De la nécessité d’un développement «guidé» pour le Sénégal sous Diomaye Faye

Cela fait près de cent jours que le nouveau régime de la troisième alternance sénégalaise est en place, sous un climat clément et avec des attentes considérables de la part de la population sénégalaise. Et aussi, avec une polémique incongrue sur la déclaration de politique générale du gouvernement. Chercheur en politiques de développement au laboratoire Lares (Laboratoire de recherche en économie de l’Ugb de St Louis), P B Moussa Kanté apporte son modeste regard prospectif et simplificateur sur l’état de l’Etat du Sénégal post-Macky et sur les dossiers pressants qui attendent le nouveau régime. Cet écrit est aussi une revue rapide de quelques théories sur le développement et une invite à un arbitrage prioritaire méticuleux. Le développement multi qualifié, de nos jours, gagnerait donc à être «bien guidé». Cela en bien discernant les priorités de ce Sénégal à la croisée des chemins où un bon départ n’a jamais été aussi à portée, notamment avec une jeunesse décomplexée aux manettes.

A son départ, moment propice de tirer un bilan pour nous autres prudents, Macky (2012-2024) a laissé un pays dans une posture d’inachevé selon les attentes. Le leader du chemin du progrès, de l’émergence (yonou yokouté) a déçu dans bons nombre de secteurs. D’abord, le secteur primaire, notamment l’agriculture où avec Prodac, Anida, Pracas…des milliards dépensés ne sont pas arrivés à garnir les paniers des ménagères, ni à offrir des emplois ou rééquilibrer la balance commerciale.

Les politiques agricoles ont été durant tout le règne de Macky «le besoin politique» (Kanté, 2019) et l’agroéconomiste Hane parlait de tâtonnements dans les politiques agricoles. La pêche ne fut pas mieux lotie, le poisson, base du principal plat sénégalais, était introuvable d’où des importations à partir du Maroc, du Yabooy notamment. Les contrats de pêche dénoncés à l’unanimité comme l’un des plus grands carnages sous Macky (pendant la campagne et dans le livre de Yerim Seck) sont passés par là et ce fut une débandade dans les rangs des pêcheurs vers «l’eldorado» occidental. Le secteur industriel connut un recul avec la Sonacos qui n’a pas été relevée, mais enfoncée, quasi inactive comme ses nombreux travailleurs au chômage. Les agropoles annoncés restèrent lettre morte. Pour les services, de nombreux chantiers, notamment infrastructurels, furent lancés tant le défunt leader socialiste, Tanor (paix à son âme), déclara qu’eux autres, administrateurs civils, donc prudents, n’auraient pas eu cette fougue. Pour ma part, je fis un article réponse à l’ex-PM Boun Abdallah Dionne (paix à son âme) qui était dans son rôle et avait écrit : «Une somme d’optima ne fait pas un optimum…», par : «controverses au sommet sur les voies et urgences du développement ou de la nécessité d’une voie synthétique simultanée» (in lejecos, 2019). D’où une divergence de vues alors. En effet, à travers l’article : «controverses au sommet sur les voies et urgences du développement ou de la nécessité d’une voie synthétique simultanée» (in lejecos, 2019), j’affirmais : qu’un développement infrastructurel n’est pas mal venu. Mais aussi, y avait des besoins élémentaires à combler d’où avançons mais en n’oubliant pas de boucher les trous car certains manquements sont impardonnables en ce 21ème siècle. Raison pour laquelle j’avais prôné un développement synthétique, de tous les secteurs, mais simultané, en même temps, car tout est urgent. Et donc, un arbitrage prioritaire s’impose. De l’option du régime de Macky, il résultera un désenclavement (ponts, routes, raccordements) dont dans des zones de l’intérieur qui peinaient à en avoir comme Diourbel mais avec des retards de paiement des factures accumulées dans le secteur du Btp d’où une stagnation. Au plan politico-judiciaire, le Prince se révéla trop partisan avec des procès d’intention et opportunistes tant beaucoup se rangèrent du côté des non-alignés. Bref, le bilan de Macky n’est pas reluisant avec un secteur primaire où s’activent plus de 60°/° de la population à genoux, une industrialisation inexistante, une corruption à son paroxysme dans un monde en crise, le chômage fut vivace.

