Mutations à l’ère du numérique: Comment internet a chamboulé l’écosystème médiatique sénégalais

Avec l’arrivée de l’internet, la pratique du journalisme a connu une révolution. Des individus, sans aucune formation journalistique, ont envahi cette profession, bafouant les règles d’éthique et de déontologie qui la régissent.

Internet a révolutionné le monde, la pratique du journalisme aussi. Des mutations profondes ont été observées dans l’exercice de cette profession, avec l’arrivée de cet outil.  Et les médias sénégalais n’y échappent pas.  « Il n’y a plus aucune salle de rédaction au monde qui ne soit en train de subir l’impact de l’internet. Mais pas seulement les salles de rédaction : c’est l’ensemble du travail journalistique et de l’écosystème médiatique qui est bousculé, chamboulé, parfois radicalement transformé par cet outil. Un outil que les rédactions accueillent avec enthousiasme, mais aussi avec beaucoup d’appréhensions, de scepticisme et de doutes parfois », indique l’étude réalisée par l’École supérieure de journalisme, des métiers de l’internet et de la communication (E-jicom, Dakar) à travers son Laboratoire du Numérique et des Nouveaux Médias, et le Wits Centre for Journalism.  Laquelle indique que les journalistes ne doivent pas se laisser emporter par la facilité qu’offre internet dans l’accès à l’information, en oubliant ce qui fait l’âme de ce métier : la circulation d’informations fiables.

« Hélas, au Sénégal, nous assistons à une forme de paresse intellectuelle chez certains confrères dans l’utilisation des produits médiatiques tirés du net. Dans les éditions d’information des radios et télévisions, on remarque très souvent que les journalistes font du simple plagiat pour la couverture des actualités internationales. Cela déteint sur la crédibilité du journaliste et, par ricochet, sur une profession stratégique dans un État démocratique », a-t-on indiqué dans l’étude.

Des profanes préoccupés par leur nombre de followers

 Les recherches menées ont également démontré qu’internet a ouvert la possibilité à des « profanes » de pénétrer le champ informationnel. Ce qui n’a pas été sans conséquence. D’autant plus que « ces nouveaux acteurs publics s’occupent de collecter et de diffuser là où le journaliste collecte, traite, recoupe avant de diffuser l’information ». L’étude a relevé que la quête effrénée d’opportunités d’affaires a réduit considérablement le temps de la vérification de l’information et du recoupement des sources.     En effet, « Xalaat Tv » se présentant comme une chaîne de télévision en ligne qui « fait des investigations sur des faits de société, des personnalités politiques, des artistes, des dossiers… a été donné en exemple par l’étude. Cette chaîne, avec des pages sur Facebook, Instagram et YouTube, comptait plus d’un million d’abonnés au 5 mars 2023. Et, renseigne la même source, depuis sa création en décembre 2015, elle est animée par de jeunes sénégalais sous anonymat a engrangé plus de 144 millions de vues, d’après ses statistiques au 5 mars 2023. Ses auteurs ont un positionnement qui emprunte les codes et les genres relevant du journalisme, puisqu’ils l’assurent : « Toutes les informations sont avérées et elles sont fournies à base (de) recherches solides et de sources sérieuses ». Cela en fait-il pour autant une salle de rédaction ? », indique-t-on dans l’étude. Celle-ci a également fait état d’individus apparus dans l’espace public médiatique via les plateformes socionumériques et qui se positionnent en tant qu’acteurs légitimes dans le champ de l’information. Parmi ces derniers, il y a « Bah Diakhaté l’officiel », « Mollah Morgun », « Kalifone Sall », Françoise Hélène Gaye ». Ces derniers, s’imprégnant des pratiques journalistiques, promettent des révélations qui seraient basées sur de l’investigation en disant à leurs suiveurs qu’ils mettent à leur disposition de l’information vraie et sûre.

« En usant d’éléments de langage propres au journalisme, ces individus très en vue sur les réseaux socionumériques se positionnent comme acteurs de l’information. C’est une tendance qui prend de plus en plus d’ampleur. Ils produisent de l’information à leur manière, il ne faut pas qu’ils se réclament journalistes. Car ils ne respectent pas vraiment les règles du métier, ils sont beaucoup plus préoccupés par leur nombre de followers », signale-t-on dans le panorama.

Le cas de « Ma revue de presse »

L’étude a également fait un focus sur le cas « Ma revue de presse » introduite dans le paysage médiatique sénégalais par Mamadou Ly, un citoyen et qui doit son existence et son succès essentiellement à l’internet et aux multiples possibilités qu’offre ce moyen technologique. Et d’après l’étude, aujourd’hui, en dehors de toute considération politique et en toute indépendance, « Ma Revue de Presse » est devenue un outil d’information populaire utilisé par des citoyens ordinaires, des cadres des secteurs public et privé, des acteurs de la société civile, des décideurs de tout bord, des journalistes, des hommes politiques de tous les camps, etc.  « Ma Revue de Presse, qui dispose d’un site web peut être définie comme un service d’information fondé sur un modèle hybride, à mi-chemin entre l’agence de presse destinée aux organes et un service public d’information destiné au grand public », explique-t-on dans l’étude. Elle ajoute que la « démocratisation » de l’information, à l’ère du numérique, a facilité ce nouveau type de média avec une offre assez particulière et innovante. Devenue, au fil des années, une source intarissable d’informations, « Ma revue de presse », d’après l’étude, sert aussi bien les médias en information brute de première main (communiqués de presse, avis et annonces, documents, alertes, discours de personnalités, programmes d’activités, etc.), qu’il sert le grand public (articles ou synthèses d’articles produits par d’autres médias, liens, unes des journaux, documents, etc.).  Petit bémol à ce succès éditorial : le modèle économique reste encore très bancal pour assurer un développement pérenne. L’étude indique que « Ma revue de presse » reste une initiative individuelle et solitaire, qui peine à recevoir l’appui des gros investisseurs pour devenir une véritable entreprise de médias.

Aliou DIOUF

LESOLEIL

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