“Je pense qu’il se laissera guider par son ego”: pourquoi l’opération israélienne en Iran place Trump dans une situation délicate
Donald Trump a quitté prématurément le sommet du G7 pour traiter des “choses importantes” – sa manière à lui de désigner la guerre entre Israël et l’Iran. Le président américain, qui avait promis à ses électeurs de mettre fin aux guerres, va-t-il envoyer des bombardiers américains pour détruire les installations nucléaires iraniennes? L’expert en défense Roger Housen analyse les signes avant-coureurs: “Je pense qu’il se laissera guider par son ego et se dira :’Je serai le président qui aura, une bonne fois pour toutes, réglé la question iranienne.’”
Luc Beernaert / Traduction:A.MA 17-06-25, 16:43
L’idée que Trump chercherait à favoriser des négociations entre les deux parties, comme l’a suggéré le président français Emmanuel Macron après le départ soudain de Donald Trump du G7, a été immédiatement rejetée par le principal intéressé. “Macron n’a aucune idée de pourquoi je pars, il s’agit de quelque chose de plus important que ça”, a-t-il déclaré.
Ce “quelque chose de plus important” laisse-t-il sous-entendre que les États-Unis pourraient participer aux opérations militaires d’Israël contre l’Iran?
Roger Housen: Il est encore tôt, et à Washington, y compris au sein du Parti républicain, deux camps s’affrontent. D’un côté, les faucons, autour du sénateur Lindsey Graham, qui poussent pour une solution finale, c’est-à-dire porter un coup décisif à l’Iran. De l’autre, les colombes, qui disent : “Si nous nous en prenons à l’Iran, le retour de bâton sera immédiat: des attentats contre des installations militaires américaines dans la région, peut-être même sur le sol américain, une escalade du conflit impliquant les Houthis et des factions dissidentes de l’État islamique, sans oublier des répercussions sur le golfe Persique et une flambée des prix du pétrole.”
Quel camp aura le plus d’influence sur Trump?
Je pense que ce sera un compromis entre les deux: un soutien depuis l’arrière-plan. Les États-Unis continueront d’appuyer Israël, comme ils le font déjà, en interceptant avec leurs chasseurs les missiles et drones iraniens. En parallèle, ils aideront Israël en fournissant davantage de missiles et de bombes, afin que les Israéliens puissent intensifier leurs frappes contre l’Iran. Mais je pense que les États-Unis éviteront une implication directe.
Ensuite, une question déjà posée plusieurs fois par Israël refera surface: “Donnez-nous les bombes GBU-57, ces bombes anti-bunker nécessaires pour neutraliser les principales installations nucléaires iraniennes enfouies en profondeur.” Ces bombes de 14 tonnes ne peuvent être larguées que par des bombardiers américains B-2. Si les Américains acceptent cette demande, ils entreront de facto en guerre. Ce serait une opération d’envergure, car il faut détruire ces installations par vagues de bombardements, en forant littéralement un trou à travers les couches de protection avec des bombes successives jusqu’à atteindre la cible.
Le fait que les Américains aient acheminé 30 avions ravitailleurs en Europe indique-t-il qu’ils comptent déployer leurs chasseurs au-dessus de l’Iran?
“Ces avions ont un double objectif: permettre le ravitaillement en vol des chasseurs américains qui aident actuellement les Israéliens à intercepter les drones et missiles. Israël ne dispose lui-même que d’une dizaine d’avions ravitailleurs, d’où l’envoi d’un renfort par les États-Unis. Mais en plus, les Américains déploient un porte-avions supplémentaire dans la région, à bord duquel se trouvent 70 chasseurs, qui devront eux aussi pouvoir se ravitailler en vol.
Trump se retrouve dans une situation délicate, lui qui avait promis pendant sa campagne électorale de mettre fin aux guerres, et qui est maintenant susceptible d’y participer?
“Exactement: il se retrouve pris en tenailles au sein même de son propre parti. En plus, il subit la pression de Netanyahu et devra réfléchir aux conséquences économiques possibles d’une intervention américaine dans cette guerre, ainsi qu’à l’impact sur la sécurité intérieure. Mon intuition me dit que Trump finira par dire: ‘On y va.’ Tout simplement parce qu’on lui soufflera que c’est l’occasion idéale d’éliminer la menace iranienne pour longtemps. Que c’est le moment de porter un coup décisif à l’Iran. Je pense qu’il se laissera guider par son ego, en se disant : ‘Je peux devenir le président qui aura, une bonne fois pour toutes, réglé la question iranienne.’
