Élections en Centrafrique: vers la passe de trois pour Faustin-Archange Touadéra?
En République centrafricaine, un quadruple scrutin historique se déroule ce dimanche 28 décembre : des élections municipales et régionales, les premières depuis 1988, des législatives, et une présidentielle. Ce scrutin est le plus suivi avec sept candidats en lice, dont le président sortant Faustin-Archange Touadéra, qui brigue un troisième mandat après avoir fait adopter une nouvelle constitution en 2023.
Par :François Mazet envoyé spécial RFI à Bangui,
Les rues du centre-ville de Bangui sont le lieu d’une bataille visuelle : panneaux publicitaires, banderoles déployées, affiches collées aux voitures, t-shirts, casquettes ; chaque candidat, aspirant président ou postulants députés, essaie d’occuper l’espace. Anicet-Georges Dologuélé et Henri-Marie Dondra, les deux principaux rivaux du président sortant, y contestent à Faustin-Archange Touadéra la voie royale vers un troisième mandat, dans une campagne plus relevée qu’attendue. Mais à mesure que l’on s’éloigne du centre, le visage rond du chef de l’État s’impose davantage, preuve des moyens supérieurs de celui qui occupe le palais de la Renaissance depuis le début 2016, et de son élection au second tour d’un scrutin marquant la sortie de la période de transition ayant suivi l’effondrement de l’État en 2013 – lorsque le président François Bozizé a été chassé par la coalition rebelle Séléka.
Pour les soutiens du « professeur » Touadéra, enseignant en mathématiques à l’université, le bilan du chef de l’État parle pour lui, en premier lieu sur la question sécuritaire. C’est le « redéploiement de l’État » tant vanté, des brigades de gendarmerie et des tribunaux qui s’installent dans les régions, alors que les rebelles refluent ou passent des accords, comme cette année les groupes 3R, UPC ou MPC. Dans un pays traumatisé par la guerre civile, particulièrement violente en 2013-2014, la stabilisation est bien accueillie, d’autant qu’il y a encore cinq ans, au moment des élections précédentes, une alliance de groupes armés, la Coalition des patriotes pour le changement, était arrivée aux portes de la capitale.
Sécurisation du scrutin
Cette fois, et même si beaucoup de Banguissois demeurent craintifs des démons du passé, l’État et ses alliés, militaires rwandais et miliciens russes de Wagner, contrôlent fermement la plupart du pays, à l’exception des zones frontalières orientales de la Vakaga, où l’on subit les effets de la guerre au Soudan, et du Haut-Mbomou, où une milice locale, les Azandè Ani-kpi-Gbè, multiplie les attaques, faisant craindre pour le déroulement des élections dans cette région. Vu de la capitale néanmoins, les violences commises dans ces zones périphériques, situées à des semaines de voiture, faute de route, semblent souvent bien lointaines.
Pour ce qui est de la sécurisation du scrutin, « les spécialistes russes prennent cette mission très au sérieux et se préparent à repousser toute provocation », a commenté auprès de l’AFP Alexandre Ivanov, une personnalité liée au groupe Wagner, intervenant régulier des médias russes sur l’Afrique et fréquemment présent à Bangui. Il faut dire que pour la Russie, la Centrafrique est à la fois un laboratoire et une vitrine. Et pour ce qu’il reste du groupe Wagner, une vache à lait, des entreprises liées aux mercenaires exploitant massivement le sous-sol et les forêts du pays, sans taxes, ni bénéfices pour les Centrafricains, selon l’opposition et plusieurs rapports d’ONG. Des accusations de « se payer sur la bête » que dément le président Touadéra, selon qui toutes les entreprises qui ont des permis les utilisent en conformité avec la loi. Il n’apprécie pas non plus qu’on évoque les multiples violations des droits humains documentées, notamment par les rapports de l’ONU.
Les partisans du président-candidat ont reproduit depuis des mois une organisation qui a porté ses fruits lors du référendum constitutionnel de 2023, alliant organisation partisane officielle autour de sa formation, le Mouvement Cœurs Unis, et myriades d’associations et comités de soutien, chargés de labourer le terrain, cadeaux en main pour inciter à choisir la stabilité. Ils prêchent le futur « coup KO » au premier tour, et promettent que le troisième mandat sera celui des dividendes socio-économiques de la paix retrouvée. Ces derniers mois, les poses de première pierre et les inaugurations se sont d’ailleurs succédé, donnant l’image d’un président bâtisseur.
De fait, de nombreux boulevards de la capitale ont été refaits pour boucher les ornières qui pourrissaient le quotidien des Banguissois, et le corridor routier tant attendu vers le Congo-Brazzaville est en phase d’achèvement, promettant une bouffée d’oxygène aux commerçants et transporteurs. Une « illusion » selon ses adversaires, qui pointent les hôpitaux et les écoles délabrés, voire fermés.
