Trafic des produits de la faune au Sénégal : quand la loi favorise le braconnage
Vieux de 38 ans, le Code de la chasse et de la protection de la faune adopté en 1986 ne considère pas le trafic illégal d’espèces fauniques comme un crime, mais juste comme seulement un délit. Les personnes jugées coupables de cette infraction ne craignent pas les sanctions judiciaires et leur séjour en prison est le plus souvent de très courte durée. Cette enquête, motivée par une recommandation des chercheurs de GI-TOC ((Initiative globale contre la criminalité transnationale organisée-ndlr) lors d’une formation de journalistes ouest-africains, sur la pêche illicite, les crimes environnementaux et la traite, organisée en avril 2024, préconise une surveillance accrue du parc Niokolo-Koba pour qu’il ne devienne pas une niche de criminels, et conclut que l’obsolescence de la loi, impacte négativement la faune sauvage.
« Le Code de la chasse et la protection de la faune est caduque. Il n’a pas prévu certaines infractions actuelles. Même les sanctions sont légères. C’est pourquoi, il y a souvent des récidivistes ». Ces propos du capitaine Abdoulaye Ndiaye, responsable du Système d’Information Géographique à la Direction des Parcs Nationaux, attestent de l’obsolescence du texte qui réprime le trafic d’espèces protégées au Sénégal. Promulgué en 1986, le Code de chasse et protection de la faune de 1986, vieux de trente-huit (38) ans réglemente le trafic de la faune au Sénégal. Les faibles peines ne condamnent pas assez les trafiquants.
Plusieurs cas d’infractions relatives au commerce illégal des espèces fauniques, répertoriés dans le rapport annuel 2023 de l’organisation de la société civile, Eagles Sénégal, montrent que les peines infligées aux trafiquants dépassent rarement deux mois. Le 21 février 2023 par exemple, une opération mixte du Commissariat central de Kédougou, en collaboration avec la Direction des Parcs Nationaux et l’ONG Eagle Sénégal a permis l’arrestation d’un homme en flagrant délit. Aly Bonkoungou, de nationalité burkinabé, se trouvait dans un restaurant de la ville, en possession d’une peau de léopard, d’une peau de crocodile, d’une tête et d’une peau de lion, et d’une tête de crocodile. Après deux semaines d’audition, le tribunal de première instance de Kédougou, au Sud-Est du Sénégal, l’a jugé coupable d’importation, de détention, de mise en circulation et de tentative de commercialisation de dépouilles d’espèces intégralement et partiellement protégées. Il a été condamné à un mois d’emprisonnement ferme.
Dans la même juridiction, Sonkolo Coulibaly, déclaré coupable de trafic d’espèces animales protégées a écopé d’un mois d’emprisonnement ferme. Le trafiquant, de nationalité malienne avait été arrêté à Moussala, une ville située à la frontière du Sénégal et du Mali, suite à un signalement de deux trafiquants. Arrêtés quelques mois plus tôt, en flagrant délit de détention, circulation et de commercialisation d’une peau de léopard, ceux-ci avaient déclaré Sonkolo Coulibaly comme étant le propriétaire de ces pièces animales. Or, c’est une espèce protégée car menacée de disparition. Pour Eagle, les sanctions prononcées sont minimes comparées à la gravité des infractions commises.
En effet, le léopard est inscrit dans l’Annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Il fait partie des mammifères intégralement protégés. Le Sénégal en est signataire.
Une recherche publiée en 2016, indique que ce mammifère a perdu entre 86 et 95% de son aire de répartition historique en Afrique de l’Ouest. D’après CITES, les léopards ont « complètement disparu de certaines parties du Sahel occidental et de la majeure partie de la ceinture côtière ouest-africaine » et « sont maintenant limités à quelques aires protégées du Sénégal ».
Niokolo Koba, un parc national sous l’étau de braconniers
Le trafic de la faune en Afrique de l’ouest s’est beaucoup développé au Sénégal. L’Initiative globale contre la criminalité transfrontalière (GITOC) en atteste dans son étude portant sur l’analyse approfondie du cadre de résilience face à la criminalité organisée en Afrique de l’Ouest publié en 2023. D’après les résultats de cette recherche, le Parc national de Niokolo-koba, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1981, subit la pression de braconniers qui exportent la marchandise en République de Guinée, en Gambie, si ce n’est au Sénégal même, à Kédougou et à Dakar. Ces espèces sauvages sont surtout commercialisées dans « les marchés hebdomadaires de Youkounkoun en Guinée, Salémata, région de Kédougou et Wassadou, à Tambacounda au Sénégal », signale le capitaine Ndiaye. En novembre 2023, une autre étude de la GITOC a révélé que, « le braconnage généralisé (d’espèces de grande valeur comme des animaux sources de viande de brousse) constitue une menace majeure pour la biodiversité́ du Parc du Niokolo-Koba ». Les procès-verbaux d’arrestation destinés au jugement au tribunal d’instance de Tambacounda dont nous avons obtenu des copies, confirment l’existence du braconnage dans le parc.
