Communication ratée sur le retour de Paul Biya
Paul Biya est finalement rentré hier [21.1024] au Cameroun. Cela faisait 49 jours que les Camerounais étaient sans nouvelle de leur président de presque 92 ans. Ce qui a alimenté toutes sortes de rumeurs sur son état de santé. Finalement, le chef de l’Etat est donc revenu de Suisse, hier. Mais la communication officielle autour de ce retour au pays laisse de nouveau les Camerounais dubitatifs.
Une vidéo musicale bizarrement coupée
La présidence a diffusé une vidéo pour illustrer l’arrivée de Paul Biya et son épouse à l’aéroport de Nsimalen, à Yaoundé.
Cette vidéo est montée sur un tapis de musique classique et commence par une image montrant le secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, qui attend devant le terminal présidentiel, salue des officiers de l’armée de l’air et de la garde présidentielle.
Ensuite, on voit des personnes descendre d’un avion, parmi lesquelles des gens qui pourraient être des touristes, avec des enfants, des bagages et même un chien et le fils du couple présidentiel, Franck Biya, sur le tarmac.
Un nouveau plan montre ensuite Chantal et Paul Biya à leur descente d’un élévateur – qui a probablement servi au président à descendre de l’avion présidentiel, mais l’appareil n’est plus visible et ces images ont été tournées plus loin, hors du premier enclos de l’espace présidentiel de l’aéroport.
Des absences remarquées
Le président semble alors s’entretenir avec Ferdinand Ngoh Ngoh pendant plus d’une minute avant de monter dans la voiture qui doit le conduire à la présidence.
Mais de nombreux Camerounais ont remarqué qu’aucun des plus hauts dignitaires du Cameroun, dans l’ordre protocolaire, n’était présent pour accueillir le chef de l’Etat : ni le président du Sénat (numéro deux après le président), ni celui de l’Assemblée nationale, ni le Premier ministre, ni le président du Conseil économique et social.
Trois d’entre eux sont âgés : Marcel Niat Njifenji (Sénat) a 90 ans, Cavayé Yeguié Djibri (Assemblée nationale) en a 84 et Luc Ayang (Conseil économique et social) a 77 ans.
Quoi qu’il en soit, Ces absences sont remarquables lors de ce qui était présenté comme un événement de taille par la télévision nationale, un retour très médiatisé et destiné à mettre fin aux rumeurs des semaines précédentes sur la santé du président.
La photo de trop
Autre élément troublant : une photo émise par un communicant du parti présidentiel et envoyée aux journalistes une vingtaine de minutes après l’heure d’atterrissage de l’avion à Yaoundé. Elle montre le président Biya salué par le Premier ministre Dion Ngute, avec la Première dame en arrière-plan. En légende : « Bon retour à la maison, Excellence ! ».
Le problème, c’est que la tenue vestimentaire de Chantal Biya ne correspond pas à celle qu’elle arbore sur la vidéo diffusée sur la chaîne présidentielle. Et que le Premier ministre n’était pas à l’aéroport.
Réaction de Sosthene Médard Lipot, expert en Sciences de la communication et co-fondateur du parti d’opposition MRC, au micro de la DW : « Sur les réseaux sociaux, on ne sait pas exactement qui a eu l’intention et la mission et à quelles fins de diffuser cette photo. Toujours est-il que cette photo était légendée de façon à ce qu’on ait l’impression qu’il s’agissait d’une photo du jour réel et à l’instant T. Il faut prendre ses distances par rapport à tout cela. »
Certains politologues avancent l’hypothèse d’une tentative, de la part des soutiens du Premier ministre, de montrer qu’il serait toujours en « odeur de sainteté » alors qu’il se murmure que Joseph Dion Ngute pourrait être sur le départ, à la suite de scandales de détournements de fonds publics qui pourraient amener un remaniement.
Le « fantôme »
Enfin, la vidéo officielle ne permet pas d’entendre les propos échangés par le président et Ferdinand Ngoh Ngoh. Elle ne montre pas non plus d’image du président véritablement en mouvement : on ne voit pas sa descente d’avion, ni comment il monte dans sa voiture, ni comment il en redescend une fois arrivé au palais présidentiel.
Dans le commentaire en anglais de la télévision nationale, le présentateur salue l’arrivée du président en ces termes : « Ce n’est pas un fantôme, c’est un être humain ! ». En référence à des propos de Paul Biya, à sa descente d’avion en 2004.
Alors que des rumeurs circulaient déjà sur son éventuel décès, il avait déclaré goguenard aux journalistes : « Vous croyez aux fantômes ? A ceux qui s’intéressent à mes funérailles, je leur donne rendez-vous dans vingt ans »… c’est-à-dire en 2024. Mais cette fois, le plus vieux président élu du monde ne s’est pas exprimé publiquement. Depuis des mois.
Auteur: Sandrine Blanchard