Pourquoi Meta ne lancera pas (tout de suite) Threads, son concurrent à Twitter en Europe
Avec Threads, lancé en fanfare ce jeudi 6 juillet, Meta, la maison-mère de Facebook, WhatsApp et Instagram, cherche à capitaliser sur les difficultés de Twitter pour s’imposer. Mais l’application, à ce stade, ne sera pas lancée dans l’Union européenne par crainte de législation européenne sur la protection des données.
Depuis que Twitter est passé sous le pavillon d’Elon Musk en octobre 2022 pour la somme de 44 milliards de dollars, jamais le réseau de microblogging n’avait semblé aussi directement menacé. Les décisions erratiques du patron de Tesla pour tenter d’imposer son modèle d’abonnement à 8 dollars par mois (environ 7,36 euros) et l’impression de chaos permanent ont fait fuir annonceurs et internautes. Mais jusqu’à présent, aucune alternative n’avait vraiment réussi à émerger. Bluesky et Mastodon ont bien fait parler d’eux, mais sans atteindre la masse critique nécessaire pour constituer une réelle menace.
L’annonce par Meta en mars d’une application reprenant le principe de Twitter avait donc été perçue par les observateurs comme un possible game-changer [un élément changeant la donne, NDLR]. Certains ont donc pu être surpris en découvrant le jour du lancement que les 27 pays de l’Union européenne ne figuraient pas dans la stratégie de lancement du groupe de Mark Zuckerberg. L’entreprise n’a pas donné d’explication, mais n’a jamais caché son inquiétude vis-à-vis de la politique européenne de protection des données.
1,2 milliard d’euros d’amende en juin, 400 millions en janvier
Le groupe est bien placé pour le savoir : en mai dernier, il s’est vu infliger une amende record de 1,2 milliard d’euros par le législateur irlandais (le siège européen de Meta est installé à Dublin) pour ne pas avoir respecté les règles de Bruxelles en envoyant les données personnelles des utilisateurs européens de Facebook aux États-Unis. Une amende qui s’ajoute à une autre de près de 400 millions d’euros en janvier. Meta avait été condamné pour avoir mis en commun les données des utilisateurs de Facebook et Instagram. Or, pour lancer Threads, la firme a bien l’intention de s’appuyer sur les données des utilisateurs d’Instagram.
« Dans un arrêté cette semaine, la Cour de justice européenne a bien confirmé que la loi interdisait déjà le partage de données entre des services qui a priori n’ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres », confirme à RFI Romain Robert, directeur juridique de NOYB.
NOYB, pour None Of Your Business [ce ne sont pas vos affaires, en anglais, NDLR], est l’ONG autrichienne à l’origine des plaintes qui ont fait condamner Meta. « Mais la procédure a pris cinq ans pour une décision qui n’est encore que partielle », nuance le spécialiste. Pour une amende, selon ses estimations, bien inférieure au chiffre d’affaires que les pratiques illégales de Meta lui ont permis de générer.
L’UE précurseur et nouveau standard en matière de protection des données
Malgré tout, la lourdeur des amendes infligées cette année pourrait commencer à peser dans la balance, comme le laisse supposer la décision de reporter le lancement européen de Threads. « Facebook comprend que la loi commence à être appliquée avec plus de célérité, plus de rigueur et avec des amendes plus lourdes. Ceci explique sans doute cela. », analyse Romain Robert. D’autant que deux législations européennes plus larges sur le marché numérique européen pourrait encore renforcer les règles en vigueur.
Cette situation souligne le rôle de précurseur de l’Union européenne (UE) en la matière. Il y a cinq ans, l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données, le fameux RGPD, avait forcé tous les acteurs à s’adapter. De fait, l’UE impose désormais une politique de consentement sur la collecte des données personnelles qui est devenu de facto le standard international. « Sur le sujet l’Europe donne le la », confirme Romain Robert. « Nous sommes suivis par la majorité des États non-Européens, même la Chine est en train d’imaginer une réglementation similaire. Finalement, seuls les États-Unis sont à la traîne pour des raisons politiques, mais aussi sans doute économiques. »