L’Afrique est-elle en train de tourner la page des subventions à l’essence?
En Afrique, les prix à la pompe flambent dans de nombreux pays. La faute aux gouvernements qui se sont résolus à supprimer les subventions aux carburants.
La décision la plus spectaculaire a été prise par le nouveau président du Nigeria. Bola Ahmed Tinubu l’avait inscrit dans son programme et il s’y est tenu. Du jour au lendemain, le prix de l’essence a triplé dans le plus grand pays d’Afrique de l’Ouest. Un coup dur pour le pouvoir d’achat des Nigérians, mais un soulagement pour les finances publiques, car le poste des subventions à l’énergie devenait hors de contrôle.
Le Nigeria rejoint le groupe en plein essor des États africains appliquant cette mesure d’économie. Il y a eu auparavant le Kenya, le Sénégal, l’Angola, le Ghana. C’est un tournant, selon Dominique Fruchter de la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (Coface), « qu’un événement extérieur peut à tout moment remettre en cause », tempère l’économiste. Le Congo-Brazzaville a annoncé une hausse de 20% à partir du 15 juillet. Une fois toutes les subventions disparues, l’essence augmentera de 65% dans ce pays.
Le FMI oblige le Congo-Brazzaville à prendre cette décision politiquement sensible ?
C’est la justification du ministre des Finances. Et c’est vrai que le Fonds monétaire international (FMI) répète inlassablement que ces subventions dévorent des ressources qui seraient plus fécondes dans l’éducation ou la santé. Le fonds a fait de la disparition des subventions au carburant une condition pour débloquer son aide. Cela s’applique à la Zambie, au Congo-Brazzaville, au Cameroun, au Ghana, à tous les pays qui ont récemment fait appel à lui, qu’ils soient africains ou non.
Mais c’est particulièrement sensible sur le continent où les États sont de plus en plus nombreux à souffrir de leur endettement et de son coût. Avec la hausse des taux, le refinancement de la dette devient de plus en plus acrobatique, voire hors de portée, c’est alors que le FMI est appelé à la rescousse.
Soulagement pour les finances publiques
Le Nigeria économisera 28 milliards de dollars en deux ans s’il supprime toutes les subventions à l’énergie, selon la Banque mondiale. De quoi réduire considérablement son déficit budgétaire. La compagnie nationale des hydrocarbures va aussi exporter davantage, puisqu’elle ne sera plus contrainte de conserver une partie de sa production pour ces subventions.
Globalement, les ventes de carburant devraient baisser au Nigeria. Car une bonne partie de ce carburant très bon marché était détournée vers le Bénin, le Togo ou le Cameroun. Dans ces trois pays voisins du Nigeria, l’assèchement du marché noir est déjà une réalité. Là aussi, c’est un gain pour les recettes publiques, puisque les automobilistes retournent à la pompe pour faire le plein.
Dédommager les plus démunis
En revanche, c’est une mauvaise nouvelle pour le pouvoir d’achat des ménages, déjà éreinté par le Covid-19 puis la flambée du pétrole provoquée par la guerre en Ukraine. Les États se sont engagés à dédommager les plus démunis. Au Nigeria, un pays où l’essence est vitale pour se déplacer mais aussi pour faire tourner les générateurs, des discussions sont en cours pour décider de la répartition d’une enveloppe de 800 millions de dollars financée par la Banque mondiale.
Aujourd’hui, le risque de cette mesure malaimée est aussi d’alimenter la colère populaire. Il y a dix ans, le gouvernement nigérian avait fait machine arrière sous la pression de la rue. En Angola, la hausse des prix a provoqué des émeutes meurtrières en juin. Le président a préféré limoger le ministre des Finances plutôt que de reculer. La fin des subventions est aussi un vecteur d’inflation dans les pays où la hausse des prix est élevée comme le Nigeria. Mais répercuter les prix sur les clients n’est pas toujours chose facile. Les moto-taxis sont les premiers à en faire les frais.