Dr Momar Thiam sur les propos empreints de complicité avec le premier ministre : « Ces propos s’inscrivent dans une stratégie réfléchie ».

La sortie du président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye hier, mercredi 17 décembre, marque-t-il un signal politique fort. Entre le Palais et la première édition de la Journée nationale de la diaspora, le chef de l’Etat a tenu des propos empreints de complicité avec le Premier ministre qui, selon Dr Momar Thiam, expert en communication politique ne sont pas anodins. Devant les pupilles de la Nation, le président a rappelé l’historique des chefs d’État, de Senghor à Macky Sall, avant de lancer : « Aujourd’hui, je suis là. Demain, ce sera peut-être le Premier ministre… je prie pour cela ». Quelques heures plus tard, lors de la Journée nationale de la diaspora, il a de nouveau fait preuve d’une complicité manifeste avec le Premier ministre, évoquant des souvenirs de campagne partagés et provoquant rires et applaudissements dans la salle. Dans un entretien accordé à Sud Quotidien, le directeur de l’École des hautes études en information et communication (HEIC) décortique la portée de ces messages, révélateurs d’un jeu subtil au sommet de l’exécutif dans un contexte de rivalité interne et de mobilisation des bases.

Quelle analyse faites-vous de ces différentes sorties du chef de l’État dans ce contexte de divergence politique avec ses camarades de parti au sein de Pastef ?

Depuis qu’il y a ce duel à fleuret moucheté entre le président de la République et le Premier ministre, c’est-à-dire les deux principales personnalités de l’exécutif, on n’entend que le Premier ministre, qui a fait plusieurs sorties, dont la dernière lors de la cérémonie d’hommage aux victimes et aux martyrs. De son côté, le président de la République s’est enfermé dans un mutisme assourdissant, si je puis m’exprimer ainsi, depuis le début de cette aventure périlleuse, dans ses conséquences éventuelles, entre le Premier ministre et le président de la République. Et donc, forcément, que ce soit les observateurs ou même l’opinion, dans sa majorité, scrutent, écoutent et essaient d’entrevoir les moindres sorties du président de la République pour voir si, dans ces sorties-là, il y a des références, des allusions ou des débuts de réponses, même enfouies dans des formules, par rapport à cette opposition-là qui ne dit pas son nom entre lui, le président de la République, et son Premier ministre.

Ainsi, lorsque le président de la République parle, quel que soit le contexte, l’endroit, l’événement ou l’occasion, tout prête à interprétation. D’où notre volonté d’interpréter ces faits et gestes, et surtout ces discours.

Puisqu’en communication, il y a ce que l’on appelle les contours souterrains d’un discours. C’est-à-dire que dans un discours, il peut y avoir des éléments sous-jacents qui englobent un message fort ou des messages périphériques destinés à quelqu’un, à un groupe, à une organisation, à un contexte ou à des populations. En l’espèce, la sortie du président, recevant les pupilles de la Nation, évoquant ses prédécesseurs Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Macky Sall et lui-même et faisant référence à l’éventualité de l’élection d’un président de la République qui s’appellerait, si je puis m’exprimer ainsi, Ousmane Sonko demain, n’est pas anodine, à mon sens. Ce n’est pas anodin parce que le président de la République est, quelque part, dans une formulation anecdotique. Pourquoi formulation anecdotique ? Parce qu’une anecdote est un récit souvent bref, parfois personnel, qui relate un événement spécifique. Or, lorsqu’on utilise une anecdote, c’est souvent pour illustrer un point de vue ou apporter une perspective personnelle à un sujet donné. Et justement, le président est dans cette perspective-là.

Il aurait pu dire, on peut l’imaginer, « demain, ce sera vous, l’un des pupilles de la Nation », ou « ce sera quelqu’un d’autre ». Mais il a bien nommé celui qu’il avait envie de nommer, à savoir son Premier ministre, Ousmane Sonko.

Ce n’est pas anodin en ce sens que tout le monde sait et le Premier ministre lui-même l’a affirmé, réaffirmé et réaffirmé encore à plusieurs reprises que personne ne pourrait l’empêcher d’être candidat en 2029, ou d’être candidat à toute autre élection qui se tiendrait au Sénégal. Tout le monde sait que son ambition est d’accéder à la magistrature suprême. Il l’a répété à chaque fois qu’il a eu l’occasion de s’adresser à un large public. Et le président, quelque part, lui a tendu la perche, à mon sens, pour lui dire : demain, tu peux l’être. Mais demain, c’est quand ? Demain, est-ce 2029 ? Est-ce 2034 ou 2035 ? Qui sait ?

Peut-on parler d’une volonté de décrispation de l’atmosphère de la part du chef de l’État ?

La force d’un président de la République réside justement, dans ses discours, dans sa capacité à faire passer des messages codés ou des messages cachés, si l’on peut les appeler ainsi. Ce sont les contours souterrains d’un discours, comme j’ai l’habitude de le dire. Peut-être est-il d’abord dans son rôle : il ne veut pas souffler sur les braises ni envenimer une situation déjà délétère entre lui et une bonne partie des militants de Pastef pro-Sonko.

Il cherche peut-être aussi l’apaisement, en tendant la perche pour dire : après moi, c’est lui. Mais après moi, c’est quand ? Après 2029 ? Après 2034 ou 2035 ? Qui sait ? Il entretient ainsi, quelque part, un certain mystère et nous pousse à nous interroger. C’est une qualité communicationnelle qu’il faut lui reconnaître. Comme j’ai l’habitude de le dire, il s’est emmuré dans un silence qui fait de lui une force tranquille, à l’image de François Mitterrand dans les années 1980 et 1990.

Est-ce que cela va contribuer à décrisper la situation délétère d’opposition ou de quasi-opposition interne au sein de Pastef ? Je pense que tout dépendra de la manière dont les militants, sympathisants et adhérents de Pastef recevront ce message. Le fait que ce message ait largement circulé sur les réseaux sociaux montre qu’il n’est pas anodin. Forcément, les militants vont s’en saisir.

Quel impact cette sortie pourrait-elle avoir dans un contexte de massification de la coalition « Diomaye Président », alors que Pastef a annoncé un vaste programme de mobilisation de ses bases, avec la reprise du « Némékou Tour » en perspective des élections locales de janvier 2027 ?

Il faut attendre de voir quel sera le mode de perception de ce discours par les militants. Il en est de même pour ses propos empreints de complicité avec le Premier ministre lors de la cérémonie d’ouverture de la Journée nationale de la diaspora, quand le président Diomaye s’est adressé à la diaspora en évoquant cet opus qu’ils écoutaient pendant la campagne électorale, avec une forte complicité avec le Premier ministre, notamment dans la voiture. Les rires qui ont suivi montrent que le public présent l’a bien reçu.

Mais il s’agissait là du public interne, dans la salle. Comment le public militant de Pastef et pro-Sonko va-t-il recevoir cela ? Mystère et boule de gomme. On verra bien, d’autant plus que le président va entamer ses tournées économiques, notamment en Casamance. On sait aussi que le Premier ministre a affiché une grande ambition : atteindre plus d’un million de militants, à travers ses « Némékou Tours ». On a l’impression que les deux têtes de l’exécutif se surveillent de près, dans un véritable marquage à la culotte, si je puis m’exprimer ainsi. On verra ce que cela donnera sur le terrain. On ne peut pas encore l’interpréter ni l’analyser pleinement d’un point de vue politique ; on ne peut pour l’instant l’aborder que de manière factuelle. Ce sont les faits qui donneront raison à l’analyse.

Réalisé par Nando Cabral Gomis
SUDQUOTIDIEN

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