« Les minerais, une obsession de Donald Trump »: ce qu’il faut savoir sur le premier sommet africain organisé à la Maison Blanche
Donald Trump accueille, à partir de ce mercredi 9 juillet et pour trois jours, les présidents du Gabon, de la Guinée-Bissau, du Liberia, de la Mauritanie et du Sénégal. L’accent de ce premier sommet africain organisé à la Maison Blanche par le président américain devrait être mis sur les opportunités économiques que représentent ces pays pour les États-Unis.
Par Pierre Desorgues
Un sommet présenté comme la première grande initiative africaine du second mandat de Donald Trump. Cinq présidents africains, dont trois francophones, seront présents du 9 au 11 juillet à Washington. Le président Bassirou Diomaye Faye, pour le Sénégal, Mohamed Ould Ghazouani, président de Mauritanie, Brice Clotaire Oligui Nguema, chef d’État du Gabon et les président du Libéria et de Guinée-Bissau Joseph Boakai et Umaro Sissoco Embaló sont attendus sur place.
Selon Africa Intelligence et Reuters, qui ont révélé la tenue de ce sommet, les dirigeants africains participeront à un déjeuner officiel avec le président américain le 9 juillet avant que des sessions thématiques suivent durant trois jours. L’initiative vise à favoriser « un dialogue ouvert », selon un haut responsable américain interrogé par RFI qui assure que les États-Unis sont « à l’écoute des préoccupations et des priorités » des nations africaines.
« Nouer des partenariats »
Les questions économiques, et notamment celles des minerais et de l’énergie, devraient être au centre des discussions, mais aussi sur les questions de sécurité, comme le trafic de drogue.
« L’objectif est de nouer des partenariats » et de « promouvoir l’engagement économique et l’investissement du secteur privé », explique le haut responsable américain. Le continent africain regorge de ressources et d’hydrocarbures. C’est notamment le cas des cinq pays invités à la Maison Blanche.
Le Sénégal, en pleine crise de ses finances publiques, est officiellement devenu en juin 2024 un pays producteur de pétrole et de gaz. La compagnie australienne Woodside Energy exploite ainsi l’extraction de pétrole du champ de Sangomar au large des côtes africaines. Même chose pour la Mauritanie du président Mohamed Ould Ghazouani qui exploite des champs de gaz offshore avec le Sénégal
À Dakar, le nouveau pouvoir autour du président Bassirou Diomaye Faye et du premier ministre Ousmane Sonko, entend renégocier les contrats d’exploitation des ces champs pétroliers et gaziers. Une opportunité pour des entreprises américaines? Dakar espère obtenir de l’exploitation des hydrocarbures un milliard d’euros par an sur trente ans.
La Guinée Bissau du président Umaro Sissoco Embaló est un des pays les plus pauvres au monde. Elle est classée 179e sur 193 pays dans l’indice de développement humain du Pnud (classement 2022), qui mesure la qualité de la vie. Le pays possède pourtant de nombreuses ressources en pétrole, phosphates et en bois.
Le pays est désormais une plaque tournante du trafic de drogue. La drogue part d’Amérique latine, traverse l’Océan atlantique pour ensuite arriver à Bissau et partir vers l’Europe.
Le 1er février 2022, le président Umaro Sissoco Embaló avait été victime du tentative de coup d’État. Selon lui les cartels de drogue locaux étaient derrière l’attaque du palais présidentiel. En septembre 2024, la police avait saisi quelque 2900 kilos de cocaïne à l’aéroport de Bissau.
Brice Oligui Nguema fera partie également des invités de la Maison Blanche. Les relations entre Washington et Libreville se sont réchauffés ces derniers mois. Le Secrétaire d’État Marc Rubio a jugé « exemplaire » la transition menée au Gabon après le coup d’État qui a mis fin à 50 ans de pouvoir du clan Bongo dans le pays.
Le Secrétaire d’État, Marc Rubio, a obtenu du Congrès la levée des sanctions infligées par les États-Unis contre le pays. Le Gabon, dont la production pétrolière a décliné ces dernières années, reste l’un des principaux producteurs de manganèse au monde.
