Renouvellement de la classe politique sénégalaise : retraite anticipée des « dinosaures »

L’élection présidentielle du 24 mars dernier livre des enseignements quant à la recomposition de la classe politique au Sénégal. Pour cause, elle a vu la dégringolade de l’ensemble des figures et des partis qui ont dominé la vie politique sénégalaise depuis plusieurs années. Plébiscité au premier tour avec 54,28% des voix à seulement 44 ans, Bassirou Diomaye Diakhar Faye acte l’alternance générationnelle dans le landernau politique. Son élection à la tête du Sénégal risque ainsi, d’accélérer le vent de renouvellement qui soufflait déjà sur la scène politique, après les élections locales et législatives de 2022 qui ont vu émerger de nouveaux visages et une nouvelle offre politique. En tout état de cause, beaucoup de caciques politiques devront enterrer leur ambition présidentielle si jamais le Pastef reste au pouvoir en 2029. Ils seront contraints de passer le témoin en raison de leur âge mais aussi, de l’électorat de plus en plus jeune marqué par une soif de révolution.

Un coup de Jarnac ! Le dimanche 24 mars 2024, Bassirou Diomaye Diakhar Faye devient à 44 ans le cinquième, et le plus jeune président de la République du Sénégal depuis l’indépendance en 1960. Le successeur de Macky Sall, 62 ans qui a dirigé le pays pendant 12 années, incarne ainsi, une nouvelle génération de «jeunes» politiciens. Sa victoire, de surcroît au premier tour, entraîne de facto le renouvellement de la classe politique. De Léopold Sédar Senghor à Abdoulaye Wade en passant par Macky Sall, tous ces chefs d’Etat ont fait au moins 12 ans au pouvoir. Non sans noter que désormais, la durée du mandat relève d’une disposition intangible de la Constitution. C’est-à-dire qu’aucun président ne pourra faire plus de deux mandats consécutifs. Tout de même, si jamais Bassirou Diomaye Diakhar Faye fait deux mandats à la tête du Sénégal, certains vétérans en politique auront presque 73 ans. Conséquences : c’est l’enterrement de leur ambition présidentielle en raison de leur âge plafond déjà constitutionnalisé à 75
ans.

LA CONTRAINTE DE L’AGE ET DE L’ELECTORAT DE PLUS EN PLUS JEUNE

Candidat à l’élection présidentielle en 2007, 2012 et 2019, l’ancien maire de Thiès est descendu de son piédestal en 2024 en obtenant 0,90% des voix. Une chute libre qui risque de le plonger définitivement dans les bas-fonds de la galaxie politique sénégalaise puisqu’il aura 70 ans en 2029. Autre vétéran de la classe politique au Sénégal qui a joué son va-tout lors de la présidentielle de 2024, c’est Khalifa Ababacar Sall. Empêché d’être candidat en 2019 à cause de fallacieux ennuis judiciaires, l’ancien maire de Dakar ne fera qu’une seule présidentielle (?) qui pourrait aussi être sa dernière participation à une élection présidentielle. L’enfant prodige de Abdou Diouf et lieutenant de Ousmane Tanor Dieng qui aura 72 ans en 2029, risque ainsi, de ne jamais voir le couronnement de sa carrière politique. Un autre aspect qui va beaucoup jouer dans le renouvellement de la classe politique, c’est l’électorat de plus en plus jeune, d’autant plus que d’après le dernier recensement, les Sénégalais de moins de 35 ans représentent 76 % de la population. Il faut dire que pour l’élection présidentielle de 2024, la mobilisation des jeunes a été déterminante dans la victoire de l’opposition.
Depuis quelques années, ils ne se reconnaissaient plus dans les discours et les actions de l’élite dirigeante qui peine à résorber les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Ces jeunes électeurs sont nés dans le monde numérique et beaucoup d’entre eux suivent l’actualité, encore qu’ils boudent les médias traditionnels au profit des médias sociaux.