« Sortir le pays de l’extrême pauvreté »
Au quotidien, les choses ne sont pas si roses. Dans les ruelles des quartiers, on se demande « qui mange l’argent » et beaucoup constatent que si les salaires et pensions sont payés à temps, grâce à l’aide budgétaire directe occidentale, il demeure bien difficile de remplir la marmite chaque jour et de proposer deux repas quotidiens, tandis que de grandes villas sont bâties à flanc de colline, quelques kilomètres plus loin.
Livia, par exemple, qui vend des objets de mercerie et de coiffure à Lakouanga, explique que, « même sur les boutons, les clients comptent leurs pièces. Il n’y a plus l’argent, mais on ne sait pas où il passe, on espère que ça ira mieux dans les prochains mois ». Ruben, un jeune collégien, décrit son quotidien à cent élèves par classe, sans professeur de français ni d’histoire depuis le début de l’année scolaire. « On aurait pu croire qu’avec les professeurs (outre le président Touadéra, le Premier ministre et le président de l’Assemblée nationale sont aussi, entre autres, des universitaires), l’éducation deviendrait une priorité, mais ce n’est pas le cas », déplore Crépin Mboli-Goumba. L’avocat et opposant estime que « Touadéra a réussi à faire pire que ses prédécesseurs ». Il assure la coordination du Bloc républicain de défense de la Constitution (BRDC), une coalition d’opposants née du refus de la nouvelle loi fondamentale de 2023, qui a décidé de boycotter un scrutin jugé « totalement opaque ».
Un choix que n’a pas fait Anicet-Georges Dologuélé. « Nous proposons des projets très précis et concrets pour changer la vie, sortir le pays de l’extrême pauvreté ; réconcilier le Centrafricain avec lui-même, le réconcilier avec les institutions, avec l’administration, construire des infrastructures pour attirer le secteur privé », a lancé l’ancien Premier ministre au lancement de sa campagne. Vaincu au second tour par Faustin-Archange Touadéra en 2016, puis second fin 2020 dans des conditions qu’il conteste fortement, le candidat de l’URCA (Union pour le renouveau centrafricain) a choisi « de ne pas laisser la chaise vide », estimant que s’il n’a pas les moyens de son adversaire, « devant les urnes, les électeurs parleront avec leur cœur. »
C’est aussi l’hypothèse d’Henri-Marie Dondra, ancien ministre des Finances puis Premier ministre de Touadéra. Lui a quitté la majorité en raison de conflits virulents avec des membres de l’entourage présidentiel, ce qui vaut selon lui à l’un de ses frères d’être maintenu en détention depuis mars dernier. Il a fondé le parti Unité républicaine (UNIR) et pris la posture de l’opposant responsable et technocrate, ce qui lui permet d’assumer une partie du bilan des années Touadéra, tout en critiquant la « dérive » constatée après son départ des affaires. « Centriste », il promet un grand dialogue et une réconciliation nationale s’il est élu.
2,4 millions d’électeurs inscrits
Les deux hommes, seuls véritables rivaux de poids pour le président sortant, ont dû batailler pour faire valider leurs candidatures. En raison des conditions d’éligibilité très restrictives de la Constitution de 2023, le débat s’est polarisé durant des mois sur les questions de nationalité, relents xénophobes inclus. Il a fallu la décision finale du Conseil constitutionnel mi-novembre pour mettre un terme aux polémiques, faire baisser la tension et lancer la campagne. Ces derniers jours, ils ont chacun dénoncé des empêchements de mener la leur, entre refus d’embarquement dans des avions privés sous pression des autorités, et difficultés à tenir des meetings en province.
Quatre autres candidats sont aussi en lice : deux ex-ministres déjà présents en 2020 pour des résultats confidentiels, Aristide Briand Reboas et Serge Ghislain Djorie, font campagne sur le « renouvellement », Eddy Symphorien Kparekouti se présente comme « opposant modéré », et le pasteur Marcelin Yalemende promet de remettre « le respect de l’homme au centre de la politique. »
Avec ce quadruple scrutin, les regards seront tournés vers l’Autorité nationale des élections. Régulièrement prise pour cible pour ses retards et son manque de capacité, elle a mis les bouchées doubles ces derniers mois, profitant du soutien financier national et international. Son président, Mathias Morouba, assure à intervalles réguliers qu’il sera « prêt » pour le 28 décembre. Il a pu compter sur une accélération des autorités qui ont largement revu et allégé le code électoral, et sur la mission de maintien de la paix de l’ONU, la Minusca, pour déployer le matériel électoral vers plus de 6 000 bureaux de vote, où les près de 2,4 millions d’électeurs inscrits, soit 845 000 de plus que sur l’ancien fichier électoral, devront glisser leurs bulletins dans quatre urnes séparées ce dimanche.

