Corée du Sud: le président Yoon Suk-yeol dos au mur
Le président sud-coréen Yoon Suk-yeol est mis dos au mur, mercredi 4 décembre, par l’opposition comme par son propre parti après avoir tenté mardi d’imposer la loi martiale, une mesure qu’il a été obligé d’abroger sous la pression. Les partis d’opposition au Parlement annoncent avoir déposé une motion de destitution contre le M. Yoon.
Le calme est revenu dans les rues de Séoul, mais la confusion demeure. Personne ne comprend ce qui a poussé le président Yoon Suk-yeol à déclencher la loi martiale. Bien que le chef d’État justifie sa décision par l’action d’une menace communiste intérieure qui voudrait s’en prendre à la Corée du Sud, cette tentative de coup d’État ratée est bien une manœuvre politique, rapporte notre correspondant à Séoul, Célio Fioretti. Face à l’Assemblée nationale dominée par l’opposition qui bloque la politique du gouvernement, notamment sur le budget, et les scandales à répétition pour le président et son entourage, Yoon Suk-yeol semble vouloir s’accrocher au pouvoir tant qu’il le peut.
Mais l’application de la loi martiale, abrogée dans la nuit au Parlement grâce au vote de 191 députés, et officiellement levée ce matin par le président, est une faute politique grave. Pour beaucoup, même au sein du camp présidentiel, Yoon Suk-yeol a signé son arrêt de mort politique.
Une motion de destitution déposée par l’opposition
Les partis d’opposition au Parlement de Corée du Sud ont annoncé ce mercredi avoir déposé une motion de destitution contre M. Yoon. Pour voter la destitution, il faudra le vote de 201, précise Nicolas Rocca, du service international. L’opposition, qui a la majorité à l’Assemblée nationale, pourrait être rejointe par une grande partie du camp présidentiel qui condamne la déclaration de la loi martiale : au regard du mécontentement populaire, il semble improbable que de nombreux élus soient prêts à défendre le Président. Si le texte est voté, un jugement est prévu devant la cour constitutionnelle.
Les députés décideront ultérieurement la date du vote de cette motion, qui pourrait intervenir dès vendredi, ont indiqué les six partis d’opposition lors d’une conférence de presse commune. Si cette motion aboutissait, elle destituerait le président Yoon. Ce serait la troisième fois que les parlementaires coréens ont recours à cette procédure depuis la destitution de la présidente Park Geun-hye en 2017.
Le Parti démocrate, principal parti d’opposition en Corée du Sud, accusait plus tôt le président d’« insurrection ». « Même si la loi martiale est levée, il est impossible d’éviter les accusations d’insurrection » à son encontre, a déclaré dans un communiqué Park Chan-dae, un responsable du Parti démocrate. Si le président « ne démissionne pas immédiatement, le Parti démocrate engagera instantanément une procédure en destitution, en accord avec la volonté populaire », a indiqué la formation dans un communiqué. « Nous allons porter plainte pour rébellion » contre Yoon Suk-yeol, ses ministres de la Défense et de l’Intérieur et des « personnalités clés de l’armée et de la police, telles que le commandant de la loi martiale [général de l’armée, NDLR] et le chef de la police », a indiqué dans un communiqué le Parti démocrate.
Le ministre de la Défense annonce sa démission
Le ministre sud-coréen de la Défense, Kim Yong-hyun, a présenté ce mercredi ses excuses et a proposé de démissionner. « Je regrette profondément et j’assume l’entière responsabilité de la confusion et de la préoccupation causées au public par la loi martiale » et « j’ai proposé ma démission au président », a annoncé M. Kim dans un communiqué. Il est également visé par la plainte déposée plus tôt par les députés contre le président Yoon Suk-yeol et son cercle proche.
Le coup de poker du président Yoon
Yoon Suk-yeol, dont la cote de popularité était déjà extrêmement faible, a annoncé l’instauration de la loi martiale lors d’une allocution surprise tard mardi, accusant l’opposition de constituer des « forces hostiles à l’État » dans un contexte de débat parlementaire houleux sur le budget.
Rapidement, l’Assemblée nationale est devenue le cœur d’une nuit de tensions. Bloqués par l’armée, les députés et les manifestants ont tenté de forcer les grilles pour rejoindre l’hémicycle. Il y a eu quelques heurts entre les militaires et certains députés, l’une d’entre elle a même tenté de s’emparer du fusil d’un soldat, le chef de l’opposition, lui, s’est filmé en train d’escalader la grille pour rejoindre l’Assemblée.
Après l’abrogation de la loi martiale votée par les députés ayant réussi à pénétrer au sein du bâtiment, l’armée s’est retirée, ce qui a aidé à calmer la situation. La police est restée sur place, mais c’était dorénavant un bras de fer politique entre un président privé de ses soutiens militaires et même de son parti face à une foule et une opposition qui réclamaient son arrestation ou sa destitution.
Le chef de cabinet du président Yoon Suk-yeol et d’importants collaborateurs ont « présenté en masse leur démission » mercredi, selon l’agence nationale Yonhap, après la levée de la loi martiale proclamée dans la nuit par le dirigeant.
La plus importante intersyndicale de Corée du Sud a appelé ce mercredi à une « grève générale illimitée » jusqu’à la démission du président Yoon Suk-yeol. La Confédération des syndicats coréenne, qui compte quelque 1,2 million de membres, a qualifié la tentative de Yoon Suk-yeol de « mesure irrationnelle et anti-démocratique », estimant qu’il avait « signé sa propre fin au pouvoir ».
Plus tôt, Han Dong-hoon, le chef du parti au pouvoir en Corée du Sud, a estimé que le président Yoon Suk-yeol, issu de la même formation, devra rendre des comptes pour avoir instauré la loi martiale dans la nuit avant d’annoncer sa levée quelques heures plus tard, aux premières heures de la matinée ce mercredi.
Washington salue la levée de la loi martiale, le Japon surveille la situation
Les États-Unis se sont dit « soulagés » mardi que le président Yoon ait levé la loi martiale qu’il avait décrétée quelques heures auparavant. « Nous sommes soulagés que le président Yoon soit revenu sur sa déclaration de loi martiale inquiétante et qu’il ait respecté le vote de l’Assemblée nationale [de Corée du Sud] pour y mettre fin », a déclaré un porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche dans un communiqué. Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a également salué la décision et appelé à ce que « les désaccords politiques soient résolus pacifiquement et dans le respect de l’État de droit ».
Pour sa part, Tokyo surveille la situation politique à Séoul avec « une préoccupation exceptionnelle et sérieuse », a déclaré le Premier ministre Shigeru Ishiba devant des journalistes. Il a par ailleurs indiqué n’avoir connaissance « d’aucune information faisant état de ressortissants japonais blessés » en Corée du Sud.
SOURCE RFI