Pourquoi le clostébol est une spécialité italienne: “Incompréhensible qu’un membre du staff médical utilise un produit dopant”

Affaire Sinner – L’affaire de dopage qui éclabousse Jannik Sinner – blanchi après avoir été contrôlé positif au clostébol – fait couler beaucoup d’encre. Plusieurs collègues joueurs l’attaquent publiquement. Sa défense est-elle crédible? Et que peut-on déduire de la quantité infinitésimale de 0,00000001 gramme de clostébol par millilitre d’urine retrouvée dans son corps ? Peter Van Eenoo, expert en dopage, répond à quelques-unes des questions clés qui entourent l’affaire Sinner.

Qu’est-ce que le clostébol?

En tant que composant de la pommade Trofodermin (voir photo), le clostébol aide à guérir les écorchures. Le clostébol appartient au groupe des “stéroïdes anabolisants androgènes” susceptibles d’améliorer les performances et figure donc sur la liste des substances interdites de l’Agence mondiale antidopage (AMA). “Il s’agit d’un dérivé synthétique de la testostérone dont les effets sont assez similaires”, explique l’expert. “Chez les athlètes, il permet de développer la masse musculaire et favorise la récupération. Contrairement à la testostérone, le clostébol n’est pas naturellement produit par l’organisme. La distinction avec la variante synthétique doit être démontrée par les experts anti-dopage. Le clostébol est entièrement synthétique. Une fois trouvé dans l’urine, c’est bingo”.

Quantité infinitésimale

Dans sa déclaration, Sinner parle de “moins d’un milliardième de gramme (par ml, ndlr)” de clostébol dans son urine. Soit 0,000000001 gramme par ml. Cela rappelle le cycliste Alberto Contador qui a été contrôlé positif au clenbutérol lors du Tour 2010 et qui a souligné la petite quantité de 50 picogrammes lors d’une conférence de presse: “Cero, cero, cero, cero, cero, cero, cero… cinco”. Contador a attribué son contrôle positif à l’ingestion de viande contaminée, mais n’a pas échappé à une suspension de deux ans.

Selon l’expert belge, les contrôleurs anti-dopage ne tiennent pas compte de la quantité ni du fait qu’une si petite dose améliore ou non les performances. “Cela ne dit rien sur les raisons pour lesquelles le produit a été consommé et sur la possibilité qu’il s’agisse d’un résidu d’un régime anabolisant antérieur. L’utilisation unique d’une telle pommade avec du clostébol n’améliore pas les performances. L’utilisation du clostébol sur une période plus longue et à des doses plus importantes l’est. Plus vous l’utilisez, plus longtemps il est détectable. En tout cas, même un usage unique tombe sous le coup des règles anti-dopage. La question de savoir s’il y a eu un effet n’a pas vraiment d’importance”.

La défense de Sinner tient-elle la route?

Selon la version du joueur italien, le clostébol s’est retrouvé involontairement dans son corps suite à un massage. Son kinésithérapeute aurait utilisé un spray pour soigner une blessure au doigt et n’avait pas connaissance de la substance dopante. “L’Agence internationale de l’intégrité du tennis (ITIA) estime que cette explication est plausible”, a déclaré M. Van Eenoo. “Je ne peux pas l’affirmer car je ne connais pas tout le dossier. La possibilité de transmission par la peau existe bel et bien. Cela a été scientifiquement prouvé. Tout comme il existe un risque que le clenbutérol pénètre dans l’organisme par le biais de viandes contaminées dans des pays comme la Chine ou le Mexique”.

Toutefois, pour l’expert belge, cet épisode témoigne d’un manque de professionnalisme de l’entourage du joueur italien. Le clostébol peut se trouver dans des produits sous forme de sprays ou de crème. La crème Trofodermin en contient et peut être acheté en vente libre en pharmacie en Italie, sans aucune prescription. En Belgique, ce n’est pas le cas. “Personnellement, je trouve incompréhensible qu’une membre du staff médical d’un sportif professionnel utilise des produits interdits, ce qui implique un risque énorme. Il est évident qu’il s’agit d’un produit dopant puisque c’est même inscrit sur la boîte”.

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Sur l'emballage, il est clairement indiqué qu'il s'agit d'un produit dopant.
Sur l’emballage, il est clairement indiqué qu’il s’agit d’un produit dopant. © RV

L’AMA en appel?

Selon Peter Van Eenoo, une autorité de contrôle ne prend pas de décision à la légère. « Un athlète peut dire ce qu’il veut. Ce n’est pas toujours la vérité. L’autorité de contrôle dispose de toutes les données et décide en son âme et conscience. Et si l’AMA ne fait pas appel, c’est qu’elle estime la décision correcte. Est-ce alors la vérité absolue? On ne sait jamais”.

L’Agence mondiale antidopage (AMA) a indiqué mercredi à l’AFP “se réserver le droit de faire appel auprès du Tribunal arbitral du sport (TAS)”. L’agence antidopage italienne (Nado) peut aussi interjeter appel pour tenter d’obtenir une suspension du joueur de 23 ans.

Le clostébol, une spécialité italienne

Sinner n’est pas le premier sportif italien à avoir été testé positif au clostébol. Une enquête menée par “Honest Sport” a révélé que pas moins de 38 athlètes italiens ont été contrôlés positifs à cette substance entre 2019 et 2023. Parmi eux, la jeune joueuse de tennis Matilde Paoletti. Son explication? Elle aurait caressé son chihuahua qui avait été traité avec une pommade au clostebol. Les autorités l’ont acquittée après des preuves scientifiques et une analyse capillaire négative. “Comme c’est en vente libre en Italie, on utilise cette pommade plus rapidement contre toutes sortes de blessures cutanées. Le risque de se faire pincer est plus élevé, car nous le détectons facilement en très petites quantités”.

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