Cette question sera-t-elle vraiment réglée une fois que les installations nucléaires auront été détruites?
L’Iran sera certes affaibli et mettra des années à se remettre militairement, mais il possède toujours le matériel et le savoir-faire pour fabriquer des armes nucléaires. On n’atteint son objectif stratégique que si l’on parvient à empêcher l’Iran de produire des armes nucléaires pendant de longues années. Mais ensuite? Je fais le parallèle avec Kadhafi: on pensait que les problèmes en Libye seraient réglés en éliminant Kadhafi, mais depuis, ce pays est devenu une plaie ouverte.”
“Ce problème guette aussi en Iran: si on réduit l’armée en poussière et qu’on ramène le pays à l’âge nucléaire préhistorique, un régime prêt à coopérer avec l’Occident verra-t-il le jour ou bien assisterons-nous à un scénario à la libyenne, avec des factions rivales et davantage de problèmes? J’imagine que le Mossad et la CIA travaillent là-dessus et cherchent à influencer l’opinion publique iranienne. Ce qui m’interpelle aussi, c’est qu’Israël veille à éviter les victimes civiles en Iran, contrairement à l’Iran qui cible surtout des civils en Israël. Il y a plus que la simple volonté de rendre l’Iran militairement impuissant: Israël veut aussi provoquer un changement de régime en Iran.”
C’est exactement ce que Poutine veut aussi à Kiev, ce qui constitue une demande déraisonnable pour l’Occident?
N’oubliez pas que Moscou et Téhéran ont tissé des liens étroits depuis le début de la guerre en Ukraine. L’Iran a fourni des drones et de la technologie drone aux Russes. Ces derniers veulent aussi jouer un rôle dans ce dossier, surtout après avoir perdu leur base militaire en Syrie suite à la chute d’Assad. Poutine ne veut pas non plus perdre l’Iran et cherchera à lier la guerre là-bas avec celle en Ukraine. Comment? En laissant entendre que si l’Occident aborde l’Iran avec des freins, il serait prêt à faire des concessions sur l’Ukraine. Certes, je laisse libre cours à mon imagination, mais il est certain que les Russes veulent garder un pied dans la porte et s’assurer que le régime à Téhéran reste au pouvoir.”
Est-il naïf de penser que ces avions ravitailleurs et ce porte-avions ne sont qu’une forme de dissuasion à l’égard de Téhéran, et que cela n’ira pas jusqu’à une participation américaine au combat?
Non, car c’est en effet la deuxième option : que les États-Unis intensifient la pression, en déployant leurs B-2 et leurs bombes anti-bunker, puis disent : ‘Téhéran, à vous de choisir: concluez un accord solide qui arrête votre programme nucléaire et que nous pourrons contrôler jour et nuit ou nous bombardons tout.
Le G7 affirme qu’Israël a le droit de se défendre et que l’Iran ne doit jamais développer d’armes nucléaires. Est-ce un feu vert pour les États-Unis pour participer aux bombardements?
“C’est en tout cas un raisonnement étrange de la part du G7, car on ne se défend que lorsqu’on est attaqué. Or, c’est Israël qui a lui-même lancé l’attaque, sans menace imminente d’une offensive iranienne. Une telle attaque va à l’encontre des règles du droit de la guerre. Je ne comprends pas la logique du G7. C’est une question pertinente: était-ce une bonne décision pour l’Occident de se ranger ainsi derrière Israël? Pensez à l’invasion américaine de 2003 en Irak (pour des armes de destruction massive soi-disant présentes, mais finalement inexistantes): cela a généré beaucoup de ressentiment contre l’impérialisme occidental au Moyen-Orient et dans le monde musulman. Ce ressentiment est toujours là, et des déclarations comme celles-ci peuvent l’alimenter. La position du G7 me semble un peu imprudente.
La décision sera-t-elle prise aujourd’hui, concernant l’implication totale ou non des Américains dans le conflit?
Ils ne feront pas de fanfare en annonçant ça. Si jamais ils décident de passer à l’action — et mon intuition me dit que Trump saisira l’occasion pour porter un coup décisif à l’Iran, nous ne le saurons qu’au moment où les bombardiers américains largueront leurs charges.

