertume sur ces funérailles secrètes, mais aussi les conditions de la mort d’Evgueni Prigojine : « Que s’est-il passé exactement ? Personne ne donne de réponse précise. Certains disent que les forces de défense aérienne l’ont abattu, d’autres disent que l’avion était piégé. Notre pays a perdu un vrai patriote, un homme qui a créé l’armée la plus prête au combat, et j’en étais honoré. Le jour de l’accident, je suis venu tout de suite. J’avais un drapeau de Wagner avec moi, je l’ai accroché avec un ami, mais il a été retiré pour une raison que je ne connais pas. Et pourquoi exactement les funérailles ont-elles été fermées ? Honnêtement, je ne sais pas ce qui se passe au sommet du pouvoir et pourquoi c’est arrivé comme ça. Mais ce n’est vraiment pas juste qu’un héros de la Russie soit enterré de cette manière. Mais je ne peux pas faire plus de commentaires là-dessus. »
Des autorités qui veulent vite tourner la page
Une forme de rage affleure dans cette galaxie qui se définit comme patriote et qui se sait aujourd’hui sous surveillance. Au cimetière, on a pu voir des policiers en civil serrer de près un admirateur d’Evgueni Prigojine qui tournait autour de l’entrée, la mâchoire serrée, jusqu’à le faire rentrer rapidement dans sa voiture et quitter les lieux.
Ce mercredi 30 août, la presse russe légitimiste se montre laconique dans son récit de la journée de la veille. Les autorités veulent visiblement vite tourner la page. Dans cette Russie où on dépolitise tout, l’exercice ne devrait pas être difficile : si on parle de ces deux derniers mois au bureau, dans les taxis la grande majorité les évoque comme un feuilleton à rebondissements, bien éloigné des préoccupations du quotidien.