OPINION – Parti démocratique sénégalais (Pds) : Le chant du cygne ?
Le chant du cygne est une expression en usage en France depuis le milieu du XVIIIe siècle. Il désigne la plus belle et dernière chose réalisée par quelqu’un avant de mourir. Pour les férus de l’art, il s’agit de la dernière œuvre remarquable d’un poète ou d’un artiste.
Le Parti démocratique sénégalais (Pds) fondé par Me Abdoulaye Wade en 1974 qui, après 26 ans d’opposition farouche au régime plus que trentenaire du Parti socialiste, a réalisé la première alternance démocratique au Sénégal, n’est-il pas en train d’entonner son chant du cygne ? Cette métaphore choisie à dessein pose la véritable question sur l’avenir d’un parti qui a, son leader en tête, dirigé le pays pendant douze ans, de 2000 à 2012, et qui a merveilleusement passé le témoin à Macky Sall, son «disciple» alors nouvellement élu.
Douze ans plus tard, le parti navigue dans les eaux troubles de l’intrigue politicienne, pour survivre à son leader très âgé, en s’arc-boutant, vaille que vaille, à son fils Karim Wade en exil depuis 7 ans au Qatar.
Chemin faisant, il est vrai que le parti a perdu de sa superbe, en se séparant tour à tour de vieux et moins vieux compagnons du père/leader charismatique Abdoulaye Wade. Les raisons, quoi que variées selon les anciens «frères» (c’est comme ça qu’ils s’appelaient), tournent principalement autour de la question lancinante du «leadership fantôme imposé». En effet, le père a souhaité, avec sa conception patrimoniale de la chose politique, que son fils lui succède à la tête du Pds, en pesant de tout son poids et de son autorité. Il a été suivi en cela par un cercle de fidèles qui se sont vite démarqués, suite au raté de l’élection présidentielle de 2019, qui fit que Karim ne fut pas candidat en raison de ses déboires judiciaires qui le rendaient inéligible, et de son exil doré organisé par Macky Sall. Le Pds n’eut pas de candidat et refusa de soutenir un des siens, Me Madické Niang.
Beaucoup de cadres et responsables du Pds ont pendant cette période quitté le parti, les uns pour rejoindre leur ex-camarade libéral Macky Sall arrivé au pouvoir, d’autres ont pris leur destin en main en créant leur propre formation politique qui, toutefois, allait sans tarder rejoindre la mouvance présidentielle. L’un dans l’autre, ils sont tous dans la temporalité de leur projet de conserver le pouvoir pendant 50 ans.
Que s’est-il passé entretemps ?
Il s’est passé que la longue traversée du désert a fait que le parti s’est délesté de l’essentiel de sa matière grise. La liste est longue, même si on peut rétorquer que la saignée était beaucoup plus vive sous Wade et pourtant le Pds a tenu. Mais Wade n’a pas son égal dans son parti ! Le peu de cadres qui restaient sont en majorité des membres de la Génération du concret, une organisation parallèle qui, à l’époque, créée par Karim Wade, était destinée à faire une Opa sur le Pds, avec de nouvelles figures inconnues au bataillon des irréductibles du Pape du Sopi, Abdoulaye Wade. Ce dernier ne se privait pas d’ailleurs, comme dans une «entreprise», de nommer et de limoger qui il voulait, non sans provoquer de nouvelles frustrations qui ont fini de plomber le parti qui n’était plus aux affaires. La suite, on la connaît. En raison de mauvais choix stratégiques et de mauvaises options, le parti traversera difficilement les élections locales avec des résultats médiocres, et avec sa bannière Wallu, ne dut son salut aux Législatives que par la magie de l’inter-coalition qu’il a mise en place avec la Coalition Yewwi askan wi.
Erreur de stratégie, ou volonté d’émancipation, une fois au Parlement avec un groupe parlementaire, en main, le Pds s’éloigne de ses alliés d’hier pour faire cavalier seul. Pis, il pactise avec la Coalition Benno bokk yaakaar pour faire face à ces mêmes alliés sans états d’âme.
A les entendre, les responsables actuels semblent vivre sur les «trentaines glorieuses» du Pds de Wade, croyant certainement être suffisamment régénérés pour imposer un candidat en 2024. L’existence supposée du protocole de Rebeuss, à l’origine de l’exil de Karim Wade à Doha, voire du protocole de Conakry «parrainé» par Alpha Condé, ne suffit pas pour expliquer cette volte-face. L’élimination de Karim Wde par le Conseil constitutionnel à la suite d’un recours intenté par le candidat Thierno Alassane Sall, concernant sa double nationalité avérée, a étalé au grand jour un amateurisme qui jure d’avec l’expérience supposée d’un parti qu’on nous brandit fièrement, et qui risque de le précipiter dans la catégorie des «partis historiques» comme le Pai, juste parce qu’il y a un bilan du Président Wade. Le Pds a perdu son aura à cause d’un manque de lisibilité criard de ses orientations stratégiques. Il faudra bien qu’un jour il s’explique, d’une part, sur son alliance ex-nihilo avec Benno bokk yaakaar, mais aussi sur son alliance opportuniste avec les recalés du parrainage, au point de porter un projet de loi pour proroger le mandat du Président Macky Sall, rejeté par le Conseil constitutionnel, et d’autre part, sur la substance du recours en annulation du décret de convocation du corps électoral, qui avait in fine le même objet, et que la Cour suprême a bien entendu déclaré irrecevable, le vendredi 15 mars 2024. Ces péripéties ont finalement perdu ce parti qui, aujourd’hui s’arc-boute à un Karim Wade comme seule et unique alternative à son père, abandonné par ses cadres et suspecté par les coalitions en compétition d’avoir voulu d’abord saper l’élection du 24 mars, ensuite plomber la candidature du Pds aux Législatives de novembre prochain, par son alliance avec l’Apr et Macky Sall, leurs ennemis irréductibles d’hier. Le Pds navigue aujourd’hui comme un bateau ivre et aura du mal à se positionner avec intelligence à court terme, traversé qu’il est par de nouvelles fractures béantes. L’après-élections législatives sera lourd de danger. En cas de défaite de sa coalition Takku Wallu Senegaal qu’il forme avec l’Apr en perte de vitesse, sa survie au Parlement ne sera qu’une question de «meilleurs délais» pour parler comme l’autre. La nature du scrutin, qui comprend à la fois une dose de proportionnelle et de majoritaire à un tour, crée un énorme risque de dispersion qui pourrait sonner le glas d’une longue aventure portée en triomphe à l’époque par des figures de proue, comme Abdoulaye Faye, Boubacar Sall, Coumba Ndiaye Kane, Joseph Ndong, Doudou Wade, Woré Sarr, Coumba Ba, Ousmane Ngom, Awa Diop, Pape Samba Mboup, Jean-Paul Dias eh oui !, et j’en oublie !
Mamadou NDAO
Juriste consultant, expert en Communication (C4D)
Diplômé des Universités de Paris 1 Panthéon Sorbonne et Montpellier1
Liberté 6 Dakar