RDC : pourquoi Kinshasa est une étape importante de la visite d’Emmanuel Macron en Afrique centrale ?

Emmanuel Macron sera à Kinshasa le 3 mars, étape importante de sa visite en Afrique centrale. Situation sécuritaire à l’Est, transition écologique, partenariats économiques… sur quels dossiers le président français est-il attendu ?

« L’unité, la souveraineté, l’intégrité territoriale du Congo ne se discutent pas ». À la veille de son départ pour le continent africain, le président français réaffirme sa position sur la résurgence du conflit qui perturbe l’Est de la République Démocratique du Congo depuis fin 2021. Dans son discours à l’Élysée sur la stratégie diplomatique et militaire de la France en Afrique, Emmanuel Macron a qualifié les combats de « régression inacceptable ».

La question sécuritaire en RDC sera en effet un des sujets les plus attendus de sa visite du 2 mars affirme le politologue et professeur à la Sorbonne, Alfred Tumba Shango Lokoho. « Pour beaucoup de Congolais, il y a cette impression que la France ne souhaite pas prendre de position claire sur la question. Que ce soit Félix Tshisekedi ou le peuple congolais, ce qui est attendu est une condamnation ferme d’une part et d’autre part un soutien ou une aide militaire. » 

Je dirais qu’il est attendu plus qu’une simple condamnation du soutien du Rwanda au M23,  d’apporter la voix du Congo aux Nations unies ainsi que de prévoir des sanctions onusiennes contre contre le Rwanda.Christophe Rigaud, journaliste et fondateur du site afrikarabia.com consacré à l’actualité en RDC

« Je dirais qu’il est attendu plus qu’une simple condamnation du soutien du Rwanda au M23, d’apporter la voix du Congo aux Nations unies ainsi que de prévoir des sanctions onusiennes contre le Rwanda, estime pour sa part, Christophe Rigaud, journaliste et fondateur du site afrikarabia.com consacré à l’actualité en RDC. La France s’est grandement rapproché du Rwanda, notamment par son rôle qu’elle a joué dans le génocide. [NDLR : Kigali a reproché de nombreuses années à la France d’avoir soutenu le régime hutu en 1994 et d’avoir protégé, lors de l’opération Turquoise, des génocidaires du régime hutu face à progression des hommes de Paul Kagamé.] Les Congolais considèrent aujourd’hui la France comme un pays pro-rwandais. »

Si Paris avait déjà en décembre 2022 fait officiellement état du « soutien » de Kigali au M23, aucune rupture dans les relations diplomatiques franco-rwandaises ne semblent se dessiner prochainement. Dans son discours à l’Elysée, Emmanuel Macron a d’ailleurs insisté sur la nécessité d’ « une réponse collective », sous entendu régionale.

La rébellion majoritairement tutsi du M23, restée en sommeil pendant près de dix ans, a repris les armes fin 2021 et s'est emparée depuis de vastes pans de territoire du Nord-Kivu.

La rébellion majoritairement tutsi du M23, restée en sommeil pendant près de dix ans, a repris les armes fin 2021 et s’est emparée depuis de vastes pans de territoire du Nord-Kivu.

AP / Moses Sawasawa

« Cette réponse semble s’appuyer notamment sur les processus de Luanda et Nairobi (NDLR : deux accords de paix qui évoquent un « processus de désescalade » pour les deux pays). Le problème c’est qu’il y a un très grand scepticisme au Congo à l’égard de ces accords qui jusqu’à maintenant n’ont pas donné grand chose, analyse Pierre Boisselet, coordinateur des recherches à Ebuteli (Institut congolais de recherche sur la politique). Le président Macron a parlé de partenariat en matière de sécurité, de formation militaire. Cela pourrait aller en ce sens bien que la France soit déjà engagée dans la formation d’officiers au Congo. »

Nouveaux partenariats 

La présence du Commissaire européen en charge de l’industrie et des services Thierry Breton, et de la Commissaire européenne aux partenariats internationaux, Jutta Urpilainen aux côtés d’Emmanuel Macron lors de sa visite, pourrait indiquer la potentielle négociation de nouveaux partenariats économiques. 

Les relations économiques sino-congolaises se sont détériorées, notamment concernant le « contrat du siècle » signé en 2008 par lequel la Chine, partenaire économique congolais primordial, devait réaliser des infrastructures en échange de l’exploitation minière. L’inspection générale des finances a pointé le manque de transparence et le déséquilibre des contrats, ce qui a poussé Félix Tshisekedi à annoncer son intention de renégocier les contrats miniers, conclus à l’époque sous Joseph Kabila. Une révision promise au nom des Congolais qui, déclarait-il, « croupissent toujours dans la misère ». Le sous-sol minier congolais est par ailleurs l’un des plus riches au monde avec le coltan, la cassitérite, le cuivre, l’or ou encore le diamant.

