Service militaire : obligatoire ou volontaire, tour d’Europe d’un retour en grâce

Face aux enjeux de sécurité liés à la montée des menaces en Europe, beaucoup de pays ont remis, ou songent à remettre en place, un service militaire, le plus souvent sélectif et sur la base du volontariat. 

Par : Aurore Lartigue – SOURCE RFI

« De nombreux pays en Europe sont en train de réintroduire un service national », a fait valoir samedi le chef d’état-major des Armées français, Fabien Mandon, pour justifier le retour du débat en France. Depuis, Emmanuel Macron a confirmé envisager l’instauration d’un service militaire volontaire pour faire face à un monde « fait d’incertitudes ». 

Un débat qui s’inscrit dans un mouvement plus large : la montée de la menace russe, l’instabilité persistante au Moyen-Orient et l’incertitude autour de l’engagement américain en cas de conflit ont relancé ces dernières années la réflexion sur un renforcement non seulement matériel, mais humain des capacités de défense en Europe.

Pour comprendre ce retour des conscriptions et de leurs variantes, il faut revenir à ce que représente historiquement ce modèle sur le continent. « À partir de la Révolution française, un lien très fort s’est établi entre citoyenneté et port des armes », rappelle l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS). « Aux XIXᵉ et XXᵉ siècles, le vote et le service militaire vont de pair : on est citoyen aussi parce qu’on participe à la défense de la patrie. »

La plupart des États européens ont abandonné le service militaire obligatoire à partir des années 1990. « La fin de la guerre froide a rendu moins nécessaire le service militaire de masse, au profit d’une armée de métier, faite de spécialistes, poursuit le spécialiste. Un choix autant économique que stratégique : la technicité accrue des opérations imposait des professionnels. »

Le souvenir des deux guerres mondiales commençait à s’émousser et la dissuasion nucléaire avait écarté l’idée d’un dérapage et la possibilité d’une nouvelle guerre. C’est le cas de la France en 1997 sous la présidence de Jacques Chirac, mais aussi des Pays-Bas, de la Belgique. Ou, plus tardivement, dans les années 2000, de l’Espagne (2001), la Slovénie (2003), la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, le Portugal (2004), l’Italie (2005), la Roumanie (2006), la Bulgarie (2007), la Pologne (2009) et jusqu’à l’Allemagne en 2011.

Ceux qui ne l’ont jamais abandonné 

Si beaucoup ont renoncé au service militaire obligatoire, d’autres États l’ont conservé, parfois en l’adaptant : l’Autriche, le Danemark, la Suisse, la Finlande, la Norvège, la Grèce, Chypre et l’Estonie. Des pays qui appliquent différents modèles : service obligatoire, systèmes par tirage au sort lorsque les volontaires manquent, ou conscription sélective selon la motivation et les compétences. 

Signe d’une évolution, plusieurs pays ne fonctionnent plus avec une conscription de masse, mais avec des modèles mixtes : le service reste juridiquement obligatoire, mais seuls les jeunes dont les profils correspondent aux besoins sont appelés, parfois par tirage au sort. Un système sélectif qui permet de garder une capacité de mobilisation sans imposer un service généralisé.

Ces dernières années, face à la montée en puissance de la menace russe, plusieurs pays européens ont rétabli la conscription.
Ces dernières années, face à la montée en puissance de la menace russe, plusieurs pays européens ont rétabli la conscription. © Studio graphique FMM

L’Autriche dispose d’un service militaire obligatoire pour les hommes de six mois, tandis que les femmes peuvent s’engager volontairement. En Suisse, les conscrits ont le choix entre 18 semaines de formation obligatoire ou un service civil plus long avec des périodes de service étalées dans le temps. Mais les Suisses sont appelés aux urnes le 30 novembre pour décider de l’éventuel remplacement de ce système par un service citoyen, dont l’obligation serait étendue aux femmes, mais qui pourrait s’effectuer pas seulement dans l’armée ou la protection civile, mais aussi dans la protection de l’environnement ou l’aide aux personnes vulnérables par exemple, en fonction des besoins.

En Finlande, le service est obligatoire et dure de six à douze mois selon la spécialité ou le grade ; il reste volontaire pour les femmes. Le pays, qui dispose de la plus grande frontière avec la Russie et a abandonné sa politique de non-alignement pour entrer dans l’Otan en 2023, envisage de relever l’âge de la réserve (ceux qui ont fait leur service) jusqu’à 65 ans. 

En Estonie, également en première ligne face à la Russie, le service militaire dure de huit à onze mois pour les hommes et il est volontaire pour les femmes. 

En 2024, le Danemark a décidé d’allonger progressivement la durée de conscription (de quatre à onze mois) et le service est par ailleurs devenu obligatoire pour les femmes depuis l’été dernier. Mais tous les jeunes Danois ne sont pas amenés à servir sous les drapeaux : le système est basé sur un tirage au sort.

