Bollywood et Narendra Modi, les liaisons dangereuses
Les élections en Inde débutent dans très exactement deux semaines. Alors que la campagne bat son plein, direction Bollywood, cette gigantesque industrie du cinéma populaire indien, qui s’est mise, en partie, au service de la propagande du parti nationaliste au pouvoir. Sans faire de généralités, de nombreuses productions bollywoodiennes ont propagé ces dernières années, volontairement ou sous la contrainte, la ligne politique et idéologique du BJP, le parti de Narendra Modi.
Le phénomène ne date pas d’hier. On l’avait déjà constaté lors du précédent scrutin en 2019, lorsque Modi avait remporté une victoire écrasante et un deuxième mandat de cinq ans. Une sorte de « Modimania » s’était emparée à l’époque de Bollywood. Pour preuve, la toile est inondée de selfies du Premier ministre posant tout sourire au côté de superstars et de producteurs visiblement conquis.
La stratégie électorale de l’Hindutva
En dix ans de règne, Modi a réussi à imposer l’Hindutva, cette idéologie nationaliste ouvertement islamophobe partout, y compris au cinéma ; ce soft power si essentiel pour conquérir de nouveaux électeurs en période électorale.
Et Bollywood est un vecteur extrêmement puissant pour véhiculer les idées politiques. Chaque année, l’industrie produit entre 1500 et 2000 films, qui sortent en salles ou sur les plateformes, comme Netflix. L’occasion pour le BJP d’influencer les votes et en particulier d’attirer les jeunes électeurs et ceux qui votent pour la première fois.
Révisionnisme et plan marketing
Moins populaire en Occident, Bollywood en Inde, c’est une institution. On connaît les comédies musicales hautes en couleur, l’industrie produit aussi des drames et des films d’actions. Et pour diffuser ses idées, le BJP suit une trame bien précise.
Une constante, le révisionnisme. On réécrit l’histoire. À titre d’exemples, deux films qui ont défrayé la chronique. The Kashmir Files, sorti en 2022, est un long métrage controversé bourré d’erreurs factuelles et de sentiment antimusulmans. Le film revenait sur l’exode des hindous du Cachemire dans les années 1990, après une insurrection musulmane. Un film politiquement instrumentalisé, selon les critiques, avait une vision manichéenne des faits. Plus récent, Kerala Story (2023), est une autre production teintée d’idéologie nationaliste hindoue qui s’attaque aux musulmans et qui est présentée dans les bandes-annonce comme une histoire « basée sur des faits réels ».
Par définition, la propagande signifie cacher la vérité ou montrer une semi-vérité. Ces deux films, comme des dizaines d’autres, visent à influencer l’opinion et à diffuser les idées nationalistes du parti au pouvoir. Si la pratique a toujours existé, y compris à Hollywood, ce qui inquiète, c’est l’ampleur du phénomène sous le règne de Modi.
Le BJP, grâce à ses soutiens dans l’industrie, a un plan marketing bien rôdé. On connaît l’importance des chansons et des danses dans les films de Bollywood. Le principe, c’est de sortir la chanson bien avant le film, le public s’en imprègne bien avant la projection et le succès est garanti. L’histoire, détachée de la réalité, vient au second plan, elle est prise au premier degré sans considération des faits réels. C’est ainsi qu’un film a blanchi par exemple les massacres des musulmans au Gujarat en 2002, dirigé à l’époque par Narendra Modi.
Une démocratie en danger ?
Bollywood, un allié de Modi et du BJP, on peut le constater aussi avec les nombreux biopics sortis cette année.
Encore une fois, tous ces films, soi-disant biographiques, visent à encenser des héros nationalistes tout en tordant la réalité. Le « Dr Hedgewar », du nom du fondateur du RSS, organisation patriotique nationale, une organisation paramilitaire hindouiste, extrémiste et étroitement lié au BJP, ou un biopic du champion de l’idéologie nationaliste hindoue, Vinayak Savarkar, dont les sorties en salle ont été programmées avant l’élection. Ces productions à gros budget sont considérées par certains réalisateurs, profondément attachés au sécularisme, comme des purs produits de propagande qui mettent en danger la démocratie indienne.
Tous les films produits à Bollywood ne sont évidemment pas des films de propagande, loin de là. Mais de nombreux critiques indiens s’inquiètent du manque de courage des réalisateurs et acteurs qui gardent le silence ou n’osent tout simplement pas affronter le puissant système de censure mis en place par le gouvernement au pouvoir.