Russie: le contrôle étatique de l’expression publique sur les réseaux sociaux s’accélère

Ce lundi 1er septembre entrent en vigueur en Russie plusieurs lois visant, encore une fois, à encadrer les modes de communication. Elles s’ajoutent à d’autres mesures déjà en vigueur depuis cet été. Certaines d’entre elles sont assumées et décidées officiellement, d’autres beaucoup moins.

Par : Anissa El Jabri, correspondante RFI à Moscou,

Le filet de contrôle est de plus en plus large, et ses mailles de plus en plus serrées. Ses manifestations sont, elles, diverses. Depuis ce printemps et surtout cet été, les coupures internet sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues.  Même si cela dépend des régions : certaines, comme Moscou – hors événement d’importance comme un rendez-vous diplomatique – sont globalement épargnées, quand le sud-est de la Russie est particulièrement touché, avec des coupures qui ont atteint plusieurs jours d’affilée à Krasnodart ou Sotchi. La région de Nijni-Novgorod est, elle, encore aujourd’hui en première ligne pour les coupures.

L’impact est majeur dans un pays à l’économie très numérisée, où il est par exemple parfaitement normal de payer au marché ses courses via ce qu’on appelle « piérévod », soit un transfert électronique de banque à banque via simplement le numéro de téléphone du vendeur.

Des services préservés en cas de coupure

Impossible de savoir réellement à quoi cela est dû exactement. Alors que le phénomène a pris beaucoup d’ampleur, les autorités évoquent à chaque fois des raisons variées, toutes dans des termes techniques : des dégradations d’équipement, des ralentissements ou bien des restrictions partielles. Mais, signe qu’elles anticipent une installation de ces coupures dans la durée, elles préparent actuellement un plan avec des listes dites « blanches » de services d’importance critiques, soit des services qui seront, quoi qu’il arrive, toujours préservés en cas de coupure.

A priori, les applications de taxi, celles des banques et des services gouvernementaux seraient dans cette liste qui devrait être établie d’ici à la fin de l’année 2025. Certains craignent déjà qu’en réalité, cela permette d’installer dans certains endroits des coupures quasi permanentes… Cela sans créer trop de ruptures dans la vie quotidienne, puisque les services de base seront toujours disponibles.

En parallèle, le pouvoir cherche à renforcer son contrôle sur l’expression sur les réseaux sociaux et les messageries. Adieu WhatsApp et Telegram, ou presque : le 13 juillet dernier, Roskomnadzor, le gendarme russe de l’internet, annonçait sans crier gare l’interdiction des appels depuis ces messageries, officiellement pour lutter contre les tentatives d’arnaque et d’escroquerie. Aujourd’hui, il est encore possible de passer des appels depuis ces messageries, mais pas tout le temps, et pas pour tout le monde. Ils sont le plus souvent a minima perturbés, et l’appel en vidéo ne marche plus. Il reste encore possible en revanche de recourir aux messages écrits.

Un blogueur russe alerte sur la messagerie Max

Il faut dire que WhatsApp et Telegram sont très populaires en Russie, utilisées par environ deux tiers des habitants. Telegram est même le canal qu’utilisent les blogueurs « Z », ceux qui soutiennent activement l’offensive russe en Ukraine. Les autorités, elles, poussent activement à l’utilisation d’une messagerie nationale. Son nom ? Max, un prénom courant et donc familier pour les Russes. Un nom rassurant sur le papier, mais, sans surprise, Max ne brille pas par ses performances en termes de confidentialité des échanges. Il n’utilise aucune technologie de chiffrement dite « de bout en bout », ce qui rend toutes les communications passant par cette plateforme aisément interceptable aux grandes oreilles des services.

Il y a une dizaine de jours, un blogueur disait même que « Max demande systématiquement l’accès à l’appareil photo de votre téléphone, au micro, aux contacts, à votre géolocalisation et même à tous vos fichiers, l’accès aussi à Bluetooth, aux adresses IP et au temps d’activité. Il collecte aussi des données sur les autres applications que vous avez installées. Il lit le contenu des photos, et peut même aller les stocker quelque part. »

Le blogueur qui a fait cette vidéo, se voulant un avertissement détaillé, a engrangé en quelques jours 500 000 vues sur TikTok, avant de la supprimer. Motif avancé : ne pas attirer l’attention sur lui et éviter « des gars en uniforme qui viendraient frapper à ma porte ». Critiquer Max en Russie, une messagerie lancée à la demande expresse du chef de l’État, est sans aucun doute un exercice risqué.

Interdiction de faire la publicité des VPN

Max, prévenait aussi ce blogueur retourné dans l’anonymat pour le grand public, « est parfaitement conforme à la nouvelle loi sur la recherche de contenus extrémistes sur Internet. C’est très pratique. Vous cherchez quelque chose sur Google, et votre nom de famille peut être immédiatement connu. Vous êtes redirigé vers le portail des services gouvernementaux et hop, vous recevez votre amende»

Cette loi qu’il évoquait entre, elle aussi, entre en vigueur lundi 1er septembre. Il sera interdit de faire des recherches de contenus dits « extrémistes », sans que l’on sache exactement ce que recouvre ce terme, ce qui laisse ouverte la possibilité d’une application à la discrétion des forces de sécurité. La peine prévue est, à ce stade, pour une personne privée, une amende entre 3 000 et 5000 roubles, soit au maximum 60 euros environ au cours actuel.

Quant aux VPN, ce système qui permet de se localiser dans d’autres pays, et donc d’avoir accès à des contenus interdits et bloqués en Russie, ils ne sont pas interdits, en tout cas pour l’instant. Mais là aussi, à partir de ce lundi, autre nouvelle mesure : il sera interdit d’en faire la publicité. Les amendes en cas de non-respect de la loi sont bien plus lourdes : jusqu’à 80 000 roubles, environ 950 euros, pour les citoyens ordinaires. Or la communication sur les VPN est d’une importance cruciale. Toute personne qui y a recours en Russie le sait : les VPN populaires deviennent au fur et à mesure bloqués, et il faut, au moins une fois par an, partir à la recherche d’un nouveau.

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