Touré, chasseur professionnel ; est un trafiquant au sein même du parc de Niokolo-koba. Conscient du caractère illicite de ses activités, il mise sur ses protections mystiques pour tirer indifféremment sur toutes les espèces qu’il rencontre. « J’abats des panthères, des lions. Je vends tous types de peaux : de lion, de hyène, de crocodile et même de girafe », explique avec fierté, Touré, qui totalise vingt-huit années d’expérience de chasse et de vente. Son butin est commercialisé en Guinée. Pour cela, il dit ne pas être en marge de la loi sénégalaise.
Aujourd’hui affaibli par l’âge, Tamba, un ancien braconnier a arrêté ses activités de chasse. De 1988 à 2015, il a toujours abattu des animaux dans le parc sans être inquiété. Il dit n’avoir jamais été arrêté car, il avait plusieurs cachettes au sein du parc qui couvre une superficie de 9 cent 13 mille hectares.
« Il y a des endroits difficiles d’accès pour les agents et faciles pour servir de refuges aux braconniers », explique le directeur des Eaux et forêts, Abdoulaye Dione. Le capitaine Abdoulaye Ndiaye, responsable du bureau Système d’Information Géographique à la Direction des Parcs Nationaux, est du même avis. « Les braconniers s’infiltrent dans des zones contiguës des pays limitrophes ». Selon des informations recueillies auprès de la cellule anti-braconnage du dit parc, en moyenne, cinq braconniers sont arrêtés par mois sauf pendant l’hivernage. Pour cause d’impraticabilité des routes, de réduction de la visibilité et de l’éparpillement des animaux, les surveillants sont ralentis dans leurs rondes. Le parc est composé de six brigades de surveillance.
Au cours de cette enquête, nous avons échangé avec un ancien surveillant du parc national de Niokolo-koba, qui a requis l’anonymat. D’après lui, la porosité des frontières, le déficit de formation et le caractère sophistiqué du trafic font partie des causes majeures de l’essor de la criminalité faunique au Sénégal. « Le Sénégal ne dispose pas d’une bonne protection de ses frontières », déplore-t-il. Les hommes du Groupe d’Action Rapide Surveillance et Intervention au Sahel (GARSI), chargés spécialement de la surveillance des axes frontaliers, « ne sont pas formés à la criminalité faunique », informe-t-il. La tâche des forces de sécurité est de plus en plus complexe car, « les modes de trafic deviennent de plus en plus sophistiqués ». Par exemple, « les peaux sont découpées en ceinture » pour les soustraire à la vigilance des surveillants, explique notre source qui poursuit : « le parc de Niokolo-koba doit être équipé pour une bonne surveillance ». Malgré cette vulnérabilité, le Comité du patrimoine mondial de l’Unesco a retiré Niokolo-Koba de la liste du patrimoine mondial en péril le 30 juillet 2024, suite aux efforts déployés par l’État.
En octobre 2022, le gouvernement du Sénégal avait initié une modernisation de la Direction des Eaux et forêts. L’ancien président de la République Macky Sall et son gouvernement avaient signé un contrat d’armement de 45,3 milliards de francs CFA en 2022 avec l’entreprise Lavie Commercial Brokers du nigérien Aboubacar Hima alias “Petit Boubé”. Le marché devait permettre l’équipement de la direction des Eaux et forêts, chasses et conservations des sols, en véhicules d’intervention et de matériels techniques. Cet accord a été très critiqué par la classe politique sénégalaise qui y voyait un parfum de corruption.
En décembre 2022, Aliou Ndoye, ministre de l’Environnement avait annoncé le démarrage de la réception du matériel. Depuis lors, aucune autre information officielle sur la disposition du matériel n’est donnée. Le contrat reste encore un mystère. En mai 2024, l’actuel Premier ministre, Ousmane Sonko, a souligné l’urgence d’auditer ce financement. Affaire à suivre !
La plupart des trafiquants n’ont pas été en prison
La majorité des condamnés ont passé sept jours en détention
Mamadou Lamine Goudiaby, spécialiste de l’écosystème urbain et côtier, s’indigne des lacunes juridiques du Code de la chasse, qui ne dissuade pas assez les trafiquants d’espèces fauniques. « Dans les aires marines protégées, la pêche à la tortue est interdite, mais il se trouve que les communautés locales s’y adonnent ». Dans d’autres pays, ils risquent la prison. Or, au Sénégal, « ce ne sont que des amendes et un règlement à l’amiable qui sont notés », regrette-t-il. Pour Mamadou Lamine Goudiaby, chercheur à l’Institut des Sciences de l’Environnement (ISE) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, « si on applique la détention, les gens seraient moins enclins à prendre ces espèces ».
Le cas de Dafakha, chasseur de profession, illustre bien cette situation. Ce père de famille résidant à Kédougou tire son principal revenu de la chasse illégale, mais ne craint pas d’aller en prison. « Des gens me font des commandes avant même mes captures. La chasse est mon gagne-pain. Si je vais en prison à la sortie, je vais reprendre mes activités ». Selon le Code de la chasse et la protection de la faune, le commerce illégal d’espèces menacées d’extinction n’est pas un crime, mais plutôt un délit et à ce titre, est jugé par les tribunaux départementaux ou les juridictions régionales.
SOURCE SUDQUOTIDIEN