Le Kremlin renforce sa présence militaire à la frontière finlandaise, selon des images satellites, qui indiquent que les Russes construisent à proximité des infrastructures pour leurs troupes, dont des installations pour avions et hélicoptères. Des images qui rappellent les préparatifs russes avant l’invasion de l’Ukraine, en février 2022. De quoi s’inquiéter? L’ancien colonel et expert en stratégie militaire Roger Housen partage ses analyses.
Luc Beernaert, Matthias Bertrand – Source: HLN
Ces photos ont été obtenues par la télévision publique suédoise auprès de Planet Labs, une entreprise américaine spécialisée dans la cartographie dynamique de la planète. Et elles montrent une activité impressionnante du côté russe de la frontière. À Kamenka, à environ 55 km de la Finlande, plus de 130 tentes militaires semblent avoir été installées depuis février ; assez pour accueillir environ 2.000 soldats.
À Petrozavodsk, à 160 km de la frontière, d’autres images témoignent de la construction de trois grands hangars capables d’abriter chacun une cinquantaine de véhicules blindés.
L’ancienne base aérienne de Severomorsk-2, auparavant fermée, serait désormais à nouveau opérationnelle après plusieurs années de travaux. Plusieurs hélicoptères y sont actuellement stationnés à proximité de la piste d’atterrissage, située à 175 km de la Finlande et à 110 km de la Norvège.
Enfin, la base aérienne d’Olenya, à 145 km de la Finlande, semble aussi pleinement active. Selon les renseignements aériens, elle abrite certains des bombardiers qui mènent des raids contre l’Ukraine.
Difficile de ne pas tracer un lien entre ce redéploiement et celui effectué par l’armée russe fin 2021 vers la frontière ukrainienne. Dès novembre cette année-là, soit trois mois avant l’invasion, des responsables américains exprimaient leur inquiétude face à des images satellites démontrant que le Kremlin concentrait ses troupes. Des inquiétudes balayées à l’époque par Moscou, qui n’évoquait que de simples exercices.
Ce que nous voyons sur une frontière de près de 1.300 km n’est que la réponse de Moscou à l’adhésion de la Finlande à l’OTANRoger Housen
“Ce que nous observons aujourd’hui le long des quelque 1.300 km de frontière entre la Russie et la Finlande constitue la réponse de Moscou à l’adhésion de la Finlande à l’OTAN en avril 2023”, estime pour sa part l’ancien colonel ROger Housen. “Il s’agit de la mise en œuvre d’une décision prise à l’époque par l’ancien ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou (aujourd’hui secrétaire du Conseil de sécurité de la Russie, NDLR), à savoir le renforcement du district militaire nord-ouest.”
Par ailleurs, ce redéploiement militaire reste bien modeste par rapport à ce que les Russes avaient déployé fin 2021 à la frontière avec l’Ukraine.
“De nouveaux chars et véhicules blindés sont envoyés vers ces bases près de la frontière finlandaise, et un nouveau commandement a été créé avec des unités dotées de matériel moderne”, résume Housen. “Mais l’échelle reste incomparable avec la force d’invasion et la logistique préparée fin 2021 autour de l’Ukraine. Il ne s’agit que d’une fraction de ce que nous avons vu à l’époque, et ces efforts se répartissent sur une frontière longue de 1.300 km. Ces unités restent très clairsemées.”
Les Finlandais ont nettement renforcé leur présence militaire le long de la frontière avec la Russie. Ce que l’on observe aujourd’hui, c’est donc un renforcement de part et d’autreRoger Housen
Le chef adjoint de la Défense finlandaise, le lieutenant-général Vesa Virtanen, a pourtant récemment exprimé ses inquiétudes concernant les activités russes à la frontière. Il estime que le Kremlin “teste délibérément la cohésion de l’OTAN”. Pour Housen, il s’agit surtout d’un message alarmiste destiné à l’opinion publique, d’autant que la Finlande a considérablement augmenté son budget de la défense ces dernières années.
“Les Finlandais ont nettement renforcé leur présence militaire le long de la frontière avec la Russie. Ce que l’on observe aujourd’hui, c’est donc un renforcement des deux côtés de la frontière. L’activité russe est une réponse logique à l’adhésion de la Finlande, et aussi de la Suède (qui a rejoint officiellement l’alliance en mars 2024, NDLR) à l’OTAN.”
Une analyse que partage le chef d’état-major suédois, Michael Claesson. “Lorsque nous avons déposé notre demande d’adhésion à l’OTAN, la Russie avait prévenu qu’elle prendrait ce type de ‘mesures de réponse militaro-techniques’. C’est exactement ce que nous voyons aujourd’hui”, a-t-il commenté.
“Mais avec une force aussi limitée, les Russes ne peuvent rien entreprendre dans cette région”, ajoute l’ancien colonel belge. “S’ils voulaient réellement attaquer la Finlande, ils devraient multiplier leur présence le long de la frontière au moins par dix. Or, ils en sont incapables, car ils ont besoin de toutes leurs capacités militaires en Ukraine”, rassure-t-il.