Kirène – Conflits paysans et bergers : Du sang dans les champs

Le village de Kirène, situé dans la commune de Diass, est depuis quelques jours sous le feu des projecteurs suite à la mort de Abdou Faye, un jeune  de 26 ans, tué froidement par deux bergers. Le poumon économique de Diass vit aujourd’hui une grande peur à cause des relations conflictuelles avec des bergers, qui envahissent leurs périmètres champêtres avec leurs troupeaux. Une situation qui a provoqué la mort d’un jeune de ce village, la semaine dernière. En guise de représailles, des individus ont mis le feu dans ce village de Thiambokh Peulh d’où sont originaires les deux supposés bourreaux de Abdou Faye.

Le village de Kirène ne digère toujours pas la mort du jeune Abdou Faye, tué par deux bergers. De Dobour, en passant par Kahane Lamane, Gaspard, Tepring, Kahane Ndiaye et Fouk, le quartier où a eu lieu le drame, tout le monde réclame Justice. Figées dans la tristesse, les populations invitent au plus vite les autorités de faire toute la lumière sur ce dossier. Le président de l’Association pour le développement de Kirène tient à rétablir la vérité de faits sur cette affaire qui fait couler beaucoup de salive. «Il faut que nous éclairions la lanterne des Sénégalais sur la réalité des faits. Abdou Faye a été assassiné devant sa maman par deux bergers venus de Thiambokh. Il était venu avec sa maman récolter de l’oseille dans leur champ bien sécurisé avec une clôture. A leur grande surprise, ils ont trouvé deux bergers dans le champ avec leur troupeau. Tout de suite, il a demandé aux bergers de quitter le champ avec leur troupeau, mais ces derniers ont refusé non seulement de sortir, mais ils l’ont attaqué avec des machettes, l’abattant froidement devant sa mère. Cette dernière les a poursuivis lorsqu’ils ont pris la fuite vers la forêt», retrace Alassane Sène.
Depuis cette affaire, les élèves ne font plus cours dans ce village, car les habitants veulent que les présumés coupables soient arrêtés. D’ailleurs, ils indexent la passivité des autorités. «Dans cette affaire, nous pointons la responsabilité des autorités administratives et sécuritaires qui ont  failli à leur mission,  puisque les faits d’agression des bergers sur les paysans sont récurrents à Kirène. Il y a eu plus de 15 plaintes, toutes sans suite», déplore le président de l’Association pour le développement de Kirène.

Pourtant, de tels évènements étaient prévisibles, vu les nombreux cas qui se sont produits dans ce village. Que faire pour éviter de tels scénarios ? «Nous avons pris le soin d’alerter les autorités dès le mois de septembre. Des correspondances ont été adressées au sous-préfet de Sindia, ainsi qu’au commandant de la gendarmerie de Diass et au président des éleveurs. Ils ont tous reçu notre première lettre d’alerte avec décharge depuis le 21 septembre. Malgré cette lettre d’alerte, le 13 novembre dernier, des bergers ont coupé les doigts d’un paysan dans son champ. Ce fait nous a amené à écrire une deuxième lettre d’alerte, cette fois-ci le 21 novembre dernier. Mais, le sous-préfet et le commandant de la gendarmerie n’ont agi pour prévenir de tels drames», déclare M. Sène.

Cohabitation conflictuelle
Aujourd’hui, les habitants de ce village reprochent aux autorités de ne pas être en mesure d’assurer la sécurité. Pour eux, il faut que Justice soit faite, mais aussi que les trois jeunes de Kirène arrêtés dans cette affaire soient libérés. «Nous demandons aussi que le sous-préfet et le commandant de la gendarmerie de Diass soient affectés, puisqu’il y a des plaintes qui sont sans suite avec des blessures et des certificats médicaux des paysans. Nous exigeons aussi la libération immédiate et sans condition des jeunes de Kirène arrêtés dans le cadre de cette affaire. Nous demandons aussi, l’arrestation des bourreaux et non des victimes. Kirène n’a aucun troupeau, ceux que vous voyez divaguer dans le village n’y habitent pas. Et pour cela,  nous exigeons que sur le territoire de Kirène que le pâturage de ces troupeaux soit arrêté pour que la paix règne ici une fois pour toutes», note-t-il.

Astou Ndiaye ne cache pas son amertume suite à la mort du jeune Abdou Faye dans des conditions atroces. «Nous avons mal. Aujourd’hui ce qui se passe, c’est triste. Nous avons subi une grosse perte dans des circonstances inhumaines, des bergers ont tué un des nôtres et c’est nous qui sommes poursuivis. Nous sommes dans quel monde ? Quelle est l’histoire qu’on nous sert ? Ils ne connaissent pas les bourreaux de Abdou Faye, une réponse à laquelle personne ne croit», tance Astou Ndiaye.

