Levothyrox: le laboratoire Merck mis en examen pour « tromperie aggravée »
C’est un nouveau volet dans l’affaire du Levothyrox: la filiale française du laboratoire pharmaceutique allemand Merck a été mise en examen pour « tromperie aggravée » dans le dossier du changement de formule de ce médicament conçu contre les problèmes de thyroïde.
Cette décision a été accueillie avec satisfaction par les avocats et représentants des associations de victimes.
« Le président de Merck en France a été entendu » mardi au pôle santé du tribunal judiciaire de Marseille, a annoncé le groupe dans un communiqué mercredi et à l’issue de cette audition, la société Merck a été mise en examen « pour tromperie aggravée ».
Cette décision est liée aux « modalités d’information mises en place au moment de la transition de l’ancienne à la nouvelle formule en 2017 », pour ce médicament prescrit contre l’hypothyroïdie, a ajouté l’entreprise.
Le Levothyrox est utilisé quotidiennement par 2,5 millions de patients en France, selon Merck.
« La juge a écarté les infractions les plus graves –blessures et homicides involontaires et mise en danger de la vie d’autrui–, pour ne retenir que des manquements dans le plan de communication », a souligné auprès de l’AFP l’avocat de Merck au pénal, Me Mario Stasi.
Et l’avocat de rappeler que « Merck a co-construit ce plan de communication avec différents partenaires, des experts et en dialogue avec des associations de patients, et sous l’autorité de l’agence du médicament qui l’a approuvé ». Le parquet n’était pas joignable immédiatement.
– « C’est un bon médicament » –
« La qualité du médicament n’est pas en cause. C’est un bon médicament, meilleur que l’ancien », a-t-il assuré, estimant que le dossier se soldait par « un débat technique sur la communication ».
Au coeur de cette affaire, la nouvelle composition du Levothyrox, arrivée sur le marché français fin mars 2017 et qui utilise le même principe actif, la lévothyroxine, mais avec de nouveaux excipients.
Or des patients se sont rapidement plaints de nombreux effets secondaires: crampes, maux de tête, vertiges ou perte de cheveux. Au point qu’une pétition pour réclamer le retour de l’ancienne formule a recueilli plus de 170.000 signatures.
Une enquête pénale pour tromperie aggravée, homicide et blessures involontaires et mise en danger de la vie d’autrui avait été ouverte à Marseille en mars 2018, aboutissant à cette mise en examen.
Cette annonce a été saluée par Marie-Odile Bertella-Geffroy, avocate représentant quelque 3.000 patients du Levothyrox : « Cela fait plusieurs années que l’on attendait cette mise en examen. On se disait que cela n’arriverait jamais. Mes clients n’y croyaient plus. Enfin cela bouge », a réagi auprès de l’AFP cette ex-juge d’instruction au pôle santé du tribunal de Paris.
« C’est une victoire d’étape, dans l’attente du procès voulu par les victimes », a estimé Me David-Olivier Kaminski, représentant quelque 200 victimes, pour qui le laboratoire « a fait comme si il ne s’était rien passé en ignorant la douleur des victimes ».
« Le chef de tromperie aggravé, c’est déjà pas mal. Merck n’aurait jamais dû introduire une nouvelle formule (…) sans alternative. Ils savaient qu’ils prenaient le risque de déséquilibrer des patients », a réagi Beate Bartès, présidente de l’association « Vivre sans thyroïde ».
« C’est un bon début » mais « il ne faut pas que ce soit une mise en examen bidon », a martelé Chantal L’Hoir, de l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT), pour qui, « contrairement à ce que Merck continue de prétendre, (…) c’est bien cette nouvelle formule (du Levothyrox) qui a été directement responsable de ce scandale sanitaire ».
– « Défaut de vigilance » –
En juin 2019, l’ANSM, l’Agence nationale française contrôlant la sécurité des médicaments, avait mené une étude sur plus de deux millions de patients et conclu que le passage à la nouvelle formule du Levothyrox n’avait pas engendré de « problèmes de santé graves ».
Cette agence est aujourd’hui visée par une action collective de quelque 1.100 plaignants, pour « défaut de vigilance » et « défaut d’anticipation ».
Dans un autre volet, au civil, la Cour de cassation a rejeté en mars le pourvoi de Merck, condamné en 2020 à indemniser plus de 3.300 utilisateurs ayant souffert d’effets secondaires à la suite du changement de formule.
En France, moins de 100.000 patients sont aujourd’hui traités avec l’ancienne formule, importée en France depuis fin 2017 sous le nom d’Euthyrox. La distribution de l’ancienne formule, qui devait s’arrêter en 2020, a été prolongée à plusieurs reprises et se poursuivra au moins jusqu’à la fin 2022.
Par Yann SCHREIBER et Marie-Morgane LE MOEL, avec Pierre ROCHICCIOLI à Marseille