Les Failles du Système de Renseignement Sénégalais
L’histoire du renseignement en Afrique est complexe et imprégnée par l’héritage colonial français. L’instauration progressive de multiples dispositifs de renseignement étatique, incluant le renseignement militaire, policier, économique et administratif, est inextricablement liée à la domination coloniale. Ce système n’était pas uniquement axé sur la collecte d’informations, mais aussi sur le contrôle social des populations colonisées, le maintien de l’ordre, et la promotion des intérêts de l’entreprise coloniale
En situation coloniale, le renseignement avait pour mission de garantir le pouvoir naissant de l’État, de maintenir l’ordre et la sécurité locale, de favoriser le développement économique de la colonie, et de soutenir la survie de l’État colonial. Cette spécificité coloniale a persisté au-delà de l’indépendance des pays africains du « pré carré » français, mais cette fois-ci, les systèmes de renseignement ont été exclusivement consacrés au maintien du pouvoir des dirigeants et au contrôle autoritaire de la population.Le tournant des années 1990-2000 a marqué un changement dans la politique africaine du renseignement extérieur français. Le renseignement français s’est tourné vers la surveillance des processus de démocratisation et des enjeux énergétiques stratégiques, tout en se concentrant davantage sur la menace islamiste, qui est devenue une priorité. Cependant, il est essentiel de comprendre les racines historiques de ce renseignement colonial en Afrique.L’héritage colonial a profondément influencé le renseignement intérieur, qui a été développé au sein des sociétés africaines. L’objectif était de disposer des ressources humaines les plus efficaces pour maintenir l’ordre colonial. Les solutions locales ont été mises en œuvre pour comprendre les structures sociales et les spécificités de chaque société. Par exemple, le développement des fichiers maraboutiques au Sénégal a suivi cette logique, visant à comprendre et à exploiter les structures religieuses dans les sociétés maraboutiques.En même temps, le renseignement colonial a été favorisé par les unités locales de méharistes ou de goumiers, qui ont joué un rôle essentiel dans la collecte de renseignement quotidien. Ces unités étaient des observatoires privilégiés des marges et des déviances, ce qui contribuait au maintien de l’ordre social.Cependant, la politique des postes de liaison et de renseignement (PLR) mise en place pour défendre le « pré carré » de la France en Afrique a présenté des risques de détournement et de prise en otage des missions de renseignement extérieur. Cette politique s’est avérée problématique lorsqu’il s’agissait de travailler sur les forces d’opposition ou lorsque la défense du régime n’était plus la priorité.Le virage des années 1990-2000 a permis un redéploiement cohérent de la politique africaine du renseignement français. Les agents formés dans les années 1990 ont apporté un regard neuf sur la région, mais des défis majeurs persistaient. Par exemple, la prise de pouvoir au Mali en 2020 a pris les services de renseignement français au dépourvu, révélant des lacunes dans leur compréhension des dynamiques locales.En résumé, l’histoire du renseignement en Afrique est fortement influencée par l’héritage colonial, et les récents développements montrent que des failles subsistent dans les systèmes de renseignement, y compris au Sénégal. La nécessité d’une compréhension en profondeur des dynamiques locales et d’une adaptation constante est essentielle pour relever les défis actuels en matière de renseignement en Afrique.