Ce «fact finding», constat de l’ère Macky est pour pouvoir mieux nous situer, nous propulser en relevant nos manquements et urgences. Aujourd’hui, il nous faudra faire avec une rigueur nécessaire, mais une probité productive partagée. Y compris par l’opposition qui, si républicaine, se doit de tenir une posture de lanternes à l’exemple du modèle suisse où les clivages sont tus pour une collaboration citoyenne en attendant les joutes électorales (il faut permettre de faire et contribuer à faire). Pour ce faire, notre destination, nos attentes majeures ou priorités partagées, doivent faire l’objet d’un consensus. Ne nous trompons pas de développement : l’accès à l’Eau, l’Alimentation, la Santé, l’Education (elle qui peut faire en sorte qu’on ne se tue pas, qu’on soit riche ou pauvre, vers un «Eldorado») et l’Emploi quand le taux de chômage, fort déplorable, est tangible. Mais, le développement ce sera aussi la Justice et l’équité quand on sait qu’on a fait avec le pire à plusieurs reprises avec de nombreux morts injustifiés, injustifiables. Ainsi, ce développement tant pisté, multi qualifié doit, aujourd’hui, être «bien guidé» pour nous éviter un autre revers, un compagnonnage aveugle. D’où qu’est-ce que le développement ? (Une question qui peut épuiser). Que voudrait dire le développement du Sénégal sous Diomaye ?

Selon votre serviteur, le développement est une quête qui n’épargne quasiment aucune partie de la planète, diversement défini et envisagé comme le sont ses moyens, ses metteurs en œuvre, ses visées, le développement est partout élaboré, couru voire perfectionné. Selon le micro-robert : Développement renvoie à «l’action de se développer, à la croissance. Il est un progrès en extension ou en qualité. Développer, c’est étendre ce qui était plié ; donner toute son étendue, déployer, faire croitre, donner de l’ampleur. Se développer, s’épanouir, prendre de l’expansion, de l’importance». Le développement signifie une amélioration globale des conditions de vie d’une population d’un pays. C’est un processus sur le long terme : «Il n’est pas synonyme de croissance économique car celle-ci peut avoir lieu sans que les richesses n’entraînent d’améliorations sociales (en n’étant pas partagées par exemple). C’est pour cela que le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) a mis en place l’Indice du Développement Humain (Idh).

Celui-ci se calcule avec le Pib/habitant, l’espérance de vie et le taux d’alphabétisation. Il donne un chiffre entre 0 et 1 et permet une classification des pays, les pays développés étant au-dessus de 0,90.» (Maxi cours). L’actuel Pm sénégalais, Sonko, déclarait être un fervent partisan de l’Idh (sorties récentes) et c’est de bonne guerre car l’homme doit être au centre. On perçoit par ces différentes approches qu’il n’existe pas de définition universelle communément admise au développement. Cet usage pluriel du développement a motivé l’ajout d’un qualificatif qui est une précision, une délimitation, une détermination au développement. Ainsi, on parle de développement économique, humain, communautaire…pour situer le développement. En effet, les qualificatifs au développement sont multiples, on parle de développement rural, territorial, local, endogène, inclusif, intégré, durable…le plus souvent pour relever un état favorable ou un mieux-être dans et par le domaine en question et cela selon des indicateurs.

