Kamala Harris, officiellement investie par la Convention démocrate « YES, SHE CAN ! »
Déroutante tout de même la vie que de voir ainsi l’histoire s’emballer, basculer et changer de trajectoire, avec une dose d’imprévu et de soudaineté dont elle a le secret. Après le désistement de Joe Biden négocié avec tact et fermeté par les ténors du parti démocrate américain, voilà désormais la vice-présidente Kamala Harris officiellement investie, jeudi dernier, candidate à l’élection présidentielle du 5 novembre 2024. Face à elle l’ex-président Donald Trump, orphelin de son adversaire préféré Joe Biden, qu’il raillait à tout bout champ pour son âge avancé, sa mémoire défaillante et dont le désistement, par un juste retour des choses, met à nu le vieil homme (78 ans) qu’il s’évertuait à masquer sous ses airs de bretteur. C’est désormais d’autant plus criant qu’en face de lui se dresse droitement une femme de 59 ans portée par l’ambition subversive de changer la vie et d’aller à l’assaut de toutes les formes de conservatisme avec un rire conquérant, ravageur, franc et massif. Avec Trump qui ne « savait pas que Kamala était noire », il faudra toutefois s’attendre à tous les coups fourrés. Sauf que l’ancienne procureure générale de Californie est bien parée pour riposter avec la maîtrise et le sang-froid qui siéent à une femme qui s’est construite à la sueur de son front. Sous des tonnerres d’applaudissement Michelle Obama avait d’ailleurs posé avec humour la question de savoir « qui va lui dire (à Trump) que l’emploi qu’il recherche actuellement pourrait bien être l’un des emplois réservés aux Noirs ? », laissant entendre qu’il l’apprendra certainement à ses dépens. En attendant, il apparaît complètement désarçonné par la tournure des évènements avec le désistement d’un Joe Biden fragilisé qui a pu accuser le coup et faire montre d’un sens élevé du devoir en s’adressant à ses concitoyens en des termes empreints de simplicité et de sincérité. « J’aime le job ( de président), mais j’aime davantage mon pays », leur a-t-il confié. Une manière de signifier que ceci l’oblige, contrairement à un Donald Trump enfermé dans un narcissisme mortifère, incapable de reconnaître une victoire autre que la sienne. Aussi, ne sachant plus sur quel pied danser, Kamala Harris, lui ayant volé la vedette au niveau des médias, ce qui l’insupporte au plus haut point, ayant perdu la boussole, l’injure à la bouche, il verse dans une misogynie abjecte avec une violence qui en dit long sur son désarroi, son absence de tenue et de retenue. Après s’être moqué de « Kamala la rigolarde « laffin’Kamala »), il la dépeint comme une dangereuse communiste en l’affublant du sobriquet de « Camarade Kamala » quand il ne la traite pas en privé de garce (« bitch »). A son grand désespoir, rien de ses outrances n’accroche, glissant sur sa rivale comme la pluie sur des ailes de canard.
« La moitié du ciel »
Qu’on le veuille ou non ce qu’il se passe en ce moment en Amérique est absolument inspirant. Une femme est possiblement en passe de devenir la première femme à présider la première puissance du monde. Après Barack Obama, natif d’Hawaï, d’une mère blanche du Kansas et d’un père Kenyan qui avait émigré pour ses études, voilà qu’avec Kamala Harris dont les parents ont été deux étudiants étrangers qui se sont rencontrés à l’université de Berkeley en provenance d’Inde et de Jamaïque, ils rendent compte de la complexité du monde et de leurs parcours respectifs qui font d’eux l’incarnation du rêve américain. Qu’elle devienne la prochaine présidente serait un puissant message adressé aux hommes et aux femmes, à savoir une fois pour toute que, hormis leurs différences biologiques, ils sont des êtres humains qui se valent, ayant les mêmes droits et devoirs. Doug Emhoff, le mari de Kamala Harris, l’a d’ailleurs bien compris en l’accompagnant avec ferveur dans son ambition politique. Ainsi n’a-t-il pas hésité après 30 ans de carrière, à démissionner de son cabinet d’avocats pour éviter d’éventuels conflits d’intérêts. Fier de soutenir la carrière de son épouse (qu’importe laquelle du reste), il l’a suivie à Washington.
Aussi, ce qu’il est en train de se jouer devrait-il nous interpeller au Sénégal où souffle avec une tranquillité désarçonnante un vent de régression, relativement à la place des femmes dans les sphères de décision politique. Alors qu’elles brillent à l’école et partout ailleurs dans les sciences et techniques, le management, la gouvernance, le Sénégal opère étrangement une rupture régressive, à rebours de ce mouvement d’émancipation, avec notamment la nomination d’un gouvernement composé de 21 hommes et 4 femmes seulement. Oubliant que rien de grand et de pérenne ne saurait se construire sans la participation massive de cette « moitié du ciel » qui vote depuis 1945*, il persiste dans sa voie et continue de reléguer les femmes en arrière-plan dans les nominations en cours. Au même moment au Rwanda le nouveau gouvernement du Président Paul Kagame compte onze ministres femmes sur vingt. Et à Madagascar 12 femmes font partie du nouveau gouvernement, soit près de la moitié de la nouvelle équipe gouvernementale du Président Andry Rajoelina.
