Machine de désinformation russe en Centrafrique

RFI vous invite à plonger dans la machine de désinformation russe en Centrafrique, dans le cadre d’une enquête du consortium Forbidden stories, qui poursuit le travail de journalistes tués ou empêchés de s’exprimer, et dont notre radio est partenaire. Une enquête réalisée sur la base du témoignage d’un ancien collaborateur du groupe Wagner.

Par : François Mazet – Fin juillet 2023, alors que les autorités de la République centrafricaine s’apprêtent à faire voter une nouvelle Constitution qui permettra au président du pays Faustin-Archange Touadéra de postuler à un troisième mandat, je partage un soft dans un bar de Bangui avec Héritier Doneng et deux confrères d’une chaîne de télévision internationale.

Cheville ouvrière des rassemblements organisés pour donner un vernis populaire au projet du chef de l’État, le jeune homme est un bon interlocuteur pour les journalistes : son français n’est pas très châtié, sa voix peu mélodieuse, mais il ne rechigne jamais à exposer les arguments du pouvoir avec le sourire. Maître d’œuvre de nombreuses campagnes de communication pour le gouvernement, ce qui lui a notamment valu d’être invité en Russie, il est ministre de la Jeunesse et des sports depuis janvier 2024.

Il nous accompagne ensuite quelques centaines de mètres plus bas pour tourner des images devant le monument Ti Bata Siriri Na Be Africa, « préservons la paix en Centrafrique », inauguré par le président Touadéra en décembre 2021 pour saluer la coopération avec la Russie. On y voit quatre soldats russes armes à la main, défendant une femme noire à genoux et ses deux enfants.

Une femme déposant une gerbe de fleurs au pied d'un monument à Bangui le 23 février 2022 représentant des soldats centrafricains et des hommes armés russes protégeant une femme et ses enfants.
Une femme déposant une gerbe de fleurs au pied d’un monument à Bangui le 23 février 2022 représentant des soldats centrafricains et des hommes armés russes protégeant une femme et ses enfants. AFP – CAROL VALADE

Alors que mes confrères réalisent leur interview, surgit une grappe d’une douzaine de jeunes qui se postent à l’arrière-plan. Entre leurs mains, des feuilles A4 portant les éléments visuels du groupe paramilitaire russe Wagner, comme la tête de mort.

NewsletterRecevez toute l’actualité internationale directement dans votre boite mailJe m’abonne

L’instant d’avant, l’un d’entre eux avait récupéré la pile de feuilles auprès d’un 4×4 qui venait de s’arrêter sur le boulevard. De la fenêtre baissée du véhicule, on avait vu sortir une main blanche. Cette main était-elle celle de Micha, ou Michel, comme il se fait appeler à Bangui, où il œuvre depuis 2019 ?

Selon les éléments d’enquête du consortium Forbidden stories, auquel s’est associée RFI, Mikhail Mikailovitch Prudnikov demeure aujourd’hui l’un des principaux rouages de la stratégie de communication russe en République centrafricaine, aux côtés de Dimitri Sytyi.

Dimitri Sytyi (au centre), posant avec des officiels centrafricains, à Bangui, le 15 octobre 2021.
Dimitri Sytyi (au centre), posant avec des officiels centrafricains, à Bangui, le 15 octobre 2021. AFP – –

À l’époque, en juillet 2023, Evgueni Prigojine est au sommet de sa puissance. Il vient de défier ouvertement le pouvoir de Moscou. Un mois plus tard, l’avion le transportant sera victime d’une explosion en vol. Néanmoins, la mort du patron de la nébuleuse Wagner n’a pas altéré la présence de ses hommes sur le continent africain, et encore moins en Centrafrique, où la composante informationnelle demeure un des axes de leur action.

Pour faire tourner la machine de propagande, les Russes emploient des acteurs locaux. Pour la première fois, l’un d’entre eux parle à visage découvert, après avoir fui le pays dans des conditions rocambolesques grâce à la PPLAAF, la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique. Il confirme avec des faits, des chiffres et des documents de nombreuses informations jusque-là considérées comme probables mais jamais étayées. Il raconte de l’intérieur le fonctionnement d’un système aujourd’hui en phase de duplication dans d’autres pays du continent. Il s’appelle Ephrem Fidèle Yalike Ngonzo, et travailler pour le groupe Wagner a failli lui coûter la vie. Voici son histoire.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *