Projet d’expulsion des étrangers
Le parti d’extrême droite allemand AfD est accusé d’avoir fomenté un plan d’expulsion de millions d’étrangers lors d’une réunion secrète en novembre dernier. La divulgation du projet par un média d’investigation a provoqué une mobilisation massive à travers le pays. Plus d’un million d’Allemands ont battu le pavé ce week-end pour crier leur opposition et soutenir la démocratie.
Selon le média d’investigation allemand Correctiv, des membres de l’AfD, des entrepreneurs et des militants d’extrême droite se sont réunis en novembre à Potsdam, près de Berlin, pour discuter d’un plan massif d’expulsion d’Allemagne de personnes étrangères ou d’origine étrangère. Lors de cette réunion secrète, le cofondateur du Mouvement identitaire autrichien (IBÖ) Martin Sellner a présenté à l’assemblée un projet d’expulsion vers l’Afrique du Nord de deux millions de personnes: des demandeurs d’asile, des étrangers et des citoyens allemands qui ne seraient pas assimilés, affirme Correctiv dans une large enquête consacrée publiée ce 10 janvier.
Plus 1,4 million de manifestants
Dans la foulée de l’enquête, une première manifestation anti-fasciste a été organisée à Hambourg, le 13 janvier, devant le siège local du parti AfD, avant une autre plus importante le 19. Le mouvement s’est ensuite étendu à travers le pays, à Berlin, Postdam, Francfort, Munich et d’autres villes. Une mobilisation populaire qui a réuni plus d’1,4 million de personnes au total et même surpris les organisateurs eux-mêmes, notamment à Munich où la trop forte affluence a entraîné l’annulation du rassemblement pour des raisons de sécurité. Cette “réunion scandaleuse” de l’AfD a en réalité ravivé “la peur de déportations de millions de citoyens ou non-citoyens, une peur qui fait partie de l’héritage critique du national-socialisme”, commente à l’AFP Hajo Funke, politologue spécialisé dans l’extrême droite. La ministre de l’Intérieur Nancy Faeser a comparé dans la presse cette réunion à “l’horrible conférence de Wannsee”, où les nazis planifièrent en 1942 l’extermination des Juifs européens (suite ci-dessous).
Ascension dans les sondages
Fondé il y a 11 ans, l’AfD s’est solidement installée en deuxième position dans les intentions de votes (autour de 22%) derrière les conservateurs. Dans ses bastions de l’ex-RDA, elle arrive même en tête avec plus de 30% dans les trois Länder de Thuringe, Saxe et Brandebourg, où se tiennent en septembre des élections régionales. Après le choc de 2017 ayant marqué son entrée au parlement, l’AfD s’est intégré dans le paysage politique, même si tous les partis excluent de s’allier à lui. Depuis la réunion de Potsdam, “cette normalisation du parti est terminée”, juge M. Funke, même si le parti a dit ne pas endosser le projet de “remigration” présenté par Martin Sellner. Le scandale a révélé “le vrai visage” du parti, a jugé de son côté le co-chef du SPD (Parti social-démocrate), Lars Klingbeil, lors d’un débat au Bundestag.
Une interdiction? Peu probable
Depuis les révélations, des voix s’élèvent pour exiger l’interdiction de l’AfD. Même si elle a peu de chances d’aboutir, une pétition demandant que les droits constitutionnels de Björn Höcke, chef de l’AfD en Thuringe et considéré comme l’homme fort du parti, lui soient retirés, a par ailleurs recueilli plus d’un million de signatures après les révélations de Correctiv. “L’État a le devoir d’étudier une éventuelle interdiction de l’AfD”, a estimé Wolfgang Thierse, ex-président social-démocrate du Bundestag. Le lancement d’une procédure en ce sens – très longue et compliquée – est toutefois vu d’un oeil sceptique par la plupart des observateurs, qui craignent qu’un échec nourrisse davantage la popularité de l’AfD. Mais “s’il est prouvé qu’un parti veut transformer le pays en un État fasciste, il doit être interdit, quelle que soit sa force”, a estimé le vice-chancelier écologiste Robert Habeck dans un entretien au magazine Stern.