Le pétrole en force à la COP28

De nos envoyés spéciaux à Dubaï,

Record battu à plate couture. Les marchands de pétrole sont quatre fois plus nombreux cette année à Dubaï que lors des précédentes conférences de l’ONU dédiées au climat. C’est ce que dévoile l’étude réalisée par Global Witness et des ONG membre de la coalition Kick Big Polluters Out, qui s’est spécialisée depuis la COP26 à Glasgow dans le recensement des données.

Avec 2 456 personnes accréditées, ces conseillers, cadres, consultants, commerciaux et autres experts techniques ou financiers explosent le nombre lors de la précédente COP, à Charm el-Cheikh, où déjà, ils étaient 25 % de plus qu’à Glasgow. Leur nombre est même supérieur à l’ensemble des délégations des dix pays les plus vulnérables au changement climatique, qui ont embarqué seulement 1 609 personnes. Finalement, le cortège est seulement dépassé par les délégations des Émirats arabes unis, organisateurs de la COP, qui compte 4 409 personnes, et du Brésil, organisateur de la COP30, avec 3 081 individus.

Exxon, ENI, BP, TotalEnergies…

La quasi-totalité de ces lobbyistes vient de pays occidentaux et s’ils ont pu obtenir leur badge d’accès, c’est soit au sein des délégations nationales, mais souvent au nom d’associations commerciales et rarement au nom de leur entreprise, discrétion oblige. L’année dernière, il fallait se rendre au pavillon de l’International Émissions Trading Association (IETA), la principale association des compagnies du secteur, pour tenter de rencontrer Patrick Pouyanné, le dirigeant de TotalEnergies, l’une des cinq majors du monde, lui aperçu à l’Expo City de Dubaï. Cette année, c’est encore cette corporation qui sera la plus représentée, avec 116 badges.

La France est venue aux Émirats avec des représentants de TotalEnergies et EDF. Patrick Pouyanné ne figure pas dans la délégation. L’année dernière, il était enregistré sur la liste de la Mauritanie. La délégation italienne est complétée d’une équipe d’ENI et l’Union européenne emmène avec elle des employés de BP, ENI et Exxon Mobil.

« On vient ici pour lutter pour notre survie, quelle chance nous avons si nos voix sont étouffées par l’influence des Grands Pollueurs ? Cet empoisonnement du processus [onusien des négociations climat, NDLR] doit s’arrêter. Nous ne laisserons pas le pétrole et le gaz peser sur l’avenir du Pacifique aussi lourdement », a réagi Joseph Sikulu, directeur de la région Pacifique pour l’ONG internationale 350.org.

En mai 2023, dans une lettre adressée au président Joe Biden, Ursula Van der Leyen, Antonio Guterres et Simon Stiell (président de l’ONU Climat), 130 parlementaires américains et européens s’étaient indignés d’une présence aussi massive : « Quand le nombre de participants qui représentent les acteurs d’une industrie polluante, qui ont des intérêts financiers à maintenir le statu quo, est plus grand que les délégations de presque tous les autres pays, il est évident qu’ils peuvent freiner l’action climatique. »

Un courrier dans lequel ils demandaient par ailleurs la démission du président de la COP28, Sultan Al-Jaber, de la direction de la compagnie pétrolière Adnoc pour éviter tout conflit d’intérêt. À quelques jours de son ouverture, une enquête journalistique avançait que l’arbitre de la conférence aurait utilisé sa position d’organisateur pour nouer des contrats pétrogaziers.

COP des fossiles

Plus globalement, la COP28 fait l’objet de critiques acerbes pour le fait de se tenir dans un pays producteur d’or noir, qui prévoit de poursuivre de nouveaux projets d’extraction contrairement aux recommandations des scientifiques de l’Agence internationale de l’énergie.

D’autres voix pourtant, notamment chez les ONG, y ont vu l’opportunité de mettre le sujet au cœur des débats. Force est de constater que cette COP est devenue celle des fossiles. Certains estiment également qu’il est compliqué de parler de sortie des fossiles sans les principaux acteurs. Quant à la coalition autrice de cette étude, elle milite pour que les personnes qui se déclarent comme liés de près ou de loin aux intérêts du pétrole soient persona non grata dans ces enceintes.

Les émissions de gaz à effet de serre dus à 90 % aux énergies fossiles consommés atteignent des records, à 57,4 milliards de tonnes de CO2 en 2022, augmentant de 1,2 % (0,6 GtCO2) par rapport à l’année précédente, selon un rapport de l’ONU paru le 29 novembre. Le Groupe d’experts intergouvernemental pour l’évolution du climat est pourtant clair : il faut limiter ces énergies fossiles de 43 % d’ici 2030 pour pouvoir freiner le réchauffement climatique et ses impacts catastrophiques.

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