Automobile, nucléaire: les tensions Paris-Berlin s’invitent au sommet de l’UE
Les disputes franco-allemandes sur la place du nucléaire dans la lutte contre le changement climatique et l’interdiction des moteurs thermiques en 2035 se sont invitées jeudi au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE.
Les dirigeants des Vingt-Sept ont commencé à arriver en milieu de matinée à Bruxelles et doivent discuter de l’Ukraine et des moyens de renforcer la compétitivité de l’économie européenne jusqu’à vendredi, selon les points officiellement à l’agenda.
Dès son arrivée, Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg, allié de Berlin dans le rejet de l’atome, a défendu sa position. « L’énergie nucléaire? Elle n’est pas sûre, pas rapide, pas bon marché et elle n’est pas respectueuse du climat. Avec des drapeaux européens dessus, ce serait une arnaque », a-t-il lancé.
Une réunion bilatérale franco-allemande est prévue vendredi matin alors que les relations entre les deux puissances européennes sont tendues depuis des mois.
Le contexte est difficile pour le président français Emmanuel Macron, confronté à des manifestations en France contre sa réforme des retraites. Mais aussi pour le chancelier allemand Olaf Scholz, en difficulté dans les sondages et empêtré dans les divisions de sa coalition.
Paris et Berlin se sont affrontés la semaine dernière sur la place du nucléaire dans une proposition de règlement de la Commission européenne en matière de politique industrielle.
La France et une dizaine d’Etats qui misent sur cette technologie souhaitaient obtenir la reconnaissance de l’atome dans les moyens à soutenir pour décarboner l’économie, contre l’avis de l’Allemagne et d’une poignée de pays antinucléaires.
Finalement, Paris a obtenu que le nucléaire soit mentionné, arrachant une victoire symbolique. Mais, en pratique, la filière ne bénéficiera quasiment d’aucun des avantages prévus par le texte comme l’accélération des procédures d’autorisation de projets ou les facilités de financements qui profiteront aux énergies renouvelables.
Emmanuel Macron, qui doit arriver à Bruxelles en début d’après-midi, tentera de convaincre ses homologues de la nécessité d’un soutien plus large. Une bataille s’annonce déjà pour remanier le texte au sein du Conseil qui réunit les 27 Etats membres et au Parlement européen.
Autre pomme de discorde: l’automobile. L’Allemagne a choqué ses partenaires début mars en bloquant un texte clé du plan climat de l’UE sur les émissions de CO2 des voitures qu’elle avait pourtant déjà approuvé.
– Volte-face allemande –
Ce texte, qui imposera de fait les motorisations 100% électriques pour les véhicules neufs à partir de 2035, avait fait l’objet en octobre d’un accord entre Etats membres et négociateurs du Parlement européen, et avait été formellement approuvé mi-février par les eurodéputés réunis en plénière.
Pour justifier sa volte-face, rarissime à ce stade de la procédure, l’Allemagne a réclamé de la Commission européenne qu’elle présente une proposition ouvrant la voie aux véhicules fonctionnant aux carburants de synthèse, une disposition pourtant déjà prévue dans l’accord conclu l’an dernier.
Cette technologie, encore en développement, consisterait à produire du fuel à partir de CO2 issu des activités industrielles en utilisant de l’électricité bas-carbone. Défendue notamment par des constructeurs haut de gamme allemands et italiens, elle permettrait de prolonger l’utilisation de moteurs thermiques après 2035.
L’exécutif européen mène des discussions complexes avec Berlin pour trouver une issue. L’idée est qu’elle précise, dans un texte séparé, comment l’UE pourra accorder à l’avenir un feu vert aux carburants de synthèse, sans remettre en cause ses objectifs de réduction de CO2.
« Il ne s’agit plus que de trouver la bonne manière de mettre en œuvre cette promesse faite depuis longtemps par la Commission. Et si je comprends bien les discussions, c’est en bonne voie », a déclaré le chancelier Olaf Scholz à Bruxelles, assurant que la Commission allait bien soumettre une proposition.
Cette technologie est vivement contestée par les ONG environnementales qui la jugent coûteuse, énergivore et polluante.
Le blocage allemand vient des libéraux du FDP qui cherchent à surfer sur l’impopularité de la fin des voitures essence et diesel.
Plusieurs responsables s’inquiètent d’une remise en cause des procédures de l’UE qui pourrait faire dérailler de nombreux textes, notamment du plan climat européen, si d’autres Etats suivent cet exemple.
« Toute l’architecture européenne de prise de décision s’écroulerait si nous agissions tous comme ça », a critiqué le Premier ministre letton, Krisjanis Karins.
« La plupart des pays disent +on a pris ce cap (du véhicule électrique), ne changeons pas de cap+ », a souligné le chef du gouvernement belge Alexander De Croo.
« On ne souhaite pas revenir sur la date de 2035 », a souligné l’Elysée.
Par Raziye AKKOC, Daniel ARONSSOHN