Elle est inconsolable. «Depuis cet assassinat, Momath Ciss, le maire de Keur Mousseu, est présent à Thiambokh Peulh, où se trouve le nôtre ? Nous n’avons vu aucune autorité à Kirène, il n’y ena pas. Notre maire ainsi que les autorités du département sont aux abonnés absents. La gendarmerie de Diass a laissé faire, c’est elle qui est aujourd’hui à l’origine de cette situation.  Au lieu de venir nous voir pour nous consoler, on arrête nos jeunes. Nous disons à ces gens que s’il faut se battre pour qu’ils soient libérés, nous le ferons.  Et je le dis bien, nous n’allons plus accepter aucune compromission. Nous ne pouvons pas être victimes et être poursuivis. Pourquoi le commandant a libéré le troupeau que nous avons pris chez les bergers ? Donc, trop, c’est trop. Il ne devait pas venir ici libérer les vaches», dénonce Astou Ndiaye. Elle enchaîne : «On ne nous respecte pas. Le grand-frère de la victime a presque subi le même sort, il a reçu des coups de machette. Muni d’un certificat médical, il a porté plainte, mais sans suite. Nous ne sommes plus en sécurité, il faut que ça arrête.»

18 incidents depuis 2011
Cette affaire Abdou Faye est le dernier drame. Des cas similaires sont monnaie courante dans le village de Kirène. «Ce n’est pas une première dans ce village, depuis très longtemps, des cas d’agression de la part des bergers existent dans ce village. Depuis 2011, moi personnellement j’ai enregistré 18 dossiers qui concernent des affaires liées à des troupeaux qui entrent dans des champs appartenant à des habitants du village de Kirène», raconte Ablaye Ndione, chef du périmètre Rpmk. «Et à chaque fois, ce sont des plaintes qui n’aboutissent pas. Il y a eu trois cas où du sang a été versé, sans compter les dégâts matériels avec des champs complément dévastés par les vaches. Aujourd’hui, nous assistons à mort d’homme et pourtant depuis longtemps, cette situation pouvait être évitée. Tous ces dossiers sont connus des autorités administratives et sécuritaires de Diass», souligne le responsable du périmètre de Kirène.
Aujourd’hui, Kirène est devenue le poumon économique de Diass. Jadis gros village, la commune abrite presque tous les projets de l’Etat qui sont dans cette partie de la commune de Diass. Malgré la présence d’une usine d’eau minérale Kirène, d’une cimenterie, les carrières et l’Aéroport international, les 30 tonnes de haricots verts récoltées chaque jour, les habitants vivent dans la précarité, sans électricité. Frappés par le chômage, les jeunes se contentent de l’agriculture. Mais, leur activité est menacée. Face à cette situation, les habitants demandent aux autorités de prendre les décisions idoines pour pacifier la zone. Les autres villages de la commune se radicalisent et soutiennent le village de Kirène dans cette épreuve. Daouda Sène, membre de l’Association Kolam qui polarise toutes les associations Safène, avertit les autorités : «je m’adresse au président de la République pour lui demander, sommes-nous des Sénégalais oui ou non ? Pourquoi autant de mépris après un tel drame. La situation que les habitants de Kirène vivent, il y a d’autres villages de la commune qui la vivent.
Rien qu’en 2022, dans le village de Mbayard, un jeune du village en classe de Terminale a été tué par des bergers, mon neveu a subi la foudre des bergers qui l’ont assené de coups de machette. Les auteurs de ces faits sont arrêtés, mais après quelques jours, vous les rencontrer traîner dans la brousse», rappelle Daouda Sène. «Nous n’accepterons pas qu’on protège des criminels et arrête les victimes. Que la gendarmerie libère au plus vite ces jeunes», insiste M. Sène.

Les présumés meurtriers arrêtés
La traque a été fructueuse. Cela va sans doute aussi apaiser les populations de Kirène. Le Quotidien a appris que le berger, qui a tué Abdou Faye, a été arrêté ainsi que le propriétaire des troupeaux. Ils ont été tous les deux transférés à la Section de recherches de Thiès. Alors que les trois jeunes de Kirène, qui auraient participé à l’expédition punitive au niveau du patelin d’où serait originaire le présumé meurtrier, devraient faire face ce lundi au procureur. Vendredi, ils avaient fait l’objet d’un retour de Parquet. Accusés d’avoir mis le feu au village de Thiambokh Peulh, ils devraient être édifiés sur leur sort aujourd’hui.

Par Alioune Badara [email protected]

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