Mégaport de Chancay au Pérou

Symbole de l’influence « made in China » en Amérique latine .

Le sommet de l’Apec, qui s’ouvre jeudi au Pérou sera l’occasion pour le président chinois Xi Jinping d’inaugurer à Chancay le premier mégaport contrôlé par la Chine en Amérique Latine. Un programme symbolique de l’intérêt croissant de Pékin pour cette région.

« De Chancay à Shanghai ». Ce slogan est devenu très populaire dans les milieux économiques chinois, avait assuré le président chinois Xi Jinping à son homologue péruvienne Dina Bularte en juin dernier. Quatre mois plus tard, l’homme fort de Pékin doit se rendre en personne dans la ville de Chancay, située à 75 kilomètres au nord-est de Lima, jeudi 14 novembre, pour y inaugurer un mégaport détenu à 60 % par l’armateur chinois Cosco.

Une visite en grande pompe effectuée dans le cadre du sommet de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (Apec), qui débute ce même jour au Pérou. L’ouverture officielle du port de Chancay, en construction depuis 2019, représente l’un des moments phares de ce sommet qui réunit les dirigeants des 21 principaux pays de la zone Pacifique, y compris Joe Biden, le président sortant des États-Unis. Le président américain et Xi Jinping ont d’ailleurs prévu une rencontre, samedi 16 novembre, en marge de ce sommet.

Porte d’entrée en Amérique Latine

« Les médias chinois se réjouissent tous de cette inauguration, symbole à leurs yeux de l’importance des pays d’Amérique latine pour la Chine », souligne Marc Lanteigne, spécialiste de la Chine à l’Université arctique de Norvège. « C’est symboliquement l’un des plus importants projets d’infrastructure financés par la Chine dans la région », confirme Rhys Jenkins, spécialiste des investissements chinois dans les pays en voie de développement à l’université East Anglia (Norwich, Angleterre).

Le port de Chancay – premier port commercial contrôlé par la Chine en Amérique Latine – a transformé une commune côtière d’environ 60 000 habitants en gigantesque zone marchande et logistique censée jouer un rôle économique et stratégique de premier plan dans le Pacifique. Avant le début des travaux, « le prix du mètre carré dans la région de Chancay était en moyenne de 2 dollars, et maintenant il est de 35 dollars », a expliqué  Juan Álvarez Andrade, maire du district de Chancay, interrogé par le quotidien hongkongais South China Morning Post

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Ce gigantesque projet – qui a déjà coûté 1,3 milliard de dollars sur une facture totale prévue de 3,5 milliards de dollars une fois que le port sera entièrement fini dans quelques années – doit couvrir environ 140 hectares de terrain et le port pourra accueillir les plus gros transporteurs du monde.

« Ce sera la plaque tournante centrale pour le commerce avec l’Amérique latine », assure Wolfgang Muno, spécialiste de politique comparée et de l’Amérique latine à l’université de Rostock, en Allemagne. « Son objectif principal est de réduire le temps pour relier la Chine au Pérou », précise Ana Soliz de Stange, spécialiste des relations des pays d’Amérique latine avec la Chine et les États-Unis à l’université Helmut Schmidt de Hambourg.

Jusqu’à présent, il fallait compter plus de 30 jours pour transporter des marchandises jusqu’au Pérou, pays qui a toujours représenté l’une des principales portes d’entrée en Amérique du Sud. La promesse du port de Chancay est de réduire ce temps de trajet d’environ 10 jours.

“Il permet aussi aux navires chinois de ne pas avoir à faire d’arrêt intermédiaire dans un port nord-américain ou au Mexique lorsqu’ils traversent le Pacifique pour rejoindre cette région », ajoute Marc Lanteigne. Le fait de disposer ainsi d’un port contrôlé par Pékin dans l’arrière cour des États-Unis peut s’avérer essentiel pour le commerce chinois, si, par exemple, la flotte n’’est plus la bienvenue au nord du Rio Grande en cas de hausse des tensions sino-américaines.

« Au moins aussi important que l’Afrique » pour Pékin

L’inauguration par Xi Jinping permet aussi de prouver aux pays de la région « la capacité et la volonté chinoise à investir dans des projets d’infrastructure d’envergure en Amérique Latine », affirme Ana Soliz de Stange. Un message essentiel à faire passer vu l’importance prise par cette partie du monde pour Pékin.

Les échanges commerciaux entre la Chine et les pays de la région ont été multipliés par 35 depuis 2000 pour avoisiner les 500 milliards de dollars en 2022, d’après les données de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes de l’ONU. « On parle souvent des intérêts chinois en Afrique, mais l’Amérique Latine est devenue au moins aussi importante », estime Wolfgang Muno.

