Immigration: pourquoi les États-Unis et le Mexique redoutent la levée du «Titre 42»

Avec la fin annoncée ce jeudi soir à 23h59 de ce dispositif qui permettait d’expulser sans délai les migrants vers le Mexique au nom de la lutte contre le Covid, les autorités américaines craignent un afflux de milliers de personnes.

Ce 11 mai, les règles d’entrée aux États-Unis par voie terrestre changent : le « Titre 42 » doit être levé. Ce protocole strict permettant de passer outre la législation américaine en matière d’immigration et d’empêcher toute personne ne disposant pas d’un visa d’entrer aux États-Unis, y compris pour y demander l’asile, était censé dissuader les candidats à l’exil.

Pour autant, le nombre de personnes qui ont afflué à la frontière pour trouver un refuge aux États-Unis ou suivre le rêve américain n’a jamais été aussi important. Ils viennent du Mexique, d’Amérique centrale ou du Venezuela. Les voies légales pour accéder au territoire étant réduites, les migrants ont cherché des routes toujours plus dangereuses, par le désert ou par le fleuve. En 2022, au moins 853 migrants sont morts en tentant de traverser la frontière entre les États-Unis et le Mexique, selon les chiffres officiels des autorités frontalières américaines. C’est un record. Le Rio Bravo ou Rio grande (nom au US) qui sépare le Mexique et le Texas, est l’un de ces lieux où les migrants risquent leur vie pour traverser illégalement.

Qu’est-ce que le « Titre 42 » ?

Cette mesure de santé publique remonte à la Seconde Guerre mondiale, une époque où les épidémies faisaient régulièrement des ravages aux États-Unis. 

Au moment de l’épidémie de Covid, en 2020, le gouvernement de Donald Trump s’est empressé de la réactiver pour bloquer toute entrée sur le territoire américain au nom de la lutte contre la pandémie. Avec le Titre 42, pas de recours possible : les migrants interpellés sans titre de séjour sont expulsés sans délais vers leur pays de transit – plus rarement vers leurs pays d’origine –, peu importe leur statut. 

Depuis son élection, le gouvernement de Joe Biden, après l’avoir prolongée, a tenté de lever plusieurs fois cette mesure, souvent jugée « inhumaine ». Depuis mars 2020, ce dispositif a été appliqué plus de 2,7 millions de fois, selon les statistiques officielles

Qu’est-ce qui va changer ?

Une fois le Titre 42 levé, les États-Unis devront traiter tous les migrants en vertu de la législation américaine sur l’immigration, qui leur permet de demander l’asile pour tenter d’empêcher leur expulsion. Les migrants sans titre de séjour qui arriveront à pied par le Rio Grande ne pourront plus être refoulés manu militari, avant même d’avoir pu déposer leur demande d’asile.

L’administration du président Joe Biden lèvera le Titre 42, le protocole strict mis en place par son prédécesseur Donald Trump pour refuser l’entrée aux migrants et expulser les demandeurs d’asile. À la place, l’administration américaine prévoit de dissuader l’immigration illégale avec le Titre 8, qui refuse toute résidence légale future en cas de passage clandestin et prévoit, contrairement au Titre 42, de possibles poursuites pénales à l’encontre des migrants refoulés et dépourvus de visas.

Faut-il craindre un appel d’air ? 

Avec la fin de cette mesure, de part et d’autre de la frontière, les autorités craignent une augmentation des tentatives de passages. Mais même avec la fin du Titre 42, les migrants ont de très nombreuses chances de se faire arrêter, notamment près du fleuve. Dès qu’une traversée est signalée, les garde-frontières américains attendent les personnes à la sortie de l’eau. Et avec la fin du Titre 42, pour pouvoir entrer aux États-Unis, les migrants doivent solliciter un rendez-vous auprès des autorités américaines, sauf que c’est long et très compliqué. Alors les tentatives de traversées illégales ne sont pas prêts de diminuer. 

