Nianing (Mbour) : Le passé colonial rasé, le défi de la sauvegarde du baobab sacré

Nianing fut une localité attractive durant la colonisation. Elle disposait d’un comptoir commercial et d’un grand port de pêche. Tout n’est plus que souvenirs. Le baobab sacré, sépulture des griots, est le seul lieu historique qui résiste encore, il doit néanmoins être valorisé.

 Par El Hadji Ibrahima THIAM, Fatou Diéry DIAGNE (Textes) et Moussa SOW (Photos)

 Si jadis Nianing était connu pour son bon tabac en pays sérère, il est tombé, aujourd’hui, dans l’oubli. Tout ce qui porte l’histoire de cette puissante localité coloniale a disparu, ou plus honnêtement a été détruit. Ce qui fût le comptoir commercial est aujourd’hui de larges domaines morcelés en terrains, attendant de trouver des acheteurs. Ce qui reste du port de pêche est le débarquement actuel des pirogues. Un lieu sans artifice matérialisé par une petite plage. Loin d’être un quai de pêche moderne à l’instar de celui de Mbour. Pourtant, Nianing est né avant la capitale départementale.

L’administration coloniale s’était établie à Nianing et les marchandises allant jusqu’au Mali transitaient par-là, narre Ibrahima Sène, chef de village de la localité depuis 2002. Il évoque aussi le chantier naval piloté par Langlois. Ces terres abritent désormais la mission des frères Sacré-Cœur, dont une église.

Nianing, originellement Nialeng…

Le nom du village des Djéguème viendrait d’un plat sérère appelé Nialeng. Selon Ibrahima Sène, qui assume la chefferie depuis 20 ans, « le colon avait trouvé des femmes préparant le Nialeng. Il demande le nom de la zone, la bonne dame croyait qu’il cherchait le nom du mets. De cette incompréhension est née Nianing. Si elle n’avait pas prévalu, le village aurait un autre nom à ce jour ». Les sérères Sine sont les premiers habitants de Nianing avant d’être remplacés par les sérères Djéguème. Cette renaissance de Nianing n’est pas chose évidente, une tragique histoire est derrière.

« Il y avait la maladie de la mouche Tsé-tsé qui avait décimé le village. Certains ont fui, d’autres se sont installés à Mbour et à Pointe Sarène. C’était dans les années 1800. Kor Diokel, chef de village de Nianing, fut alors accusé d’avoir empoisonné les populations en mettant une potion dans l’unique puits du village qui se situe, aujourd’hui, à l’emplacement de l’actuelle église », détaille Ibrahima Sène.

Cette accusation portée par les colons à l’époque a causé l’exil de Kor Diokel en Gambie. Ce chef tenace devant le colon est revenu des années après. Ainsi, Nianing cessa d’exister. Ce village qui jouissait d’une forte popularité n’est plus que des terrains nus, sans vie…

Fermeture des deux joyaux, un coup dur

Un siècle après, Nianing tarde à connaître un réel développement. Il en a quand même connu les prémices lorsque deux grands complexes hôteliers menaient les activités. « On avait le domaine de Nianing et le club Aldiana. Ils étaient de grands hôtels avec 130 ha pour le domaine de Nianing et 80 ha pour le club Aldiana. Des hôtels avec des capacités d’accueil de 700 à 1000 clients. Ils ont fermé il y a cinq ou six ans », regrette le chef de village, Ibrahima Sène.

Abdoulaye Ndiaye, journaliste de la zone, s’inscrit dans la même dynamique et lance un appel aux investisseurs : « il faut relancer les activités de ces deux hôtels pour revendre la destination de Nianing ». Selon lui, ces deux gigantesques réceptifs hôteliers participaient à résorber le chômage à Nianing et dans tous les villages environnants. « Avec ces deux hôtels, les jeunes avaient des perspectives de trouver du travail. Hélas tout s’est arrêté du jour au lendemain », regrette le journaliste. Ces deux réceptifs, côte à côte, situés à la sortie de Nianing en allant à Pointe Sarène, sont en train de subir le destin de tout bâtiment abandonné : la décrépitude.