La Grèce a toujours maintenu une conscription obligatoire de neuf à douze mois pour les hommes. Un projet de loi prévoit d’ouvrir un service volontaire de douze mois aux femmes, qui jusqu’ici ne pouvaient servir que comme militaires de carrière. À Chypre, où le conflit avec la Turquie n’a jamais été réglé, un service militaire de quatorze mois est obligatoire pour les hommes. Le Parlement a voté en avril une loi l’ouvrant aux femmes volontaires.

Hors Union européenne, la Norvège a décidé en 2013 de rendre le service militaire de douze mois également obligatoire pour les femmes au nom de l’égalité des sexes.

À noter que l’Irlande et Malte n’ont toujours eu que des armées professionnelles en temps de paix. 

Ceux qui l’ont réinstauré

Mais l’annexion de la Crimée en 2014, et encore plus l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ont poussé certains États à faire marche arrière. La Lituanie a restauré dès 2015 un service de neuf mois pour les hommes sur tirage au sort, alors qu’elle l’avait suspendu en 2008. Les conscrits basculent ensuite dans la réserve pour dix ans, durée qui sera portée à quinze ans en 2026. En 2023, la Lettonie, voisine de la Russie, a également fait marche arrière, réinstaurant un service de onze mois. 

Le service militaire a aussi été rétabli en Suède en 2017 pour une durée de neuf à quinze mois. Une conscription sélective pour les deux sexes.

C’est à chacun de décider, je trouve. Mais je pense aussi que tous ceux qui sont en bonne santé et qui le peuvent devraient le faire. Parce que je pense que c’est une bonne expérience de vie.

La Suède a rétabli un service militaire sélectif depuis 2017

Fin octobre, la Croatie a voté le rétablissement de la conscription pour les hommes à partir de 2026, suspendue en 2008. La formation militaire de base durera deux mois, avec une alternative de service civil de trois à quatre mois.

Cette différence d’approche entre l’Est et l’Ouest de l’Europe est directement liée au sentiment de menace : « En Finlande ou en Europe orientale, beaucoup plus exposée à la menace russe, l’idée de défense du pays par tous reste extrêmement prégnante, note Stéphane Audoin-Rouzeau. En Europe occidentale, nous avons cru que jamais plus la guerre ne pourrait nous concerner, pensant avoir réalisé le vieux rêve des pacifistes du XIXᵉ siècle. »

Ceux qui ont rouvert le débat

Dans plusieurs États d’Europe de l’Est, mais aussi occidentale, le débat a néanmoins ressurgi, généralement autour de modèles volontaires. « Il ne semble pas possible de remobiliser des classes d’âge entières, ou même des fractions importantes, faute d’infrastructures et de personnels […]. Aujourd’hui, l’idée que la jeunesse d’un pays pourrait avoir l’obligation de défendre la patrie – et de mourir pour elle – semble morte ou en tout cas inacceptable », ajoute Stéphane Audoin-Rouzeau, en référence à la polémique suscitée par les propos du chef d’état-major Fabien Mandon qui a déclaré la semaine dernière que « la France [devait] accepter de perdre des enfants ».

Même si l’historien prévient : « On ne sait pas comment les gens réagiraient en cas de basculement du temps de paix au temps de guerre. Il ne faut pas sous-estimer l’effet mobilisateur de la vraie guerre. Après le 13 novembre 2015, on a vu un afflux dans les centres de recrutement militaire, comme en Ukraine après le 24 février 2022. Dès lors que la menace est là, tout peut changer. »

La Bulgarie, en 2020, et les Pays-Bas, en 2023, ont lancé des formes de service militaire volontaire. Depuis 2024, la Pologne a, elle aussi, mis en place une formation militaire volontaire de base d’un mois, à laquelle peuvent s’ajouter jusqu’à neuf à onze mois de formation spécialisée pour ceux qui souhaitent rejoindre l’armée active. Ce sera aussi le cas de la Roumanie dès 2026 qui lance un service volontaire de quatre mois, ainsi que de la Belgique qui vise 1 000 recrues par an, même si le débat n’est pas complètement éteint sur la relance d’un service obligatoire.

Idem en Allemagne où le sujet a fait l’objet d’intenses négociations. Le projet de loi doit être voté en décembre, mais la coalition au pouvoir a trouvé un compromis autour d’un service militaire volontaire afin de renforcer une armée en manque de recrues. Tous les jeunes de 18 ans recevront, à partir de 2026, un formulaire sur leur motivation et leurs aptitudes. Réponse obligatoire pour les hommes, facultative pour les femmes. Objectif : recruter 20 000 volontaires en 2026. 

Au Royaume-Uni, l’ex-Premier ministre Rishi Sunak s’était dit favorable au rétablissement d’un service national obligatoire, aboli depuis 1960. Projet porté par les conservateurs durant la campagne qui depuis été enterré par le gouvernement Starmer.

Au-delà de son aspect symbolique, la conscription reste un outil militaire efficace dans les guerres longues et d’attrition, où la démographie devient un facteur stratégique, commente Stéphane Audoin-Rouzeau. « Sur le front ukrainien, c’est le nombre d’hommes qui fait la différence », souligne-t-il. Même s’il tempère : « La guerre est un caméléon : rien ne dit que les outils préparés aujourd’hui seront les bons demain. »

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