Ce minerai rare est essentiel notamment dans la production de batteries électriques. Le Gabon entend désormais transformé le manganèse sur place avant de le vendre. Il compte notamment sur de grands opérateurs internationaux pour installer des usines sur place. En échange de partenariats, Donald Trump pourrait proposer une aide militaire contre la piraterie dans le Golfe de Guinée.
« J’ai pensé à un canular quand j’ai vu la liste de ces cinq pays »
Du côté du président du Libéria Joseph Boakai, il existe un lien historique fort entre les deux pays. Le Libéria a été fondé en 1822 par d’anciens esclaves afro-américains. Des dizaines de milliers d’anciens esclaves ont traversé l’Atlantique pour fonder ce nouveau pays entre 1822 et 1861, date de l’abolition de l’esclavage aux États-Unis.
Le Libéria est également connu pour ces gisements importants de diamants. Ils ont été la source de financement des groupes armées lors de deux guerres civiles dans les années 90.
Cette liste des cinq pays africains laisse cependant songeur de nombreux observateurs. C’est le cas de l’ancien ambassadeur américain en République centrafricaine, Jeffrey Hawkins.
J’avoue que j’ai pensé à un canular quand j’ai vu la liste de ces cinq pays. Seule l’obsession africaine de Donald Trump pour les minerais rares explique la tenue de ce sommet.
Jeffey Hawkins, ancien ambassadeur américain à Bangui à TV5MONDE
Les échanges commerciaux entre les États-Unis et ces pays restent très faibles, souligne Jeffrey Hawkins. « Les échanges avec la Guinée-Bissau ne sont que de 3,5 millions de dollars par an. Le Gabon n’est pas un interlocuteur important, tout comme la Mauritanie », pointe Jeffrey Hawkins auprès de TV5MONDE.
« Le Libéria? Le lien historique avec Washington ne représente rien pour Donald Trump. Seul le Sénégal est une cible de la diplomatie américaine depuis plusieurs années », estime l’ancien ambassadeur.
Une nouvelle diplomatie américaine
Ce sommet centré sur les questions économiques semble montrer un changement de paradigme de la diplomatie américaine en Afrique autrefois axée sur les questions de développement. Le changement le plus marquant a été la fermeture de l’agence américaine de l’aide au développement, USAID le 8 février 2025.
Son budget était de 40 milliards de dollars. Sur les 10 premiers pays bénéficiaires des aides américaines en 2024, six étaient des pays africains. Ainsi plus de 70% des aides de premier secours pour les réfugiés en RD Congo étaient financés par USAID.
Désormais Washington entend conditionner ses aides à celle de la défense de ses intérêts.
Nous ne mettons pas fin à l’aide humanitaire mais nous mettons fin au gaspillage. Nous n’aiderons les pays qu’en fonction de nos intérêts. »
Marc Rubio, secrétaire d’État américain, le 12 février
C’est un tournant. Selon Jeffrey Hawkins, ancien ambassadeur américain en République centrafricaine sous la présidence de Obama, l’administration Trump a détruit « les fondements de la diplomatie américaine » sur le continent.
Le président américain privilégie désormais une diplomatie plus commerciale, moins axée sur l’aide au développement. « Ce qui me frappe c’est l’abandon de tout aspect stratégique », pointe l’ancien ambassadeur.
« Quelques sujets en Afrique intéressent le président Trump à travers notamment l’action de Marco Rubio, le chef de la diplomatie américaine, et du conseiller pour l’Afrique Massad Boulos. Ils ont négocié une sorte d’accord entre la République démocratique du Congo et le Rwanda [L’accord de paix a été signé le 27 juin à Washington, NDLR]. En fait, pour Trump, l’intérêt porte encore là sur des minerais rares, ici au Congo », décrit l’ancien ambassadeur américain.
L’heure est au désengagement politique américain dans certains pays africains. Selon Le New York Times, six ambassades américaines sur le continent sont menacées. C’est le cas des ambassades en République centrafricaine, en République du Congo à Brazzaville ou à Juba au Soudan du Sud.
Un sommet plus large entre les États-Unis et l’Afrique est par ailleurs annoncé pour septembre, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Reste à savoir si la question de l’interdiction d’entrée sur le territoire américain aux ressortissants de 25 pays africains, dont le Sénégal, sera évoquée lors de ces échanges.