Et pour ce qui est de ces développements qualifiés, d’abord le développement territorial : «Il vise à rendre les territoires attractifs et compétitifs.» (Baudelle, Guy,2011). Le développement local pour sa part, est apparu depuis les années 50 (John friedmann et Walter Stohr, développement endogène), tandis que d’autres le situent aux années 1960 (Wikipédia, l’encyclopédie libre) ,1970 ; et la dernière datation est des années 1980 (Savey), érigé en accompagnement de la décentralisation. Pour Savey «l’entrée en crise» avec les changements intervenus dans le mode de production réduisent les capacités de l’Etat et la possibilité d’investissement dans le local, d’où la nécessité d’initiatives à la base pour suppléer l’Etat. (Pecqueur, 2000) plus explicite, confirme cette logique secouriste et d’ajustement envers la mondialisation aussi. Le développement rural constitue une priorité sénégalaise car le rural y est largement majoritaire ainsi le développement rural entrainera quasiment un développement global ou intégral. Et le développement rural induit une délimitation, une localisation du développement qui est ainsi territorialisé. Par sa dimension rurale, le territoire est promu, mis en valeur par ses ressources internes mais de plus en plus externes du fait de la rurbanisation et des apports ou envois des émigrés de plus en plus nombreux (Boukhari (1997)). Ainsi et avant de nous lancer dans une course pour le développement, il faudrait d’abord nous accorder sur la trajectoire et la destination, nous entendre sur ce que renferme le concept de développement pour nous. D’ores et déjà, nous voyons que le développement dépasse «l’infrastructurel». Encore que le contexte africain ne puisse être appréhendé sans une prise en compte de la pauvreté car faisant avec des carences primaires : Selon l’ex-ministre S Mbaye Thiam, si le Sénégal a fait des progrès notables pour l’accès à l’eau avec des taux d’accès de près de 99% en zone urbaine et de 95% en milieu rural, du chemin reste à parcourir car (l’Ansd, 2022) révèle que (20, 8%) des ménages ruraux font avec des robinets publics. Pour l’alimentation, au Sénégal qui importe une grande partie de sa nourriture, l’insécurité alimentaire a évolué en dents de scie, passant de 19, 1% en 2019 à 23, 1% en 2020, avant de revenir à 17, 4 % en 2021. Et cela, avec des soudures voire famines signalées surtout dans le monde rural où la pauvreté est plus présente, plus pressante. Selon les prévisionnistes de la Sap 2035, la croissance démographique poursuit sa tendance haussière d’où les besoins de consommation alimentaire du Sénégal sont en constante évolution appelant à repenser l’agriculture. Pour la scolarisation, le taux brut d’admission (Tba) reste relativement faible dans les régions de Kaffrine (62,7%) et de Diourbel (62,5%) où il est en deçà de 80% en 2019. Alors qu’à l’échelle nationale, le taux brut de scolarisation est de 83, 80% à l’élémentaire en 2022. Le taux de pauvreté monétaire est estimé à 37, 8% en 2018/2019 (Ansd). La cherté des soins médicaux ne permettant pas son accessibilité est signalée par un taux de 9, 2% en milieu rural contre 4, 1% à Dakar (Ansd, 2013). Quand le chômage est un des principaux défis du nouveau régime : trois jeunes sénégalais sur 10 (29%) déclarent être sans emploi et à la recherche d’un travail (afro baromètre 2023).


Ce tableau pas du tout reluisant, il est vrai et qui n’est pas imputable au seul héritage de Macky ne devrait pas nous empêcher de pousser vers l’avant, la modernité, de rêver voire d’être compétitif (optimiser nos atouts et atours) face aux pays développés. D’où l’invite à une voie synthétique-simultanée. Cette dernière voie sera pour rattraper le retard accusé (intégrative, inclusive) en prenant en compte tous, de l’urbain au rural en passant par le péri urbain à travers toutes les contrées du pays. Donc, cette compensation, conciliation devra être alliée à un progressisme, un élan ambitieux sans limitation (synchronique, en même temps que nous tendons à résorber notre retard). La démarche aboutissant à un développement sénégalais conscient, conciliant, concret, concerté, confiant sera donc double ou ne sera pas. D’où nous postulons que le développement le plus idoine à l’Afrique, au Sénégal est le développement humain car plus intégratif et intégral, celui-ci dans notre optique est proche de la pensée de Sen (prix Nobel d’économie en 1999) et du Pape Paul VI mais se doit d’être actualisé et équitable. Et une option au développement quel qu’elle soit se vérifiera inévitablement à son impact territorial d’où ce n’est pas le territoire qui développe mais qui sera optimisé, développé. Pour ce faire, un dialogue des territoires mais connexion des potentialités (offres et demandes) pour trouver des spécialisations au local, susciter des interdépendances fécondes surtout dans un contexte de Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) implique un regard global de la carte, une planification.

Donc en ce XXIème siècle, à la soixantaine de nos indépendances, le contexte dicte que ce sera par une voie de développement à la démarche double, à laquelle nous invitons le régime de Diomaye : synthétique et simultanée seulement que nous atteindrons les objectifs d’un développement sénégalais adéquat où tous les hommes seront pris en compte (un développement humain actualisé et équitable).


P B Moussa KANTÉ
Chercheur au laboratoire Lares (laboratoire de recherche en économie de St Louis). Responsable scientifique du Mouvement des étudiants panafricains de l’université de St Louis du Sénégal (Mepus)

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