L’opération séduction de TikTok à Washington
Un gigantesque spot dans la gare de Washington, des publicités quasi-quotidiennes dans les newsletters politiques…. TikTok sort le grand jeu pour lutter contre son interdiction, examinée par des élus américains.
Cette offensive de charme est appuyée par une armée de tiktokeurs qui déambulent cette semaine portable à la main dans les couloirs du Congrès américain.
« Salut tout le monde! Je suis juste devant le bureau de Lindsey Graham, au Sénat américain », lance, au sujet de l’influent élu républicain, @sparksofjoyco, tiktokeuse spécialisée en fabrication de cartes de voeux.
« Je vais être en contact avec eux pour leur faire comprendre l’impact que TikTok a sur ma vie et sur mon entreprise et toutes les inquiétudes que vous avez partagées en commentaire », promet-elle à ses plus de 90.000 abonnés.
Une campagne innocente d’une utilisatrice inquiète? Quelques heures plus tôt, l’influenceuse s’affichait bras dessus, bras dessous à Washington avec le patron de TikTok, Shou Chew.
Ce dirigeant singapourien au look décontracté a multiplié ces derniers jours, les interviews, échanges avec des médias et sur la plateforme, avant une audition très attendue jeudi devant les parlementaires américains. Pour l’occasion, il a délaissé son uniforme jean et pull à capuche, au profit d’un costume.
Un seul objectif: convaincre la classe politique américaine des efforts de sa plateforme pour protéger les données des utilisateurs.
– « Protéger vos données » –
Car de nombreux élus américains, républicains comme démocrates, considèrent la plateforme de vidéos courtes et virales, qui appartient au groupe Chinois ByteDance, comme une menace pour la sécurité nationale.
Ils craignent, tout comme un nombre croissant de gouvernements occidentaux, que Pékin ne puisse accéder aux données d’utilisateurs du monde entier via cette application.
TikTok s’en défend depuis des années, mais les tensions entre les deux pays et, récemment, la destruction d’un ballon chinois supposé espion, a fait monter les appels à faire preuve de fermeté contre la Chine.
Après avoir fait interdire l’application des portables des parlementaires et des fonctionnaires de la Maison Blanche, plusieurs élus, comme le sénateur démocrate Mark Warner, ont présenté des projets de loi qui pourraient mener à une interdiction pure et dure de l’application sur le territoire américain. Son texte a le soutien de l’administration Biden.
– 43 lobbyistes –
Quelque 43 lobbyistes, dont l’ex-élu démocrate John Breaux, et le républicain Trent Lott, 79 ans et 81 ans respectivement, ont été dépêchés par TikTok pour empêcher ce scénario d’aboutir.
Presque tous les matins, quand Washington se réveille avec le prestigieux bulletin politique Playbook, il entend ainsi: « Nous nous engageons à protéger vos données personnelles, tout en vous offrant l’expérience globale de TikTok que vous aimez tant » — une des nombreuses publicités achetées par la plateforme dans la capitale américaine.
« Chaque fois que vous voyez des publicités à Washington, elles ne s’adressent pas au grand public américain », souligne Sarah Bryner, chercheuse à l’association OpenSecrets, qui suit les activités de lobbying des entreprises. « Elles visent les assistants parlementaires, les élus, les fonctionnaires… », affirme-t-elle à l’AFP.
Les industries pharmaceutiques, agro-alimentaires, les associations de défense des armes à feu… Le lobbying n’est pas une pratique nouvelle à Washington, où il est courant de croiser des groupes d’influence dans les couloirs du Congrès, à la recherche d’élus à courtiser.
Pour TikTok, cette opération de lobbying s’est chiffrée à plus de 5,3 millions de dollars en 2022. C’est plus que Twitter a dépensé pour le même motif, et surtout 20 fois ce que la plateforme de vidéos payait en campagnes de lobbying en 2019.
Mais l’opération séduction de TikTok a-t-elle des chances de réussir?
En ouverture de l’audition du patron de TikTok jeudi, la présidente républicaine de la puissante commission de l’énergie et du commerce Cathy Rodgers a affirmé sans détours: « Votre plateforme doit être interdite. »
Par Camille CAMDESSUS