Les Nations unies pourront-elles se réformer un jour?
Les discours s’enchaînent au pupitre depuis ce mardi 19 septembre au siège de l’ONU à New York pour la 78e assemblée générale annuelle. La réforme du Conseil de sécurité et, au-delà, la question du multilatéralisme en 2023 est sur toutes les lèvres. Parmi ceux qui réclament ardemment une refonte, un grand nombre de pays « du Sud » qui veulent faire mieux entendre leur voix.
De notre envoyée spéciale à New York,
Beaucoup se demandent à quoi sert aujourd’hui, dans un monde où les conflits se multiplient, où la sécurité mondiale est de plus en plus menacée, l’Organisation des Nations unies et ses assemblées générales annuelles rassemblant la quasi-totalité des pays du globe (194 nations). Parmi les membres permanents du Conseil de sécurité, seul le président américain a d’ailleurs fait le déplacement.
Depuis deux jours pourtant, des milliers de diplomates, chefs d’État, ONG, médias s’agglutinent aux portes de la Maison de verre, rendant la rive droite de Manhattan quasi-inaccessible aux habitants de la « Big Apple ». Si engouement il y a, c’est parce que ce grand raout annuel n’est pas vain et est l’occasion pour les États, quelle que soit leur taille ou leur puissance, de faire entendre leur voix, tous à égalité.
Cette année d’ailleurs, le président de l’Assemblée est celui de Trinité et Tobago, petit pays du Sud qui a à cœur de faire entendre les réclamations de ses partenaires. « Les AG de l’ONU sont surtout un lieu de rencontre entre délégations de différents pays, elles sont utiles car elles permettent des échanges, formels ou informels, entre les représentants de divers États. Elles sont « l’instance où le monde se parle » », explique Chloé Maurel, docteur en histoire, spécialiste de l’ONU*.
Un lieu où le monde se parle mais ne se comprend pas toujours à en voir les discussions qui sont sur la table depuis des décennies, comme celle de la réforme du Conseil de sécurité, décriée par certains car ne reflétant plus l’esprit du multilatéralisme. Une réforme du Conseil de sécurité revenue à la table des discussions l’an dernier par la voix du président américain Joe Biden, soutenue par la France et le Royaume-Uni mais récusée par la Chine et la Russie qui pourraient voir leurs intérêts menacés sans droit de veto.
Les tensions au sein de l’ONU sont aussi beaucoup plus visibles aujourd’hui entre la Russie et les pays occidentaux par le biais de la guerre en Ukraine – et les pays « du Sud » pris en étau entre un soutien à Kiev ou à Moscou -, mais également vis-à-vis de la Chine, accusée d’avancer ses pions aux Nations unies grâce à son financement. Pékin est en effet le premier contributeur financier à l’ONU. « Cela lui a permis, entre autres, de mener une action de lobbying importante pour obtenir le classement de nombreux sites chinois sur la prestigieuse liste du Patrimoine mondiale », confirme Chloé Maurel.
« L’ordre ancien » vit-il ses dernières heures ?
De nos jours, de grandes puissances mondiales comme les États-Unis affichent une frilosité certaine face au multilatéralisme. Pour la spécialiste de l’ONU, l’impulsion pour refonder ce concept viendra donc des pays du Sud, réunis dans le G77 et dans le groupe des BRICS qui vient de s’élargir. « Mais le défi est que ces pays « du Sud », opposés aux puissances occidentales, doivent mieux respecter les principes démocratiques sur le sol. »
Le Groupe des amis pour la défense de la charte des Nations unies, une coalition de 18 États se décrivant comme anti-impérialistes (dont la Bolivie, la Chine, l’Iran, Cuba, la Syrie, la Palestine, la Russie, l’Algérie, le Venezuela, etc.), veut aussi, à sa manière, remettre le multilatéralisme au centre du jeu. Créé en 2021, il entend ainsi « défendre le droit à l’auto-détermination, la non-ingérence dans les affaires intérieures des États et le respect de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de toutes les nations ». Ce groupe dénonce par exemple le fait que nombre de ses membres ont fait l’objet d’interventions occidentales ou américaines illégales au regard du droit international, il critique la domination des grandes puissances à l’ONU, leur unilatéralisme qui n’est donc pas l’esprit initial de la charte des Nations unies de 1945.
« L’époque où l’on pouvait se comporter comme « le gangster » ou le « gendarme du monde » est révolue, témoigne, faisant référence aux États-Unis, Mohamed Hani, député algérien, président de la Commission des Affaires étrangères. Plusieurs pays qui se disent chantres de la défense des droits de l’homme ont plusieurs fois violé la charte des Nations unies ou « forcé la main » au Conseil de sécurité de faire voter des résolutions au détriment de la majorité. Il ne doit pas y avoir de respect de la charte à géométrie variable. Donc, appeler à respecter la charte est le minimum que certains pays doivent faire (…) Il faut décentraliser les prises de décisions et, surtout, donner une place prépondérante pour les pays appartenant au nouveau monde. L’ordre ancien vit ses dernières heures. Et de nouveaux acteurs sont en train de s’imposer. La véritable réforme qui mettra fin aux agissements de certains est de réformer la notion du veto. Il n’est pas normal qu’aucun pays africain n’ait le droit d’opposer un veto. Il n’y a pas non plus un pays de l’Amérique Latine. »
Mais le Groupe des amis pour la défense de la charte des Nations unies a de nombreux détracteurs qui accusent certains de ses membres d’être des régimes pour le moins peu démocratiques. Une accusation que bat en brèche Mohamed Hani, tenant d’ailleurs à affirmer « que de nombreux pays qui se disent démocratiques ont été condamnés par les Nations unies pour atteinte aux droits de l’homme. Les notions « autocratiques » et « démocratiques » sont pour moi, et à titre personnel, des vocables dépassés. » Et le député de se demander comment qualifier l’attaque du Capitole, l’intervention militaire en Libye, les milliards de dollars et les moyens militaires pour « alimenter encore plus la guerre entre l’Ukraine et la Russie » ? « Chacun voit l’autocratie et la démocratie comme il veut. »
« Le multilatéralisme est un sport de combat », écrit le chercheur Serge Sur. Et la réforme du Conseil de sécurité ainsi que la demande croissante des pays « du Sud » d’avoir plus de place sur la scène internationale semblent loin d’en être à leur dernier round. « Je ne serai certainement plus sur cette terre avant qu’une réforme arrive », confie cyniquement une ancienne fonctionnaire du Conseil de sécurité.