Guerre en Ukraine: «Changer le commandement militaire russe aussi souvent n’est pas le signe que les opérations vont bien»

Le ministère russe de la Défense a annoncé, mercredi 11 janvier, une réorganisation au sein de l’armée avec la nomination du général Valeri Guerassimov chef d’état-major de l’armée russe, en tant que commandant du groupement combiné de troupes déployées en Ukraine. Proche de Sergueï Choïgou, le ministre russe de la Défense, Guerassimov remplace Sergueï Sourovikine, qui avait été nommé à ce poste il y a seulement trois mois. Entretien avec Julien Théron, politiste, enseignant en conflit et sécurité internationale à Sciences Po Paris et coauteur, avec Isabelle Mandraud, de l’ouvrage Poutine, la stratégie du désordre jusqu’à la guerre

RFI : Que signifie la nomination de Guerassimov à la tête des opérations militaires en Ukraine ?

Julien Théron : Cela fait tout de même beaucoup de réorganisation ! En un an, on a eu la nomination du général Alexander Dvornikof, puis celle du général Sergeï Sourovikine et à présent, on a le général Valeri Guerassimov. Et donc la première chose qui frappe, c’est que cela apparaît un peu comme de l’amateurisme… Car si vous changez le commandant aussi souvent, c’est que les opérations ne vont pas bien ! La deuxième chose, c’est que le général Guerassimov ne va pas fondamentalement changer le cours des opérations, et ce, pour une raison assez simple, c’est qu’il est exactement dans les mêmes formations tactiques, opérationnelles et stratégiques que ses prédécesseurs.

En réalité, si l’on regarde la feuille de route donnée par le Kremlin, on s’aperçoit qu’il lui est surtout demandé de mieux coordonner les opérations. Il y a la coordination évidemment des forces blindées, de l’infanterie, mais surtout de l’armée de l’air qui est sous-utilisée en raison de l’excellente défense de l’espace aérien ukrainien. Mais il y a aussi potentiellement la coordination avec d’autres acteurs, je pense évidemment au groupe paramilitaire Wagner… voire potentiellement aux forces biélorusses qui pourraient faire leur entrée dans le conflit.

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Que sait-on de Valeri Guerassimov ?

Valeri Guerassimov est issu d’une formation extrêmement classique de l’Armée rouge. Il a gravi les échelons progressivement, et il n’y a pas de choses très surprenantes dans son parcours militaire. En revanche, il est assez connu pour avoir incarné la réforme post-2008 des forces armées russes. Et puis surtout parce qu’on a considéré qu’il avait émis une sorte de doctrine qui s’appelait la « doctrine Guerassimov ». En réalité, ce n’est pas du tout une doctrine, mais un article paru en 2014 dans une revue militaire russe dans laquelle il dit qu’il faut « revoir les termes de la guerre ».

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Est-ce que cela peut être une des raisons de sa nomination ? Pas du tout, parce que c’était déjà lui qui était le chef d’état-major, donc les opérations se font quand même sous son contrôle. En outre, les éléments innovants qu’il introduit dans ses idées sont en fait des éléments non militaires : désinformation, contrôle politique, contrôle social, etc. Donc, en termes strictement militaires, en termes conventionnels, ça ne va pas vraiment changer la donne.

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Est-ce que, selon vous, cette réorganisation est une réaction du Kremlin face aux difficultés rencontrées sur les différents fronts en Ukraine ?

Oui, et c’est intéressant, parce que ça veut dire que c’est une décision politique qui s’impose aux militaires. Cela veut dire également que cette conduite politique change fréquemment, et les militaires eux-mêmes ont du mal à s’y adapter. Je considérais ainsi que le général Sourovikine, le prédécesseur de Valeri Guerassimov, avait réussi à imposer au Kremlin un geste très important qui était la retraite de Kherson, en novembre dernier. Rester à Kherson était une décision très politique, et cela n’avait aucun sens d’un point de vue militaire, parce que les forces russes y étaient très exposées. Il était beaucoup plus pertinent, en termes militaires, de se retrancher sur l’autre rive du fleuve pour y améliorer les défenses. C’est le général Sourovikine qui a imposé ça au Kremlin. Mais on voit que cela n’a pas suffi : le Kremlin considère que les efforts sont insuffisants et qu’il faut avoir des victoires qui sont des victoires en réalité plus politiques que militaires.

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