16 juillet 1945: l’explosion de «Gadget», la première bombe atomique
L’expérience, conduite par l’équipe du projet Manhattan, reçoit le nom de code « Trinity ». Menée en secret, elle n’a pas pour objet d’effectuer une simple démonstration de force qui mènerait le Japon à capituler sans condition, mais de préparer le largage de deux autres bombes sur des zones intensément peuplées, les 6 et 9 août 1945, à Hiroshima et Nagazaki.
Par :Olivier Favier – QOURCE RFI
C’est en 1932 qu’un physicien néo-zélandais, Ernest Rutherford, se rend compte que la cassure d’un atome peut libérer de grandes quantités d’énergie. En 1933, le Hongrois Leo Szilard développe le concept de réaction en chaîne : un atome brisé par des neutrons en libère d’autres qui viennent briser d’autres atomes à leur tour. En France, en 1934, Irène et Frédéric Joliot-Curie découvrent le principe de la radioactivité induite : un corps peut être rendu radioactif par exposition à des rayonnements. En 1938, deux savants allemands, Otto Hahn et Fritz Strassmann, décrivent ce phénomène. L’apport de la physicienne autrichienne Lise Meitner est capital dans cette dernière avancée, mais elle a dû quitter l’Allemagne du fait de ses origines juives. Grâce à elle, l’information circule auprès d’autres scientifiques et parvient jusqu’aux États-Unis.
Dès avril 1939, les nazis ont lancé le « projet uranium ». L’hypothèse d’une bombe est posée en fin d’année. Elle s’avère vite irréalisable, par manque de matières premières et du fait de mauvaises interprétations scientifiques. Vers la fin de la guerre, leurs recherches se concentrent avec succès sur les premiers avions de chasse dotés d’un moteur à réaction ou les premiers missiles, les V2. Pour Leo Szilard, émigré aux États-Unis, la possibilité de « bombes d’un nouveau type et extrêmement puissantes » est évidente et les chances allemandes d’en réaliser une beaucoup plus grandes qu’elles ne le sont en réalité. Il écrit ainsi une lettre au président Franklin Delano Roosevelt, qu’Albert Einstein accepte de cosigner. Roosevelt demande la création d’un comité consultatif, lequel confirme rapidement les affirmations de Szilard.

Robert Oppenheimer entre en scène
En Grande-Bretagne, d’autres chercheurs exilés allemands et autrichiens progressent, eux aussi, depuis 1939 sur l’hypothèse d’une bombe. Il faut attendre 1941 pour qu’une coordination entre Britanniques et États-Uniens se mettent en place sur ce point. L’année suivante, Enrico Fermi, un scientifique juif italien réfugié aux États-Unis après la promulgation des lois raciales, parvient à provoquer une première réaction en chaîne contrôlée. Dès 1943, les moyens déployés par le programme états-unien sont tels que les Britanniques s’y retrouvent littéralement absorbés. L’urgence porte encore sur la course au nucléaire en Europe. Le directeur scientifique du projet Manhattan s’appelle Robert Oppenheimer. Cette fonction et son charisme vont rapidement éclipser les chercheurs précédemment cités.
En septembre 1942, il est apparu nécessaire de rassembler les recherches sur les armes nucléaires, dans un site unique. Le lieu choisi par Oppenheimer se trouve à Los Alamos, au Nouveau-Mexique, dans le sud des États-Unis. À la fin de la guerre, la communauté rassemble quelque 1 100 chercheurs et plus de 5 000 habitants. À Washington, Leo Szilard et le président Roosevelt partagent leurs inquiétudes sur la question du contrôle des armes nucléaires. La mort de ce dernier en avril 1945 plonge les scientifiques impliqués dans l’inconnu. De fait, la capitulation nazie du 8 mai n’interrompt pas les recherches. La résistance japonaise se fait plus meurtrière à mesure que les troupes états-uniennes se rapprochent de l’archipel. C’est donc sur lui qu’il conviendra d’« essayer » la bombe.
Successeur de Roosevelt, Harry S. Truman découvre l’existence du projet Manhattan. C’est lui qui désormais dictera la doctrine états-unienne. L’explosion d’une bombe, explique Robert Oppenheimer, ferait 20 000 morts, un chiffre bien loin de la réalité. Il propose donc une simple démonstration loin d’un lieu densément habité. Cette idée est rejetée au profit d’un site militaire entouré de quartiers ouvriers où la bombe s’abattra sans avertissement. La crainte d’un dysfonctionnement de la bombe, qui serait alors peu dissuasive, amène Oppenheimer et Fermi à se ranger à l’hypothèse du bombardement d’un site. Aucun des scientifiques interrogés n’a pourtant connaissance que dès fin mai, les Japonais envisagent une capitulation, ce dont les autorités politiques sont en revanche parfaitement au courant. Trois bombes sont fabriquées. Deux exploseront en août à Hiroshima et Nagasaki.

Quelle puissance aura la bombe ?
Un premier essai est prévu dans une zone déserte du Nouveau-Mexique, l’extrémité nord du champ de tir d’Alamorgodo. Une équipe de 250 personnes s’est installée à une quinzaine de kilomètres de là. Le jour de l’explosion, trois sites d’observation sont placés à 9 km, sur trois directions. Mais la plupart des observateurs, dont Oppenheimer, resteront à une trentaine de kilomètres. Une enceinte, surnommée Jumbo, est construite afin de récupérer la matière fissile en cas de long feu, le risque étant alors un très puissant dégagement de radioactivité, malgré une faible explosion. La bombe est surnommée « Gadget ». Elle est placée 30 mètres au-dessus du sol pour limiter les contaminations radioactives et se rapprocher au mieux des conditions d’un largage depuis un bombardier.
Aucun des scientifiques n’est en mesure de prévoir la puissance de la bombe. Oppenheimer, décidément prudent, penche pour l’équivalent de 300 tonnes de TNT quand un de ses collègues en prévoit 45 000 tonnes. L’explosion en produira 21 000. Pour des raisons météorologiques, l’essai est prévu entre le 18 et 21 juillet, mais est avancée le 16 pour des raisons politiques. Il a lieu à 05h29mn21s du matin. Le bruit se fait entendre jusqu’à 160 km, tandis que les observateurs voient les montagnes s’éclairer comme en plein jour sous l’effet de l’immense champignon, qui s’élève jusqu’à plus de 12 000 mètres d’altitude. Bien plus tard, Oppenheimer dira avoir pensé en cet instant à un texte hindou : « Maintenant je suis la Mort, le destructeur des mondes. » Il ajoutera : « Je suppose que nous avons tous pensé cela, d’une façon ou d’une autre. »