Xi Jinping n’a pas manqué de multiplier les déplacement en terre latine promise. Le président chinois s’est rendu 11 fois dans un pays de la région, soit « davantage que ses homologues américains Barack Obama, Donald Trump, et Joe Biden réunis », soulignent Alvaro Mendez et Gaspard Estrada, deux experts de cette région dans une note d’analyse rédigée pour Sciences Po Paris en 2023.

Plus qu’un réservoir à ressources

Historiquement, les Chinois s’intéressaient surtout aux ressources naturelles, que ce soit le pétrole vénézuélien, les produits agricoles comme le soja brésilien et argentin ou bien encore les mines de cuivre au Pérou. Au fil des ans, les besoins ont évolué. Le « triangle d’or » du lithium – Argentine, Chili et Bolivie – attire dorénavant tout particulièrement l’attention chinoise. Ce minerai est devenu central pour l’industrie des batteries pour voitures électriques. « La Chine est le premier exportateur de lithium raffiné, et pour maintenir cette place, le pays doit garantir son approvisionnement en matière première, ce qui passe par l’Amérique Latine », explique Günther Maihold, spécialiste de l’Amérique latine à l’université libre de Berlin.

Mais « réduire toute cette région à un réservoir à ressources pour la Chine a toujours été une erreur d’analyse », assure Ana Soliz de Stange. Certains accords bilatéraux signés au fil des ans prévoient « notamment une collaboration stratégique au sein des institutions internationales [comme l’ONU, NDLR] ou encore des clauses pour des partenariats technologiques », précise cette experte.

Commercialement, c’est aussi un débouché pour les produits chinois. « C’est surtout important en ce moment où il est beaucoup question d’excès de production chinoise et des besoins de trouver des nouveaux marchés pour ces produits [par rapport aux besoins du marché national, NDLR] », souligne Rhys Jenkins.

À cet égard, le port de Chancay peut jouer un rôle majeur : en réduisant le temps de transport, il permet aussi d’abaisser les coûts et, ainsi, de vendre moins cher tout ce qui est « made in China ».

La face obscure de l’intérêt chinois

Ce mégaprojet illustre aussi la face obscure de l’intérêt chinois pour cette région. « Toutes les maisons qui jouxtent le chantier sont fissurées », s’est plaint à France 24 une résidente sur place. Le chantier a aussi chamboulé l’industrie de la pêche qui fait vivre une partie importante de la population de Chancay.

Plus globalement, au niveau du sous-continent, « il y a eu plusieurs scandales liés à des investissements chinois comme le barrage en Équateur », note Marc Lanteigne. Le gigantesque barrage hydroélectrique de Coca Codo Sinclair construit par la Chine et inauguré en 2016 était censé permettre de générer de l’électricité bon marché à tout le pays… Au final, il n’a jamais fonctionné correctement, et seule la Chine en est ressortie gagnante grâce au pétrole bon marché que l’Équateur a dû lui vendre pour rembourser les dettes contractées.

Preuve du mouvais souvenir que le passage chinois peut laisser, « les populations de pays qui ont reçu de l’aide chinoise ont généralement une moins bonne opinions de la Chine », ont constaté les auteurs d’un rapport sur le rôle de la Chine en Amérique Latine publiée par l’université de Birmingham en 2023. Au Chili, par exemple, une partie de la population s’inquiète de la trop grande dépendance à la Chine : en effet, 38 % de toutes les exportations chiliennes vont en Chine.

Mais est-ce que c’est suffisant pour se détourner de la Chine ? Pour se tourner vers quel autre puissance ? « Les États-Unis continuent à avoir très mauvaise presse dans bon nombre de pays », note Wolfgang Muno. Même des pays comme la Colombie, qui reste politiquement proche des États-Unis, ne dit pas non aux investissements chinois. C’est en partie dû au fait « que durant la premier mandat de Donald Trump [2016-2020], l’Amérique Latine était totalement absente de l’agenda présidentiel, laissant Pékin gagner en influence”, affirme Marc Lanteigne.

Cela pourrait changer avec le retour de Donald Trump. « Surtout si c’est bien Marco Rubio qui devient secrétaire d’État. C’est un spécialiste de la région », note Wolfgang Muno. C’est pourquoi, estime Günther Maihold, la Chine va « probablement jouer profil bas en Amérique Latine ces prochains temps ». Histoire de continuer à soigner ses intérêts sans pour autant pousser le futur président Donald Trump à abandonner son isolationnisme et se mettre en tête de contrer la Chine sur le sous-continent latino-américain.

SOURCE FRANCE24

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