A ces faits qui ouvrent les scénarii d’une recomposition politique, s’ajoute la volonté des nouvelles autorités de faire de la carte nationale d’identité la carte d’électeur.
Ce qui permettra aux jeunes d’être nombreux dans le fichier électoral.

L’ALTERNANCE AU NIVEAU DES PARTIS POLITIQUES

Bassirou Diomaye Diakhar Faye a donné congé aux anciens partis politiques. Ce qui constitue l’autre alternance dans le renouvellement de la classe politique. En effet, l’Alliance des Forces du Progrès (AFP) ne pèse presque plus. Son fondateur Moustapha Niasse, sur le terrain politique depuis 1957, avait d’ailleurs indiqué sa volonté de transmettre le flambeau à la nouvelle génération. Au Parti socialiste (PS), Aminata Mbengue Ndiaye devra également passer le flambeau. A AJ/Authentique et AJ/PADS, Mamadou Diop Decroix et Landing Savané sont face à la relève. Quant à la Ligue démocratique (LD), elle est à la recherche d’un passé glorieux des Jallarbistes (n’est pas Bathily qui veut). Au Parti démocratique sénégalais (PDS), Karim Wade semble avoir peur du parricide. A l’Alliance pour la République (APR), une armée mexicaine est à la recherche d’un chef. Sans occulter un fait incongru avec

Amadou Ba, un chef de l’opposition, sans parti politique. Arrivé deuxième à la présidentielle de 2024, le candidat de la coalition Benno Bokk Yaakaar a subi plusieurs contestations après son choix comme candidat par Macky Sall avant qu’il ne soit lâchée par ce dernier.

L’EMERGENCE DE NOUVEAUX PROFILS SUR LA SCENE POLITIQUE

Depuis quelques années, de nouvelles figures émergent sur la scène politique sénégalaise, particulièrement depuis les élections locales et législatives de 2022. Parmi eux, certains qui accompagnaient déjà les ténors et qui sont bien
connus, d’autres inconnus au bataillon, mais restent tous ambitieux à conquérir le terrain politique. Mais, il y a aussi ceux qui comme Ousmane Sonko qui se sont défendus contre vents et marées pour gagner une certaine popularité. Âgé de 49 ans, et adulé par les jeunes et porteur d’un programme «anti-système», le plus farouche opposant de Macky Sall a su inscrire ses marques en portant au pouvoir son n°2 en la personne de Bassirou Diomaye Faye
avec son parti Pastef créé en 2014. Parmi les nouvelles figures de la classe politique, on peut citer Anta Babacar Ngom qui est sortie du lot même si elle n’a pas encore la trempe des égéries comme Aminata Mbengue Ndiaye, Mimi Touré, et autres. Seule femme candidate à la présidentielle de 2024, il lui reste tout de même à gagner une mairie ou avoir des députés pour gagner une certaine légitimité. Haut cadre et maire «rebelle», Mame Boye Diao pourra-t-il aller au front pour la conquête présidentielle de 2029 ? L’étape intermédiaire est la députation. Quant à Déthié Fall, Abdourahmane Diouf et Cheikh Tidiane Dièye, ils sont intellectuellement assis mais, il leur reste encore des bases politiques. Pour Barthélémy Dias, proche de l’ancien maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, reste à savoir s’il aura des dents aussi longues pour égratigner l’actuel Premier ministre Ousmane Sonko qui pèse plus lourd que lui sur le plan de la représentativité électorale nationale. Jadis «frères», les deux hommes se regardent désormais en chien de faïence. A coup sûr, Bassirou Diomaye Diakhar Faye va envoyer des dinosaures politiques à la retraite. Reste à savoir les avantages et les inconvénients de cette recomposition politique. Mais aussi et surtout quelle opposition pour faire face à Pastef afin d’éviter au Sénégal une démocratie consensuelle à la Amadou Toumani Touré ?

MARIAME DJIGO

SUDQUOTIDIEN

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