Ce contexte pourrait alors faire la part belle à l’Union européenne qui est en quête de maintenir les relations avec le continent. Lors du dernier sommet UE-Afrique en février 2022, Bruxelles a promis entre autres un paquet d’investissements d’au moins 150 milliards d’euros. L’idée de « diversifier les interlocuteurs » face à une « Chine omniprésente » pourrait être de fait partagée par Kinshasa, afin de pouvoir conclure des partenariats « plus équitables » s’accorde à dire Christophe Rigaud.

« Dans le secteur des infrastructures par exemple, il y a le grand projet de barrage hydroélectrique d’Inga qui est quelque peu une Arlésienne. Ce projet date depuis plus de 20 ans et n’a toujours pas abouti. » donne comme exemple de projet le journaliste.

Emmanuel Macron avait par ailleurs décidé de consacrer tout une partie de sa visite sur le continent à l’écologie en organisant conjointement avec le chef d’État gabonais le One Forest Summit à Libreville, au Gabon. Un sommet qui a pour objectif d’améliorer la conservation des forêts dans le monde et de contribuer à la protection du climat et des espèces dans un contexte de dérèglement climatique.

Le bassin du Congo, 200 millions d’hectares de massif forestier qui fait partie des trois grands bassins forestiers mondiaux avec la forêt amazonienne et les forêts tropicales d’Asie du Sud-Est, devait être au coeur des discussions. Seulement, le président Félix Tshisekedi a annoncé ne pas se joindre au rassemblement.

Popularité en chute libre

Au délà des relations diplomatiques entre les deux pays, de quelle popularité bénéficie le chef de l’État français en RDC, sachant que la présence française est de plus en plus décriée sur le continent ?

Selon le dernier sondage de l’institut congolais de recherche sur la politique (Ebuteli), moins de 30% des Congolais auraient une bonne opinion de la France, se plaçant ainsi derrière la Russie, la Chine, la Suède ou l’Allemagne. Pierre Boisselet, coordinateur des recherches à Ebuteli, a participé à la réalisation de ce sondage.

Selon un sondade de l'institut  congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence, Ebuteli, du GEC et du Bureau d'études, de recherches et de consulting international (Berci), moins de 30% des Congolais ont une bonne opinion de la France. 

Selon un sondade de l’institut  congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence, Ebuteli, du GEC et du Bureau d’études, de recherches et de consulting international (Berci), moins de 30% des Congolais ont une bonne opinion de la France. 

@Ebuteli

« Il y a un vrai décrochage de l’image de la France dans ce pays. Je parle de décrochage parce que ça n’a pas toujours été le cas. Lors du premier sondage qu’on avait fait en 2016, 71% des sondés estimaient que la France jouait un rôle plutôt positif ou positif au Congo. Elle était deuxième de la liste, juste derrière les États Unis. On voit donc qu’en l’espace de sept ans, la chute est vertigineuse. » explique le chercheur.

Un décrochage qui peut être directement lié au manque de prise de position ferme de la part de Paris sur le conflit à l’Est. « Ces 30% des sceptiques sont désespérés par l’impression qu’ils ont que la France n’en fait pas assez pour soutenir la RDC. C’est ce qui suscite la défiance de beaucoup de jeunes Congolais vis-à-vis d’Emmanuel Macron. » confirme le professeur Alfred Tumba Shango Lokoho.

Les Congolais voient ce qui se passe ailleurs, dans les pays francophones d’Afrique et le rejet que la France suscite.Pierre Boisselet, coordinateur des recherches à l’institut congolais de recherche sur la politique

Une impopularité qui touche par ailleurs l’ensemble des pays occidentaux. « La communauté internationale est décrédibilisée pour son incapacité ou son absence de volonté, voire son rôle négatif dans la stabilité à l’est de la RDC. Cela s’est matérialisé notamment par la très faible popularité de la mission de l’ONU (Monusco) en RDC. » conçoit Pierre Boisselet.

« Même si ce n’est pas une ancienne colonie française, la RDC est le plus grand pays francophoneLes Congolais voient aussi ce qui se passe ailleurs, dans les pays francophones d’Afrique et le rejet que la France suscite. » poursuit-il.

L’étape congolaise sera, in fine, « l’étape la plus la plus dure politiquement » estime le journaliste spécialisé dans l’actualité congolaise Christophe Rigaud. À la veille de son arrivée, des dizaines de jeunes Congolais manifestaient déjà leur défiance vis-à-vis de la venue du président français. « Macron assassin, Poutine au secours« , scandaient les jeunes manifestants, rassemblés devant l’ambassade de France et munis de pancartes disant « les Congolais disent non à la politique de la France » ou encore « Macron indésirable en RDC« .

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