Journée mondiale des sols: Diagnostic, santé fragile des sols au Sénégal

Le 5 décembre est la date de la célébration de la Journée mondiale des sols. Cet événement marquant de l’agriculture et de l’environnement a été saisi par l’Institut national de pédologie (Inp) pour organiser une journée portes ouvertes afin de vulgariser le travail fait au sein de cette structure qui, dans l’ombre, œuvre sans relâche pour la souveraineté alimentaire.

La Journée mondiale des sols a pris des allures de rentrée académique. Étudiants et élèves ont été privilégiés pour mieux expliquer à la jeune génération qu’à l’heure de l’agriculture de précision, la pédologie, en tant que science des sols, se définit comme un pilier incontournable. Ce besoin de sensibilisation est justement dû à un constat de méconnaissance de cette discipline, alors même que le Sénégal en a besoin aujourd’hui plus que jamais dans sa quête de souveraineté alimentaire.

Doté majoritairement d’un type de sol poreux, le Sénégal devra nécessairement s’appuyer sur la science pour accroître ses rendements agricoles. Mais au-delà de la production, il s’agit surtout de protéger les sols, car ils constituent une ressource non renouvelable à l’échelle humaine. C’est là tout le sens de la journée organisée par l’Inp en partenariat avec le ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de l’Élevage. L’objectif est de mener une campagne contre la pauvreté des sols au Sénégal en mettant en place des outils scientifiques qui puissent assurer de meilleurs rendements et des activités durables.

La Journée mondiale des sols célébrée, vendredi, a été une franche occasion de pointer le plaidoyer d’une urgence pédologique qui menace les sols du Sénégal.

En effet, le ministre Mabouba Diagne a rappelé que les sols sont le premier dispositif agricole. Pour lui, faire en sorte que cette ressource non renouvelable puisse toujours répondre aux besoins des hommes est une évidence vitale. « Nous ne pouvons pas espérer produire au Sénégal ce que nous consommons si nous n’avons pas la bonne plateforme, et la bonne plateforme, c’est un sol sain », a-t-il déclaré.

« Santé des sols », un programme d’urgence porté par l’Inp

Il a souligné que l’agriculture emploie 52 % de la population active mais ne contribue qu’à 9,6 % du Pib, un déséquilibre imputable au changement climatique mais aussi à la dégradation des sols. À cet égard, il a salué le rôle central de l’Inp, qu’il a placé au cœur de sa stratégie dès son arrivée au ministère, et a rendu hommage au Dr Alfred Kouly Tine. « J’ai connu Docteur Tine avant de connaître l’Inp. Ça a beaucoup facilité les choses et c’est cela qui explique que, lorsque je suis arrivé, j’ai mis le curseur sur le bon point, qui est l’Inp », a-t-il souligné.

Le directeur général de l’Inp, Dr Alfred Kouly Tine, a détaillé l’ampleur d’un désastre révélé par une étude nationale de février 2025. Plus des deux tiers des sols agricoles sénégalais sont aujourd’hui dans un état critique. Dans le bassin arachidier, la matière organique est tombée sous la barre des 1 %, parfois même à 0,4 %. Au Sénégal oriental et en Casamance, le phosphore disponible est souvent inférieur à 5 ppm. À ce niveau critique, la plante peine à survivre. Dans les Niayes et le long du fleuve, l’acidité est devenue telle que le potentiel hydrogène (pH) descend régulièrement sous 4,5, transformant des terres en milieux hostiles. La salinisation gagne du terrain dans le delta et la vallée, tandis que l’érosion emporte chaque année des milliers d’hectares de terre arable dans le Ferlo et le Sine-Saloum. « Nos sols ne sont plus pauvres, ils sont mourants », a résumé Dr Alfred Kouly Tine. De plus, il ajoute que ces carences en phosphore, en matière organique et ces pH acides « réduisent considérablement la productivité ».

Cependant, il a réaffirmé l’engagement de l’Inp à accompagner les programmes gouvernementaux, notamment le programme prioritaire « Santé des sols », pour contribuer à la Vision 2050 en renforçant la résilience des communautés face au changement climatique. Face à ce tableau alarmant, l’Inp s’est vite investi sur le terrain avec le programme prioritaire « Santé des sols », dont il assure la maîtrise. En neuf mois, l’institut a cartographié près de 7 000 hectares, amendé 6 500 hectares et déployé des recommandations précises commune par commune. Du chaulage pour relever le pH, du phosphate naturel pour stimuler les cultures, de la matière organique pour redonner vie à la terre : les quantités mobilisées sont déjà impressionnantes, mais elles restent une goutte d’eau face aux besoins estimés à 120 000 tonnes de chaux, 9,90 millions de tonnes de phosphate et 15 millions de tonnes d’amendements organiques, comme l’a précisé le ministre Diagne.

Nouvelle dynamique

Dr Alfred Kouly Tine a évoqué les partenariats avec la Direction de l’Agriculture, qui a fourni 10 000 tonnes de chaux, 10 000 tonnes de matière organique et 15 000 tonnes de phosphate naturel, permettant un objectif d’amendement de 10 000 hectares de sols acides, 2 000 hectares pauvres en matière organique et 37 500 hectares déficients en phosphore. Les résultats ne se sont pas fait attendre : là où les sols ont été soignés, les rendements ont connu une nette augmentation.

En outre, l’Inp a installé des parcelles de démonstration dans 66 communes, ainsi que des plateformes de compostage industriel à Louga, Kolda et Tambacounda, permettant la transformation rapide des déchets organiques – en collaboration avec la Société de gestion des abattoirs du Sénégal (Sogas) – en compost de qualité en moins de 18 mois. Toujours dans le cadre du programme prioritaire « Santé des sols », le directeur général de l’Inp a mis en avant les efforts de formation. En chiffres, il s’agit de 1 494 producteurs sensibilisés, dont 417 femmes, et 3 967 autres formés sur des techniques comme le compostage et la gestion des sols salinisés, en partenariat avec le Fonds Climat. Il a mentionné les 90 émissions audiovisuelles réalisées, les conventions signées avec des projets comme le Psr, le Pdrso, la Grande Muraille Verte et le Fonds vert, ainsi qu’un film documentaire sur la valorisation des déchets, diffusé sur les réseaux sociaux.

Le ministre, Dr Mabouba Diagne, s’est réjoui des « prouesses » accomplies par l’Inp malgré des moyens limités. Il s’est engagé à répondre favorablement à leurs demandes qui impliquent un appui matériel et financier. Pour sa part, le représentant de la Fao, Ibra Sounkarou Ndiaye, a salué cette « nouvelle dynamique » et appelé à transformer rapidement les acquis scientifiques en un cadre national d’investissement, afin d’aligner la lutte pour les sols sur la Vision Sénégal 2050. Il a évoqué la collaboration étroite avec l’Inp depuis 2022, incluant l’établissement de situations de référence dans les zones agroclimatiques, l’élaboration de plans d’aménagement et la mise en place d’un système d’information pédologique visant à améliorer la production, la nutrition, l’environnement et les moyens de subsistance.

Assane FALL
LESOLEIL

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