D’après le chef de village, des touristes étaient devenus des partenaires privilégiés de Nianing. Ils ont construit des écoles, des hôpitaux et ont apporté un certain soulagement aux populations. À présent, que ce pan du secteur touristique de Nianing ait fini d’agoniser, le village en ressent fortement les conséquences. Parmi elles, des candidatures à l’émigration clandestine. Nianing est tristement devenu une zone de départ. Ce village a perdu cinq de ses fils cette année…

Nianing peut compter sur son baobab sacré

Ayant perdu les marques du comptoir commercial, Nianing conserve toujours son baobab sacré. Il faut traverser le marché « Maguette Sène », braver un sentier en terre vaseux du fait des averses de la veille pour découvrir ce don de Dame-nature. À peine découverte que la pluie s’invite à nouveau. De grosses précipitations poussent les aventuriers du jour à se replier. Le baobab ne donnant aucun abri. Il faut attendre que le ciel soit moins capricieux… Le lendemain, jour de vendredi, le temps est plus clément. Le somptueux baobab toujours aussi grand accueille ses visiteurs du jour. Entrer en son sein nécessite un petit rituel : pied gauche en avant, main gauche posée sur l’arbre millénaire, se toucher le front avec la paume de la main droite et descendre les marches vers la sépulture des griots.

Une douce odeur indescriptible envahit cette cour de griots, moins animée que celles de leurs concessions souvent rythmées. Tout est inerte, sans bruit, mal éclairé. Des chauves-souris se manifestent par moment en battant des ailes. « Bienvenue dans le baobab vieux de 1800 ans. Il a été, pendant longtemps, le cimetière des griots sérères de Nianing », informe le guide Marcel Sène. Le chef du village Ibrahima Sène, dans sa tendre enfance, a assisté à des enterrements de griots dans l’arbre. « On mettait le cadavre dans le baobab en lui mettant un adossoir », se rappelle-t-il. Les visiteurs peuvent formuler des vœux : quatre pour les hommes et trois pour les femmes. Le total fait sept vœux comme les sept cieux, les sept terres, souligne le guide Marcel Sène. « Ce baobab ne donne ni charbon de bois ni meuble. Seuls ces feuilles et son fruit sont comestibles », avance-t-il, avant d’ajouter : « Voyez un peu les marques, ça rappelle la forme de l’éléphant. Ainsi se pose la question existentielle : qui de l’éléphant ou du baobab s’est transformé pour donner l’autre ? » Question existentielle, réponse à renvoyer aux calendes grecques. Par contre, ce qui est sûr, d’après Marcel Sène, dans ce baobab creux où l’on peut entrer et se mouvoir comme dans un petit patio, si c’est un homme, son corps était placé au fond à droite, si c’était une femme elle était installée à l’entrée, tandis que les enfants étaient placés derrière.

La lutte pour la valorisation

Ce baobab, certes connu dans la zone, ne bénéficie pas d’une politique de valorisation et de promotion. « Il n’y a que les marchands d’art qui racontent aux touristes l’histoire du baobab. Il arrivait qu’on ramasse des ossements, mais ils étaient remis aux musées », explique Marcel. Fatou, dite Mamy Diawara, est conseillère municipale de la commune de Malicounda et était la présidente de la commission tourisme dans le précédent bureau municipal. Elle a toujours fait de la valorisation de ce site historique son cheval de bataille. Hélas ! « On avait même proposé aux propriétaires des parcelles environnantes de les dédommager pour disposer de leurs espaces afin de les utiliser pour en faire des cantines, mais par la suite, avec la Covid, le tourisme a pris un grand coup », explique-t-elle. Déjà en 2017, Fatou avait réuni une centaine de personnes autour d’une grande soirée près du baobab. Abdoulaye Ndiaye, Directeur de publication de Nianing Info pense que cet arbre doit être mieux valorisé. Il évoque aussi l’idée de mettre en place un village artisanal dans la zone.

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