« L’urgence à Madagascar, ce n’est pas de parler d’élections »: la Gen Z se pose en gardienne de la révolution

Après l’euphorie de la victoire, la jeunesse malgache qui s’est mobilisée contre le régime d’Andry Rajoelina sait que tout reste à accomplir pour refonder la Nation et le pays. Si la Gen Z accorde toujours sa confiance au président de la Refondation de la République de Madagascar, le colonel Michaël Randrianirina, elle se montre particulièrement vigilante à l’égard du gouvernement actuel et à l’organisation d’Assises nationales. 

Par Philippe Randrianarimanana – SOURCE TV5

Un mois après l’investiture du colonel Michaël Randriananirina la tête de l’État à Madagascar, le nouvel homme fort du pays jouit toujours d’une certaine bienveillance auprès de la Gen Z à en croire cette dernière. « Nous apprécions son attention, sa disponibilité et la qualité de son dialogue », se félicitait sur sa page Facebook ce mouvement de jeunes à la suite d’une rencontre de ses représentants avec le président de la Refondation de la République de Madagascar, le samedi 15 novembre. 

Le lendemain, s’exprimant à l’ensemble de la Nation, ce dernier a annoncé le projet de création d’une assemblée citoyenne des jeunes. « Une sorte de réceptacle qui institutionnalise leur participation et qui ne soit pas du genre informel », observe auprès de TV5MONDE la politologue Christiane Rafidinarivo, chercheuse associée au CEVIPOF Sciences Po.

« Le gouvernement actuel n’a pas vocation à être le gouvernement de transition »

Officiellement, le président Randriananirina envisage donc de laisser une place à cette génération à la tête de la fronde qui a fait chuter le président Andry Rajoelina. Mais on ne sait pas encore sur quel mode de désignation fonctionnerait cette Assemblée de jeunes, ni avec quelle prérogative. Une telle Assemblée ne sera pas concurrente de l’Assemblée nationale, a souligné le président.

Pour l’heure, la Gen Z reste extérieure à l’exécutif, absente du gouvernement de Herintsalama Rajaonarivelo qui ne symbolise pas vraiment la rupture attendue. « Il y a toutes les tendances politiques. C’est un gouvernement qui n’a pas exclu des proches de l’ancien régime ou du système politique décrié », analyse Christiane Rafidinarivo. Du point de vue des autorités, ce gouvernement d’union qui ne dit pas son nom a l’avantage « d’obtenir la paix sociale et d’éviter que le crise ne s’aggrave » mais aussi d’être « relativement représentatifs pour aller négocier à l’international ».

En revanche, dès sa nomination, le gouvernement du Premier ministre Herintsalama Rajaonarivelo a fait l’objet de critiques ouvertes du mouvement des jeunes. « Nous considérons le gouvernement actuel comme un gouvernement d’urgence, chargé uniquement des affaires courantes et des urgences nationales, le temps que le plan d’action de la refondation sorte. Il n’a pas vocation à être le gouvernement de transition » assure aujourd’hui des représentants de la Gen Z interrogés par TV5MONDE. « Nous acceptons d’attendre les deux mois annoncés », concèdent-ils tout en se disant « vigilants ».

Ce délai de « deux mois » n’a pas été évoqué par le Premier ministre lors de sa présentation devant l’Assemblée nationale, le 18 novembre, du chronogramme de deux ans de transition qui s’achèverait par une élection présidentielle au premier semestre 2027.

Faire « que les Assises nationales appartiennent réellement au peuple »

Une chose est sûre: la première étape cruciale de la transition est l’organisation de la concertation nationale. À ce sujet, la Gen Z prone une approche ambitieuse qui parte de la base, de quartiers appelés fokontany en ville comme à la campagne, pour remonter au niveau national. « L’enjeu n’est pas de faire un événement symbolique mais de lancer un mécanisme national inclusif, capable de rassembler toutes les forces du pays autour d’un projet de société cohérent ». 

Quant à l’organisation de cette concertation nationale, le mouvement de jeunes insiste sur le fait qu’elle soit « inclusive, pluraliste, crédible » au sein d’un « comité de pilotage ». Pas question de laisser le gouvernement « piloter seul ou déléguer l’organisation à une entité unique », par exemple le FFKM, cette Confédération qui rassemble quatre églises chrétiennes à Madagascar et qui historiquement a joué un rôle de médiateur en temps de crise. 

Au plus fort de la contestation de la jeunesse mobilisée dans la rue, le président Rajoelina avait lui-même annoncé l’organisation d’une concertation nationale sous l’égide du FFKM. Mais l’autorité morale que l’on prête aux Églises chrétiennes ne suffit pas aux yeux de la Gen Z. 

Pour la politologue Christiane Rafidinarivo, le FFKM et les églises font de toutes façons partie de la société civile malgache appelée à se mobiliser et à se prononcer dans le cadre d’assises nationales. Le chronogramme annoncé par le Premier ministre envisage de les tenir jusqu’au mois de mai 2026. D’ores et déjà, selon cette même chercheuse, on observe « une dynamique de regroupements de plateformes visant à avoir le plus de poids possible au sein de différentes catégories ». C’est le cas y compris du côté des partis politiques: « On voit l’implosion des plateformes et une restructuration du paysage politique ».

La Gen Z n’est pas à la conquête du pouvoir

Reste à savoir comment va se positionner la Gen Z elle-même? Depuis l’arrivée du nouveau pouvoir, elle s’est structurée, dotée d’une charte et d’une feuille de route. Plus qu’un programme, elle défend des valeurs. Elle a aussi des représentants pour porter sa parole de visu. Mais « ce n’est pas un parti politique fondé sur la conquête et l’exercice du pouvoir », souligne Christiane Rafidinarivo. 

« Ce que nous défendons avant tout, c’est l’émergence de nouvelles forces politiques, de nouveaux mouvements, de nouveaux projets capables de renouveler l’offre politique! », confirme d’une certaine façon la Gen Z pour qui « l’urgence, ce n’est pas de parler d’élections, mais de mettre le pays sur de bons rails et de structurer une transition crédible ». Et quand le président Randrianirina déclare qu’il n’exclut pas de se présenter aux élections, elle ne s’en offusque pas. « Dans une démocratie, chacun peut être candidat. Mais sa fonction actuelle n’est pas censée servir de plateforme de campagne.

Ni opposant, ni contre-pouvoir, la Gen Z se conçoit donc strictement au service du peuple et de la refondation de Madagascar. « Ils veulent être présent quand le président et son entourage font des descentes sur le terrain, note Christiane Rafidinarivo. Ils jouent un peu le rôle d’aiguillon du pouvoir, de gardien de la révolution ».

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