Parti de l’Amérique d’Elon Musk

«Je ne vois pas comment cette troisième voie peut vivre» – Elon Musk a annoncé cette semaine la création du « parti de l’Amérique », censé dépasser le système bipartisan qui structure la vie politique américaine. Frédérique Sandretto, professeure de civilisation américaine à Science Po Paris, décrypte les chances de cette troisième voie. 

Par :Aurore Lartigue

RFI : Avec la création de son American Party, Elon Musk prétend rompre avec le bipartisme américain. Mais ce genre de tentative a déjà été tenté plusieurs fois, sans succès, non ?

Frédérique Sandretto : Historiquement, le premier, c’est Theodore Roosevelt, membre du Parti républicain pendant ses deux mandats [de 1901 à 1909] qui a essayé de lancer ce qu’il appelait le Progressive Party en 1912. Et en fait, ça a été un fiasco total. Tout le monde ne s’est pas du tout rallié à lui, mais il a privé le sortant républicain William Howard Taft d’une partie des suffrages, et c’est le candidat du Parti démocrate, Woodrow Wilson qui a été élu.

Ensuite, il y a le milliardaire texan Ross Perot aux élections de 1992. Alors lui, c’était un peu comme Musk finalement. On peut faire presque un parallèle : c’était un businessman, avec énormément d’argent, ce qui est essentiel pour gagner une élection américaine. Et il a voulu vraiment capter un nouvel électorat en ayant un discours anti-establishment. Mais ça n’a pas marché puisque le démocrate Bill Clinton a gagné. Et ensuite, il y a eu d’autres tentatives : des écologistes comme Ralph Nader en 2000, 2004 et 2008 puis Jill Stein [en 2012, 2016 et 2024], et il y a eu Gary Johnson du parti libertarien. 

Je dirais que la candidature qui aurait pu le plus fonctionner, c’était celle de Ross Perot qui a raflé presque 20% des suffrages. Ce qu’on peut dire en tout cas, c’est qu’elle a coûté un grand nombre de voix au sortant Georges H. Bush, qui n’a pas été réélu. Mais malheureusement, ça ne marche pas.

Pourquoi les tentatives de créer une troisième voie politique aux États-Unis échouent-elles systématiquement ?

En effet, on peut se demander comment ça se fait que, dans un pays qui se dit le plus démocratique au monde, il n’y ait que deux partis qui ont la place d’exister ? Le bipartisme n’est pas du tout prévu dans la Constitution américaine. Par contre, c’est né vraiment dans les décennies qui ont suivi l’indépendance des États-Unis en 1776, où il y a eu deux grands partis politiques. Donc, je pense que c’est vraiment ancré dans la culture américaine. Et le président George Washington, en 1790, a gardé ces deux courants politiques qui étaient le parti fédéraliste et le parti républicain-démocrate. Et en 1860, on assiste à l’émergence du bipartisme comme on le connaît actuellement, entre les républicains et les démocrates. Et depuis, c’est resté comme ça. 

Cela s’explique aussi par le fonctionnement du système électoral, avec ce seul et unique tour où « the winner takes all », c’est-à-dire, celui qui arrive en tête rafle tout. Ce qui fait que des petits partis sont sûrs de perdre statistiquement. Par ailleurs, il y a la question du financement. Il faut beaucoup d’argent pour lancer un parti, ça ne peut pas se faire juste sur des idées politiques, il faut des financements derrière.

Elon Musk a-t-il plus de chances de réussir là où les autres ont échoué ? 

Quand j’ai entendu l’annonce, j’y ai vu une guerre d’égos. Musk a soutenu Trump, il a été son premier donateur particulier, Trump l’a nommé au DOGE, le ministère de l’efficacité. Maintenant, il veut prouver qu’il peut lui tenir tête en lançant son parti. Mais quand on se penche sur les discours de Musk, on a l’impression que l’American Party est un parti d’opposition et de réaction à la politique de Trump. Son discours est uniquement axé sur l’économie, sur le rejet du budget défendu par Trump, qu’il qualifie d’« abomination répugnante ». Il parle beaucoup de « liberté », un mot fort aux États-Unis. Mais de quelle liberté s’agit-il ? Liberté économique ? Liberté de ne pas être endetté ? Ça reste flou. On n’a aucune indication sur l’éducation, sur la politique internationale et diplomatique, sur les questions sociétales américaines. Ça n’apparaît pas dans le discours. Ou en tout cas pas encore. Donc j’ai vraiment l’impression qu’il n’y a pas d’idéologie derrière. 

Ensuite, qui va se rallier à la cause d’Elon Musk ? On a cité des sénateurs républicains comme Rand Paul, Mike Lee, Ron Johnson, mais ça ne suffit pas. Qui voterait pour lui ? Des républicains déçus ? Des technocrates ? Son électorat est très incertain. Et sa cote de popularité est assez basse après son passage au DOGE, donc je ne suis pas sûr qu’il ait autant de partisans qui le suivent. D’autant plus qu’au niveau timing, ce genre de tentatives a plus de chances d’aboutir quand il y a une échéance électorale. Et là, elle reste assez loin puisque ce sont les midterms en 2026. 

Vous êtes donc plus que sceptique quant au fait qu’il puisse incarner une troisième voie crédible ? 

Complètement. Je pense que ça serait bien politiquement. Je pense peut-être qu’il serait temps que les États-Unis aient plus de diversité dans leurs partis politiques. Malheureusement, je ne vois pas comment ce troisième parti peut vivre. Même si l’idée est bonne, parce qu’on peut l’aimer ou ne pas l’aimer, peu importe, c’est quelqu’un qui est visionnaire. Donc pourquoi pas se mettre à la politique. Sachant que Musk lui-même ne pourra pas être candidat puisqu’il est né en Afrique du Sud et qu’il n’est donc pas éligible. Mais quoi qu’il en soit, je ne suis pas sûr que ce soit un projet viable sur le long terme et j’ai plutôt l’impression qu’on assiste à l’affrontement de deux hommes à travers des lois, à travers la création de ce parti… Ça va très loin. La politique est prise en otage pour des questions de personnalités.

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