ECONOMIE – Aéroport international Blaise Diagne de Dias: Dans l’univers des cambistes clandestins

Fin décembre 2017, la remarque était générale. Après l’ouverture de l’Aéroport internationale Blaise Diagne (Aibd), il était difficile de changer des devises au sein de cet nouvel écrin. Six ans plus tard, la situation est tout autre. Entre cambistes légalement installés dans les hall des arrivées et départs et ceux qui squattent le parking de l’aéroport, ce n’est pas l’amour fou. Surtout à la tombée de la nuit.

Il est 18h52, le jour décline, mais l’affluence augmente. Des tensions surgissent. Postées dans des angles morts, des groupes de personnes guettent. Scrutent. Proposent. Se prennent des réponses négatives. Le tout discrètement. Un couple semble intéressé. Enfin. Il s’arrête. Marchande. Le palabre s’éternise. Soudain, une liasse de billets change de mains. Puis deux. Trois. L’argent disparaît entre poches et sacs. Le petit aéropage se disperse. Chaque partie rejoint son rang. Le couple poursuit son chemin vers le coffre à bagages d’un 4×4 de marque japonaise pour y déposer ses valises. « Le taux de change qu’on me propose est beaucoup plus bénéfique. Ce n’est pas énorme mais il n y a pas de petits profits surtout quand on gagne sa vie difficilement comme moi. Je me lève tous les matins à 4h pour aller travailler dans une usine », avance l’homme, la cinquantaine qui vit « en Italie depuis 1997 », « rentré au Sénégal pour y passer l’hiver au chaud ».


BIG bénef


L’autre troupe composé par trois jeunes adultes est parti dans le sens contraire. Nous les rejoignons quelques minutes plus tard à la hauteur du passage piéton qui débouche sur le parking de l’aéroport international Blaise Diagne de Diass. « Nous sommes des cambistes. Nous échangeons les devises internationales contre de la monnaie locale, le franc Cfa », explique Fodé, l’un d’entre eux, aux faux airs du rappeur américain Notorious BIG (mort en 1997) aussi bien par le choix vestimentaire, la grande taille, que par la bedaine proéminente.

« Pour 500 euros, nous pouvons proposer un taux de conversion à l’achat d’un euro pour 660 f Cfa. A partir de 1 000 euros, le taux peut être encore plus avantageux. Nous pouvons aller jusqu’à 670 f CFA », poursuit le jeune homme avec un mélange de froideur et d’appât du gain perçu chez le personnage joué par Léonardo Di Caprio dans Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese. Et c’est cet appât du gain qui fait la différence. Pour s’en rendre compte, il suffit de prendre le passage clouté, d’entrer dans le hall des arrivées de l’AIBD et de se présenter devant le guichet de la principale société de change.

On est au Sénégal, mais ici règne la politique de l’autruche. « Ah bon ?! Il y a donc des personnes qui proposent dehors des devises internationales aux voyageurs. Je ne savais pas », manie maladroitement l’ironie l’une des deux préposées au guichet. Pince sans rire. Elle poursuit : « Nous pratiquons des taux légaux. Il y a une pancarte qui affiche les taux de change des différentes monnaies étrangères ». On peut y lire : A l’achat, un euro vaut 650 f Cfa, un dollar US se change en 600 f Cfa, idem pour le franc suisse, le pound est le plus haut, il est à 700.

Visage toujours aussi fermé que celui d’un surveillant général dans un collège privé, elle siffle la fin de la récréation. « Nous ne pouvons rien vous dire. Et nous ne sommes pas habilités à vous donner le contact de nos supérieurs », coupe-t-elle à nos relances. Prié de nous éloigner, nous ne refusons pas ostensiblement d’obtempérer. « Reculer pour mieux sauter » devient « se mettre sur le bas-côté et attendre une ouverture ». L’horaire y est propice. Ce jour-là, entre 17h et 20h30, 8 vols vont se poser sur le tarmac de l’Aibd. Ils sont en provenance de Bruxelles, d’Addis-Abeba, Istanbul, Nantes, Milan, Cap Skirring, Bamako et Paris Charles de Gaulle.

Ligne Maginot

Au bout de quelques minutes d’attente, nous tombons sur Mina. Sourire malicieux caché par une once de fatigue. « Je viens de faire six heures de vol entre Milan et Dakar », explique-t-elle, avant de nous donner la raison de son choix d’un cambiste légalement installé : « Je préfère changer de monnaie avec les agences agréées dans les aéroports. Dehors, le taux peut être plus intéressant mais il y a des risques. Parfois on peut t’arnaquer sur le nombre de billets reçus.

Au lieu d’avoir une liasse de 100 000, tu peux te rendre compte qu’il en manque un ou deux billets de 10 000 bien camouflés par des stratagèmes. Se retrouver avec des faux-billets est aussi une éventualité. Avec eux, on peut avoir un reçu et une traçabilité ». Les guichetières sont désormais occupées à servir une dizaine de voyageurs originaires d’Asie. Nous retournons les talons pour traverser à nouveau le passage piéton qui est une virtuelle ligne Maginot.

C’est une véritable guerre qui se mène les deux parties. Alors que nos trois mousquetaires cambistes tentent de ne pas donner des coups d’épée dans l’eau avec un autre client, c’est à Momo, qui travaille en solo, d’apporter la réplique au nom de son collectif. « Ces accusations ne sont pas fondées.

C’est pour nous discréditer, avance-t-il d’une voix posée. Notre présence ici n’est pas inscrite dans la légalité, on ne va pas en rajouter avec des arnaques. Nous sommes des jeunes, pour la plupart, et nous travaillons ici car n’ayant pas d’autres perspectives d’embauche ». Un travail dont la rétribution est aléatoire. « En une soirée, le bénéfice peut s’élever de 20 à 40 000 f CFA. Rarement plus.

Mais il m’arrive souvent aussi de rentrer sans faire un seul franc de bénéfice. Ce sont les risques du métier ». Surtout quand il s’agit d’une activité illicite. « Depuis l’inauguration de cet aéroport (fin 2017, ndlr) à nos jours, j’ai perdu plus de 7 millions de francs CFA saisis par les services de douanes. Quand la police fait une descente et que l’un d’entre nous est arrêté. L’argent trouvé sur lui est mis en scellé », raconte Momo sans émotion. Le jour a fini de décliner.

Moussa DIOP
LESOLEIL

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