Poutine envoie à Koursk un général qui a déjà failli faire basculer le monde dans la Troisième Guerre mondiale

L’opération ukrainienne dans l’oblast de Koursk, en territoire russe, reste une très dérangeante épine dans le pied de Vladimir Poutine. D’autant que les troupes de Kiev ont repris l’offensive, cette semaine. Le président russe a envoyé sur place son vice-ministre de la Défense, Iounous-bek Evkourov en personne. Un général qu’il utilise souvent comme pompier face aux situations critiques, et dont le CV est éloquent: “Il s’est déjà retrouvé face à des soldats de l’OTAN, les armes à la main.”

Guy Van Vlierden, Matthias Bertrand  Source: HLN

Le risque de confrontation armée entre la Russie et l’Occident n’avait ni totalement disparu avec l’URSS, ni n’est réapparu qu’avec l’invasion de l’Ukraine. Car même dans les années 90, les tensions ont parfois porté le monde au bord du conflit entre grandes puissances. En particulier autour de l’ex-Yougoslavie, où l’Occident s’opposait à la Serbie, soutenue par la Russie.

Un pays bombardé par les Occidentaux

À l’époque, la province serbe du Kosovo luttait pour son indépendance, brutalement réprimée par le régime de Belgrade. Après de lourds bombardements occidentaux contre les Serbes, qui ont causé la mort de plusieurs centaines de civils, un accord de paix a été signé le 11 juin 1999. Cet accord prévoyait le retrait des troupes serbes du Kosovo et stipulait que des soldats de l’OTAN prendraient leur place à des points stratégiques, comme l’aéroport de la capitale, Pristina.

Des troupes russes station­nées en Bosnie ont pénétré au Kosovo en tant que forces de maintien de la paix pour prendre possession de l’aéroport

Mais le matin même, des troupes russes stationnées en Bosnie voisine, en tant que forces de maintien de la paix, sont entrées au Kosovo pour prendre possession de cet aéroport. À leur arrivée, elles ont été acclamées par la population majoritairement serbe du nord du Kosovo, suscitant au passage la crainte que Moscou pourrait couper le pays en deux, laissant le nord sous contrôle serbe.

Face à face avec des soldats de l’OTAN

C’est ainsi que Iounous-bek Evkourov est devenu l’un des rares officiers russes à s’être retrouvé face à face, arme à la main, avec des soldats de l’OTAN. Alors major des troupes aéroportées, celui-ci avait commencé sa carrière militaire dans les années 80.

Iounous-bek Evkourov en 1982.
Iounous-bek Evkourov en 1982. © RV

Iounous-bek Evkourov a vu le jour dans la république caucasienne de l’Ossétie du Nord, dans une famille musulmane. Une région troublée. Enfant, il fréquentait encore l’école de Beslan, qui ferait la une des journaux du monde entier en 2004, suite à une prise d’otages ayant causé la mort de plus de 800 personnes.

Des victimes de la prise d’otages meurtrière de Beslan, en 2004.
Des victimes de la prise d’otages meurtrière de Beslan, en 2004. © Royal Norwegian Ministry of Foreign Affairs

Gravement blessé en Tchétchénie

Evkourov a également combattu en Tchétchénie, où il a obtenu la plus haute distinction: le titre de “Héros de la Russie”, en 2000 pour la libération d’un groupe de soldats russes capturés, que son unité a réussi à sauver. Il a lui-même été blessé en évacuant un autre soldat hors de combat.

En 2008, il est devenu gouverneur de la république caucasien­ne d’Ingou­chie, où il a survécu à un attentat à la bombe

En 2008, il a quitté l’armée pour la politique. Le président russe d’alors, Dmitri Medvedev l’a nommé gouverneur de la république caucasienne d’Ingouchie. Mais la violence l’a rattrapé, et il a été grièvement blessé lors d’un attentat à la bombe contre son convoi à Nazran, le 22 juin 2009.

Face à la rébellion de Wagner

Il est resté gouverneur jusqu’à ce que le président Vladimir Poutine le choisisse en 2019 comme vice-ministre de la Défense, un poste qu’il occupe encore aujourd’hui. Il y a neuf vice-ministres, et la responsabilité spécifique d’Evkourov est la formation au combat des troupes. Mais il a également souvent servi comme gestionnaire de crise, comme lors de la rébellion du groupe Wagner. En juin 2023, exaspéré par le manque de soutien, le chef de cette milice a entamé une marche vers Moscou. Plusieurs hélicoptères militaires et un avion de commandement Iliouchine ont été abattus, entraînant la mort présumée de 29 soldats.

Le plus haut grade dans l’armée russe

Si le chef de la milice Wagner,Evgueni Prigojine, avait réussi à rallier suffisamment de militaires à sa cause, ce que les experts ne considéraient pas impossible à l’époque, cela aurait pu marquer la fin de l’ère Poutine. Mais l’avancée a été stoppée lorsque qu’Evkourov et le chef adjoint de l’état-major, Vladimir Alekseïev, sont venus à Rostov-sur-le-Don, alors occupée par le groupe mercenaire, pour négocier avec Prigojine.

Par la suite, Evkourov a voyagé dans de nombreuses capitales africaines pour renforcer les liens que Prigojine y avait noués. Et le week-end dernier, il est apparu aux côtés d’Alexander Khinshtein, le tout nouveau gouverneur de Koursk. On ne sait pas ce qu’il est venu faire là-bas précisément, mais il a également été promu le mois dernier au grade de général quatre étoiles, en pratique le plus haut grade de l’armée russe. Ce qui suggère que la situation est grave et qu’il est là pour prendre les choses en main.

Evkourov avec le frâichement nommé gouverneur de l’oblast de Koursk, Alexander Khinshtein.
Evkourov avec le frâichement nommé gouverneur de l’oblast de Koursk, Alexander Khinshtein. © X (Twitter)

Whisky et menace de guerre mondiale

Au Kosovo, il y a déjà un quart de siècle, les troupes d’Evkourov contrôlaient déjà l’aéroport de Pristina lorsque les soldats de l’OTAN sont arrivés. L’unité, dirigée par le capitaine britannique James Blunt, le célèbre interprète de “You’re Beautiful”’, est retrouvée face à un barrage inattendu.

Les Britanniques ont fait baisser la tension d’un cran, quand le lieutenant-général Mike Jackson, leur commandant au sein des forces de l’OTAN au Kosovo, est allé discuter avec les Russes en prenant soin d’emporter une bouteille de whisky. Mais la situation a failli dégénérer lorsque le commandant américain, et futur candidat à la présidence, Wesley Clark, est arrivé sur place et a exigé que les Russes soient expulsés par la force. Le général britannique aurait refusé en déclarant : “Je ne vais pas déclencher une Troisième Guerre mondiale pour toi.” Finalement, les Russes se sont retirés pacifiquement.

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