Pacifique Sud: Japon veut «éviter que la Chine gagne trop en influence»
Le Japon redouble d’efforts pour se positionner comme un allié clé des îles du Pacifique Sud. Du 16 au 18 juillet se tiendra le 10e sommet PALM (Pacific Islands Leaders Meeting) qui réunit le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les îles Salomon, Fidji, Kiribati ou encore Samoa, Tuvalu et Vanuatu. Face à la Chine, très active dans la région, Tokyo compte jouer un rôle de premier plan. Entretien avec Guibourg Delamotte, maîtresse de conférences en sciences politiques à l’Inalco.
RFI : Pourquoi le Japon s’intéresse-t-il aux îles du Pacifique Sud, cette région longtemps délaissée et aujourd’hui courtisée par de nombreux pays ?
Guibourg Delamotte : C’est vrai que le Japon a tardé à s’intéresser au Pacifique Sud, un peu comme tout le monde d’ailleurs. Mais aujourd’hui, ce qui intéresse le Japon, c’est d’éviter que la Chine n’y gagne trop en influence. Quand on regarde ce qui se passe en mer de Chine méridionale, on constate que Pékin avance dans des pays et dans des zones où règne une forme de souveraineté molle. C’est justement le cas des îles du Pacifique Sud qui ne sont pas bien armées pour se défendre. Seulement trois de ces pays possèdent des forces armées. Donc, tous ces États ont besoin d’accords de sécurité et d’une aide au développement.
Le Japon agit par le biais de sa stratégie indo-pacifique appelée « Vision pour un Indo-pacifique libre et ouvert ». Cette stratégie promeut une coopération internationale dans différents domaines, comme la construction d’infrastructures de qualité et une meilleure connectivité pour permettre à ces pays d’être reliés à l’économie internationale. D’ailleurs, cette année, pour la première fois, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française seront représentés lors du sommet PALM, c’est un succès pour la France qui le souhaitait depuis longtemps.
Le Japon est aujourd’hui le troisième plus important fournisseur d’aides dans la région, derrière l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Tokyo espère-t-il en contrepartie y assurer par exemple l’accès de ses bateaux de pêche pour exploiter les importantes ressources halieutiques ?
C’est effectivement une région riche en ressources, y compris en ressources sous-marines difficiles à exploiter. Mais pour le Japon, il s’agit surtout d’une zone hautement stratégique, située entre les États-Unis, l’Australie et le Japon. En cas de conflit, il serait possible d’isoler l’Australie complètement du Japon ou même de couper totalement l’accès à cette zone stratégiquement si cruciale. Or, l’Australie est pour le Japon un partenaire commercial important, qui exporte des ressources au Japon, du charbon et d’autres minerais. Donc, il est vital pour le Japon de maintenir cet axe de communication avec l’Australie ouvert.
Pensez-vous que l’influence grandissante de la Chine dans la région inquiète le Japon ?
On voit l’influence de la Chine croître dans le Pacifique Sud. Progressivement, les États insulaires se sont tournés vers la Chine. Il ne reste plus que deux de ces États qui reconnaissent encore Taïwan. On observe une forme de compétition stratégique mise en œuvre par la Chine. Pékin a essayé de faire signer un accord de coopération et de sécurité avec l’ensemble des États insulaires en 2022. Si la Chine arrive à maintenir des relations privilégiées avec ces pays du Pacifique et qu’elle envoie ses forces de police et ses patrouilles militaires, si elle fait donc ce qu’elle pratique déjà en mer de Chine méridionale, elle serait capable de bloquer cette voie de navigation en cas de crise.
Le Japon, n’arrive-t-il pas trop tard pour s’imposer dans cette zone face à la Chine ?
On ne peut pas dire qu’il soit déjà trop tard, ces États ont encore besoin d’être confortés. Sinon, l’influence du Japon et de l’Australie risque de s’y réduire en effet. Pour le Japon, les îles du Pacifique ne sont pas des partenaires de premier plan, à part l’Australie. Ce que compte y faire valoir le Japon, ce sont ses principes, tels que la liberté de navigation et le respect du droit international, qui en fait protègent les faibles.
Qui est le premier bénéficiaire de cette coopération renforcée ?
Le Japon espère en tirer bénéfice de manière indirecte, c’est-à-dire de faire en sorte que ces pays préfèrent travailler avec lui plutôt que d’aller vers la Chine, dont on sait que les aides sont assorties d’un endettement important. Les îles pacifiques peuvent en fait en tirer bénéfice en jouant la concurrence, notamment celle entre le Japon, l’Australie et les États-Unis. Ces trois pays investissent de façon importante dans la région, par exemple dans les câbles sous-marins. En parallèle, les îles pacifiques peuvent continuer à profiter de la générosité chinoise.