Prochaine étape
Il va donc falloir, comme l’a rappelé Hillary Clinton à propos de l’histoire des femmes dans la politique américaine, continuer de se battre pour approfondir le chemin emprunté avec le droit de vote acquis en 1920, lequel s’est poursuivi par la candidature de Géraldine Ferraro, première femme candidate à la vice-présidence des Etats-Unis en 1984 sur le ticket du démocrate Walter Mondale opposé à Ronald Reagan, celle de Mme Clinton contre Trump et celle de Kamala aujourd’hui, pour emporter la victoire et parachever ce combat pour la gent féminine.
Conscient qu’il s’ouvre une véritable fenêtre d’opportunité, Barack Obama a transformé pour l’occasion « YES, WE CAN ! », son slogan qui avait fait florès, en « YES, SHE CAN ! ». Aujourd’hui en effet tout le parti démocrate est derrière elle jusqu’à quelques dissidents républicains qui, au regard des enjeux, lancent un appel en direction de leur camp. A l’instar de Geoff Ducan, ancien lieutenant-gouverneur de Géorgie, Etat-pivot dans lequel Donald Trump avait tenté d’inverser les résultats de la présidentielle de 2020, qui leur fait savoir qu’à ses yeux, « voter pour Kamala Harris en 2024 ne fait pas de vous un démocrate mais un patriote ». Il s’y ajoute le choix bien inspiré de Tim Walz comme colistier. Issu de milieu populaire et modeste, ancien enseignant, ancien coach de football américain, le gouverneur de Minnesota apporte une nouvelle corde à son arc.
Même si rien n’est gagné, tout étant possible, les crocs en jambes, la survenue d’évènements qui viennent perturber le cours des choses, il se dessine que l’enthousiasme a changé de camp, porté par l’énergie qui enfante l’espoir et ouvre les possibles. Et voilà que Kamala Harris a su saisir son moment, se révélant telle qu’en elle-même : brillante, flamboyante, pugnace. Aussi a-t-elle bouleversé la tonalité de la campagne démocrate qui donnait l’impression d’être partie pour s’embourber durablement sur le terrain glissant des errements de la vieillesse en y injectant de la fraîcheur, de l’enthousiasme, de l’intelligence et de la joie. Ne s’interdisant rien, son ambition en bandoulière, brisant un à un an les plafonds de verre, suivant en cela les conseils de sa mère qui lui disait : « Ne te plains pas d’une injustice, mais fais quelque chose pour y remédier ». Femme elle est. Femme noire. Femme indienne. Femme américaine tout simplement. Première femme Procureure générale de Californie. Première femme vice-présidente. Première femme présidente des Etats-Unis ?
Avec Kamala Harris, il se passe décidément quelque chose qui donne le sentiment de « voir une nation prête à franchir la prochaine étape de l’incroyable aventure qu’est l’Amérique ». Même si la campagne électorale sera brève, livrant son verdict dans moins de 3 mois, elle emporte avec elle un sentiment puissant, comme un slogan qui se décline en énergie triomphante. « YES, SHE CAN ! » car comme souligné par Hillary Clinton, il est certainement venu « le temps de parachever le combat de plusieurs générations. » Et « l’avenir », prévient Kamala Harris, « vaut toujours qu’on se batte ».
*Alors que le droit de vote a été accordé en 1944 aux seules Françaises de souche, les colons prétextant de leur illettrisme pour écarter les femmes sénégalaises, notamment celles issues des Quatre communes. Ces dernières qui étaient citoyennes françaises ont organisé sous la houlette de Ndèye Yalla Fall, Soukeyna Konaré et autres Anta Gaye, Magatte Camara, Touty Samb, des manifestations à Dakar et Saint-Louis pour l’extension du droit de vote aux femmes. Des hommes politiques comme Lamine Guèye vont mettre la pression sur le ministre français des Colonies, lequel craignant une tournure violente des manifestations, accepte d’étendre le droit de vote aux femmes sénégalaises. Le 6 juin 1945 un nouveau décret octroyant le droit de vote aux femmes des Quatre Communes est promulgué.
Mme Fatou Sarr Sow note par ailleurs qu’après s’être mobilisées en 1945 pour arracher le droit de vote, les femmes sénégalaises « se sont impliquées dans la lutte pour les indépendances. Certaines femmes membres du premier Parti communiste, le Parti africain pour l’indépendance (PAI), se sont particulièrement illustrées. Leur rôle dans la grève des cheminots de 1947 a été magnifié par l’écrivain et cinéaste Sembène dans un roman intitulé Les Bouts de bois de Dieu, paru en 1960 » (in Loi sur la parité au Sénégal : une expérience « réussie » de luttes féminines.)
Par Vieux SAVANE