Et l’affaire embarrasse Joe Biden, tout juste candidat à sa réélection. Si le démocrate a voulu la levée du Titre 42, la question migratoire reste épineuse, il ne veut pas s’attirer les foudres des républicains selon lesquels c’est un jour de « chaos » qui attend les Américains. Le sénateur Lindsey Graham évoque près d’un million d’arrivées en provenance du Mexique ces trois prochains mois. Le 11 mai sera « un jour de cauchemar pour les Américains, particulièrement pour les habitants du Nouveau-Mexique et du Texas », deux États limitrophes du Mexique, a-t-il affirmé.

Une inquiétude partagée par le président mexicain, Andres Manual Lopes Obrador. Il met en garde les candidats au départ et appelle à privilégier les voies d’entrée légales. « Dès que le président Biden a annoncé que l’état d’urgence sanitaire était sur le point d’être levé, des passeurs ont commencé à évoquer l’organisation de départs […] Mais nous leur rappelons que d’autres solutions existent, qu’ils n’ont pas à quitter leur pays, qu’ils peuvent effectuer la procédure au Guatemala, au Salvador ou au Honduras. »

Le ministre de la Sécurité intérieure américaine, Alejandro Mayorkas, a rappelé que, même sans le Titre 42, la loi prévoit des poursuites pénales contre les migrants refoulés sans visa. « Nous construisons des voies légales et nous prévoyons des sanctions pour ceux qui n’utilisent pas ces voies. » 

L’administration Biden a annoncé le déploiement de 1 500 soldats supplémentaires pour épauler la police aux frontières américaine. Interrogé par des journalistes mardi soir à la Maison Blanche sur l’état de préparation des États-Unis face à cette évolution réglementaire, le président américain a répondu : « On verra bien. Ça va être chaotique pendant un moment ».


♦ Reportage au Mexique : les migrants oscillent entre espoir et incertitude

Sur la place principale de Reynosa, un groupe de migrants attend à l’ombre d’un kiosque, raconte notre envoyée spéciale Gwendolina Duval. Judith Pirar, d’origine haïtienne, a passé six ans au Chili avant d’arriver à la frontière en janvier. Bientôt, elle espère pouvoir demander l’asile.

« Tous les jours, dit-elle, nous devons chercher pour recharger notre téléphone et avoir du bon signal pour décrocher un rendez-vous. Mais beaucoup de gens essayent comme nous. »

Une fois expiré le Titre 42, les États-Unis utiliseront le Titre 8 pour évaluer la situation des migrants. La procédure leur permet de demander l’asile, mais prévoit aussi leur expulsion en cas de refus, dans des conditions plus strictes qui inquiètent Carlo Luimar. Lui aussi est né en Haïti et n’envisage pas du tout d’y retourner un jour : « Nous verrons bien ce qu’il se passe lors de l’entretien avec la migration. S’ils nous approuvent, nous pourrons continuer la procédure d’asile aux États-Unis. Sinon, ils nous renverront à notre pays d’origine. Et c’est ça qui me fait peur ! »


♦ Reportage à la frontière américaine : les autorités locales d’El Paso déjà en état d’urgence

La ville d’El Paso se prépare au pire : une arrivée massive de 10 000 à 15 000 personnes qui campent actuellement au Mexique, de l’autre côté du pont qui surplombe le Rio Grande. Des demandeurs d’asiles qui attendent la fin du Titre 42 pour pouvoir rejoindre les États-Unis, rapporte Thomas Harms, notre envoyé spécial à El Paso.

« On sait tous que la politique migratoire est cassée et a besoin d’être réparée, affirme Oscar Leeser, le maire démocrate d’El Paso. Jusqu’à ce que le gouvernement fédéral arrive à une loi pour aider à El Paso, nous et les autres villes à la frontière du sud, ce sera dur tous les jours. » 

La municipalité a voté l’état d’urgence et réquisitionné deux établissements d’enseignement secondaire transformés en refuge pour les migrants, comme à Bassett Middle school. « On est dans le gymnase. Il y a plein de lit de camps, il y a aussi plusieurs toilettes, des douches pour hommes et femmes, explique Mario D’Agostino qui travaille à la mairie d’El Paso. Ça leur permet de se laver et nous évite de devoir faire venir des douches extérieures. »

Les autorités peuvent accueillir jusqu’à 4 000 personnes. Mais seulement pour un ou deux jours, le temps que les migrants achètent un ticket de bus ou d’avion pour leur destination de choix aux États-Unis.

SOURCE RFI

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