Chine: après la révolte ouvrière, nouvel exode chez le sous-traitant d’Apple
Au lendemain des manifestions de colère dans les usines de l’iPhone en Chine, Foxconn a présenté ses excuses aux employés. « Une erreur technique » se serait produite lors du recrutement, selon la direction du groupe taïwanais.
De notre correspondant à Pékin, et de Louise May RFI
Cela n’a rien à voir avec les grands départs en vacances, mais il y a la même envie de mettre les voiles chez ces dizaines de milliers d’employés démissionnaires.
Sacs en plastique pleins à craquer des affaires rassemblées en quatrième vitesse, valises portées sur l’épaule, ces jeunes gens sont arrivés pour la plupart il y a moins de dix jours chez Foxconn.
Et ce jeudi, ils ne se sont pas fait prier pour monter dans les trains au départ de Zhengzhou, la capitale de la province du Henan, au centre de la Chine, où se trouvent les plus grandes usines du sous-traitant d’Apple.
Primes reportées
Plusieurs TGV spéciaux ont été affrétés pour que ces ex-employés du géant de l’électronique puissent rentrer chez eux. Ces ouvriers extérieurs à la province du Henan étaient très présents dans les manifestations de ces derniers jours, disent les témoins.
Forcément, quand on vient de loin, la déception est encore plus forte. Attirés par les primes et un salaire horaire de trente yuans (quatre euros) que leur ont fait miroiter les agences d’intérim, les quasiment 100 000 recrues de ces dernières semaines sont tombées de leur tabouret lorsque qu’elles ont appris que l’accord de départ ne tenait plus.
Il y a trois types de contrats chez Foxconn : les travailleurs en CDI, les saisonniers et les contrats en sous-traitance. Ces derniers ont été appelés en renfort suite à l’exode massif du mois dernier. Des dizaines de milliers de travailleurs, fatigués des conditions de vie dégradées, et effrayés par la flambée épidémique à l’intérieur du campus industriel, ont forcé les barrières du plus grand site de production d’iPhone dans le monde, qui comme la plupart des grandes entreprises dans la Chine du « zéro-Covid », travaillent en « circuit fermé ».
Embauchées lors d’une campagne de recrutement flash dans les villages environnants et jusqu’à l’extérieur de la province, les nouvelles recrues pensaient pouvoir être payées à l’heure après le septième jour travaillé. Sauf qu’après la formation en ligne mardi, un autre contrat est apparu, laissant entendre que les salaires seraient versés le 25 du mois et surtout, que les primes ne pourraient pas être perçues avant mars de l’année prochaine. Cris et hurlements dans les dortoirs.
Mars, c’est après les vacances du Nouvel An lunaire qui tombe cette année à la fin du mois de janvier. Or les vacances de « Chunjie », c’est sacré ! C’est l’occasion pour les travailleurs migrants de rentrer dans leur famille et de ramener des cadeaux avec l’argent durement gagné.
« Ils ont changé les contrats sans leur consentement, explique un saisonnier. On leur a dit de venir ici pour gagner de l’argent pendant un ou deux mois et qu’ils seraient de retour chez eux pour la Fête du Printemps. Et finalement, on les informe qu’il faudra revenir pendant les congés sous peine de perdre leur bonus. Certains étaient tellement énervés qu’ils sont allés dans les bureaux des chefs pour casser les ordinateurs. »
Indemnités de départ
Mais il n’y a pas que les ordinateurs qui ont senti passer la fureur de jeunes gens en colère. Le week-end dernier, les palissades du complexe sont à nouveau tombées sous les coups des révoltés. Et ce mercredi, les manifestants ont attrapé tout ce qu’ils avaient sous la main pour se défendre de la police armée du peuple. Des heurts violents qui ont fait des blessés.
« Certains ont ramassé des barres en acier pour repousser les policiers et les agents de sécurité, rapporte encore le saisonnier que nous avons contacté. J’ai entendu dire qu’il y avait du sang partout. La police a été encerclée, certains filmaient la bataille en direct via leur téléphone. »
Les nouvelles recrues ont également critiqué la gestion de l’épidémie à l’intérieur du campus. Certains auraient été surpris de découvrir que des futurs collègues sur les chaînes de montages avaient attrapé le virus sur leur lieu de travail : « on leur a dit que la situation était sous contrôle et qu’ils allaient se retrouver dans les mêmes dortoirs que des gens comme nous, anciens positifs Covid devenus négatifs. Mais quand vous demandez à des personnes qui n’ont jamais été infectées d’être avec de gens comme nous, ils ne se sentent pas bien dans leur cœur. »
Devant l’ampleur du mécontentement, la direction de l’usine a finalement dû se résoudre à négocier jeudi : « Ils ont promis de donner 10 000 yuans [1 343 euros, NDLR] aux partants en guise de compensation, 15 000 yuans pour les blessés. » Ce nouvel exode en l’espace de moins d’un mois traduit non seulement l’échec de la campagne de recrutement, mais aussi la grande difficulté à embaucher pour Foxconn et les entreprises contraintes de maintenir leur production tout en étant confinées. En mai dernier déjà, Quanta, un fournisseur d’Apple à Shanghai avait dû faire face à la révolte de ses travailleurs sur l’un de ses sites de production, verrouillé par décret des autorités. Pour se dédouaner, la direction du groupe a avancé la thèse de la « panne technique » qui aurait entraîné cette modification des contrats, tout en s’excusant auprès des employés.
Mais le mal est fait. Parmi les nouvelles recrues, plus de 20 000 sont reparties aussi vite qu’elles étaient arrivées selon une source au sein de l’entreprise citée par le bureau de l’agence Reuters à Taipei. Cela a encore renforcé la frustration et le sentiment d’injustice chez ceux qui ont été envoyés en quarantaine. Ils n’ont pas encore récupéré leur carte de travail, mais eux aussi sont sortis manifester jeudi soir, en réclamant la même indemnité que leurs camarades démissionnaires. Opposition de la direction et nouveaux heurts.
Des violences qui entraînent un risque réputationnel pour la marque à la pomme. Vivement critiqué par les ONG de défense des droits du travail, Apple a dû réagir, indiquant que des dédommagements allant jusqu’à 1 400 dollars avaient été proposés en réponse aux plaintes des travailleurs. Ce « mouvement social Foxconn 2.0 » comme l’ont appelé les réseaux sociaux, pourrait donner des idées à d’autres et notamment aux employés de grands groupes astreints à travailler dans des usines confinées.